Battle Royale, n'a pas de royale que le nom !

En regardant dans le rétroviseur des chroniques que j'ai fait depuis le début de l'année, je me suis aperçu que depuis le mois de septembre, chose rare, je n'ai pas encore fais chier le monde avec un film asiatique. Pour tout dire, la rentrée ne s'y prêtait pas vraiment, puisque les films pour lesquelles les coups de cœur ont pointés étaient toujours des productions occidentales. Mais là, un film s'imposait cette semaine pour être le film dont on allait parler dans Travelling. Il s'agit de Battle Royale, le film d'un réalisateur japonais inconnu en France, Kinji Fukasaku, qui tourne pourtant des films au Japon depuis le milieu des années 60, des films de Yakusa principalement, et qui est la preuve vivante de ce que le cinéma asiatique à encore à nous offrir. Nous avions eu droit pour l'instant au réalisateur "sortable", entendez par là les réalisateurs porté par un véritable désir artistique, esthétique. Voir les succès d'Imamura ou de Wong Kar Waï, réalisateurs émérites, et qui ont entraîné depuis deux ou trois ans une véritable mode des films asiatiques, laissant passer plusieurs réalisateurs inconnus jusqu'alors, ou bien des seuls cinéphiles. Je pense à Tsukamoto le réalisateur de Gemini, où à Edward Yang, le réalisateur de Yiyi. Je mélange allégrement le cinéma de Hong-kong, le cinéma chinois et le cinéma japonais, faute grave car ils sont aussi similaires que les cinémas Italiens, suédois et russes, mais c'est à dessein. Pendant longtemps, le cinéma asiatique a été vraiment emprunt de répulsion de la part du public occidental, et tout était mis dans le même panier. Mais depuis que certains réalisateurs ont su conquérir le cœur des spectateurs d'ici, ce sont plusieurs facettes du cinéma asiatique qui viennent frapper à la portes des exploitants, et notamment des réalisateurs "pas sortable", pour reprendre ma métaphore précédente, des réalisateurs de série B, des réalisateurs de films où le discours passent avant l'émotion esthétique… Qui bien souvent sont les mêmes. Pléthore alors de jeunes réalisateurs, engouffrés dans la brèche, que dis-je ? le sillon creusé par Ang Lee et son Tigres et dragons. Un cinéma populaire, intermédiaire comme on aime le dire, qui dynamite souvent les canons du cinéma de genre.

Fukasaku n'est pas un jeune réalisateur, mais pourtant, il donne dans le film intermédiaire depuis des années, avec un succès qui l'amène aujourd'hui à tenter sa chance en Europe, et grand bien nous en fasse, même si on peut regretter de découvrir un tel briscard alors qu'il a déjà dépassé les 70 ans !

Battle Royale, le film qui nous concerne aujourd'hui est sorti l'année dernière au Japon, et on ne peut que regretter amèrement qu'il ne soit pas sorti à la même époque, nous verrons plus tard pourquoi. Mais d'abord, peut être serait il bon de revenir sur l'histoire du film. Nous sommes au début d'un millénaire. Est-ce le nôtre ? tout le pousse à croire. Mais si c'est le notre, il s'agit d'un fantasme, ou plutôt d'une parabole, voyez plutôt : Le Japon est au plus mal, le chômage à augmenté de 15%, et dans les collèges, la colère et la défiance gronde.

Première image. Un professeur devant son tableau regarde un "mot" de ses élèves lui annonçant qu'ils sécheront les cours. Plus loin, ce même professeur a la fesse poignardé par un élève dans l'indifférence béate des collégiens. C'est un Japon de malaise, qui ressemble à s'y méprendre à l'Amérique, et à ces films mêlant adolescence et film d'horreur. Fukasaku s'ingénie d'ailleurs à reprendre des canons de films américains dans sa façon de filmer. L'horreur, elle est à venir. La classe de forte tête se retrouve à la suite d'un stratagème, sur une île où ils sont embrigadé dans un jeu terrible : il doivent tous s'entretuer. Arbitre de ce jeu, le professeur poignardé, qui n'est autre que le fabuleux Takeshi Kitano, acteur décidément monumental, qu'on avait pu voir dans son film, Aniki mon frère, et qui est une grande star au japon. Kitano dans son jeu de despote cynique rend le film imparable. On l'imagine un roc, un militaire, un samouraï prêt à tout, et on découvre un alcoolique désespéré, détesté par tous, craint que lorsqu'il est armé. Et on le voit réclamer de ses élèves victimