Il est de certains
films une impression a peine terminée, comme s'il s'était
échoué dans un coin de l'inconscient. Le film dont nous
allons parler ce soir est un film de cet acabit, une sorte de film
au contours suffisamment flous et hermétiques pour dérouter
le spectateur sur la longueur.Le contour flou de ce film passe en
premier lieu par son paradoxe géographique et culturel, de
par le fait de son origine, nous y reviendrons. Sachez seulement qu'en
ce qui concerne Avalon, puisque c'est de ce film dont il s'agit, bien
que le réalisateur, Mamoru Oshii, soit un réalisateur
japonais, c'est bien d'un film européen dont il s'agit, avec
des acteurs européens, et plus particulièrement polonais,
puisque le film a été tourné à Varsovie
et que la langue dans laquelle le film est tourné est le polonais.
On pourrait même aller plus loin en disant que même si
ce film est un film aux racines polonaises (le réalisateur
japonais voue un culte à deux réalisateurs polonais,
Wajda et Kieslowski, il n'en manque qu'un à l'appel, Zulawski,
mais notre bonhomme a bon goût !), le film est littéralement
tourné dans sa rhétorique, sa philosophie et l'atmosphère
qu'il diffuse vers le cinéma nippon, et plus particulièrement
le film d'animation, ou Manga, d'où Oshii est issu. Si nous
voulions un peu corser l'affaire, il faudrait rajouter que le film
Avalon est une uvre qui joue, comme certains de ses pairs américains
sur une distorsion angoissante de la réalité vers le
virtuel. Il faut savoir que les frères Washowski, les papas
de Matrix, voue un culte sans borne à Oshii, que Cronenberg
avoue qu'il l'a lui aussi dans ses références
Mais qui est Oshii ? Et qu'a-t-il fait pour pouvoir s'étaler
un CV aussi passionnant ? C'est tout simplement le réalisateur
du cultissime film d'animation "Ghost in the shell", film
paranoïaque et annonciateur de toute cette série de films
fleurissant partout dans le monde au crépuscule du XXème
siècle sur le paradoxe du virtuel. Avalon est un peu le frère
du manga, une sorte d'adaptation in carne de l'univers terrifiant
du Chef d'uvre de son géniteur.
Et Avalon, par rapport à Matrix, Existenz et autres joyeusetés,
serait en quelque sorte une version conceptuelle, loin des sirènes
commerciales ou tout simplement narrative, pour se tourner, tout en
perdant parfois le spectateur en route, il faut être honnête,
vers une immersion totale dans le nud même du paradoxe.
Mais avant tout, peut être serait il bon quand même de
revenir un peu sur l'état de ce cinéma japonais proprement
époustouflant depuis quelques années pour se poser cette
question que nous nous étions déjà posé
lors de la critique de Battle Royale :
Que se passe-t-il de si terrible au Japon aujourd'hui pour que tous
les cinéastes, ceux qui représentent toujours les aspirations
et les terreurs de notre temps soient aussi pessimistes et cauchemardesques
quand il s'agit de dépeindre la société ?
Car si le film de Oshii a un point commun avec le délire futuriste
de Fukasaku, c'est bien l'angoisse d'une société de
dérive si proche qu'on s'y sent déjà plus d'un
pied dedans. C'est aussi une description sans émotion de la
violence, malgré une rigueur morale inhérente à
ceux dont la volonté est justement de se poser en moralistes
provocateurs.
Mais il serait totalement impossible de parler d'Avalon et de ses
racines sans parler de celui qui a sans aucun doute le plus influencé
Oshii, et sans aucun doute le "Chaînon manquant" du
cinéma mondial vers d'autres moralistes apocalyptique, le trop
méconnu Chris. Marker, le réalisateur du visionnaire
"Level Five", en 1996, film sur la virtualité d'un
guerre en baie de Yokohama, mais aussi dans les années 60 d'un
Ovni de SF, "La Jetée", en image arrêtée,
moyen-métrage qui a donné un remake talentueux du non
moins talentueux Terry Gilliam, "L'armée
des douze singes".
Dans le film d'Oshii, le réalisateur marxiste Marker est très
présent, et s'il n'est pas sur que le japonais partage l'analyse
révolutionnaire du français, il partage en tout cas,
sa description allégorique d'un monde réel-virtuel pourri
et délatté par ce qu'on imagine être un capitalisme
fantasmagorique. Présent des les premières images du
jeu, les images arrêtées des morts du jeu Avalon retouchées
par un ordinateur sadique sont très proches des photos salies
de "la jetée", mais aussi d'un autre univers très
proche et très cauchemardesque lui aussi, "Le bunker de
la dernière rafale" de Jeunet
et Caro.
Là ou le film apporte un conception philosophique nouvelle,
c'est par la frontière poreuse et sans repère entre
la virtualité et le réel, à un tel point qu'on
ne saurait dire, et c'est sans doute le côté le plus
déroutant du film -tout en étant par ailleurs tout l'intérêt-
lequel est lequel
Et que l'on ne le saura jamais d'ailleurs,
tant les bornes posé par la narration sont autant de contre-feu
à une analyse cartésienne de la situation. Alors que
les films de ce genre sont souvent très balisés, voire
appuyées, le film de Oshii se veut une introspection dans l'inconscient,
ce qui le rapproche indéniablement du décalogue de Kieslowski,
et plus sûrement du "Tu ne tueras point", adage et
modèle évident pour un film qui présente une
réalité si ténue qu'elle en paraît absente
et renverse parfois les simples questions de morale, puisque le jeu
est si proche de la réalité qu'il en utilise quasiment
les mêmes codes couleurs (Sépia pur jus pour le jeu,
monochrome bleuâtre pour la "réalité"),
les mêmes apparences, et surtout que le jeu a une incidence
sociale sur la vie réelle, puisque les meilleurs joueurs obtiennent
une paye pour leur performance, c'est à dire pour vaincre,
détruire, et surtout tuer le plus grand nombres "d'ennemis"
fantomatiques. Etre payer pour tuer comme pour perdre encore un peu
plus la notion de la réalité.
Son message hermétique, Oshii le fait passer par de longues
scènes esthétisantes, qui s'éloigne radicalement
de l'univers présenté dans les films traitant de jeux
vidéo. Car de Tron à Existenz, les jeux vidéos
à l'écran présentait un image futuriste, un kitch
assumé, ou au mieux une image réaliste impliquant des
éléments distordus de la réalité. Ici,
c'est presque une image régressive, d'un monde en régression
qui nous est présenté. Et même si Oshii joue avec
les codes contemporains des jeux vidéos, comme les niveaux
cachés ou les mondes terminaux, même s'il utilise le
côté ridicule de certaines situations emphatiques, il
veut nous emmener sur le terrain d'une réalité déformée
par les joueurs plus que déformée par le jeu.
L'histoire du film n'est pas à proprement parler intéressante,
elle reprend l'univers du jeu vidéo, mais sans en reprendre
les artifices, nous l'avons déjà dit. Dans la définition
des castes ou des plates-formes du jeu, on est très proches
des définitions autistes des joueurs de jeux de rôles,
et l'on croit percevoir pendant tout une partie du film une dénonciation
peu sibylline de l'addiction aux jeux du réel, mais le film
va heureusement plus loin, et nous emmène sans nous le montrer
vraiment, ou en deux scènes capitales et d'ailleurs fort rythmées,
dans un jeu vidéo global, sans réelle fin, où
les créateurs, si tant est qu'ils existent, sont des deus ex
machina sans grande envergure. L'histoire est une quête, comme
finalement tous les jeux vidéos, l'héroïne une
brune piquante (la talentueuse Malgorazata Foremniak, qu'on espère
revoir par ailleurs, mais bon, le cinéma polonais
) en
arme est digne des Lara Croft de tout acabit, et le film se termine
en jeu vidéo
Mais là-dessus pas d'infos, sauf
pour les cinéphiles : Oshii, pas en reste de racines talentueuses,
s'offre pour son dernier "plateau", le plus troublant un
artifice déjà remarqué dans le Kafka de Soderbergh.
La suite, allez la voir au cinéma !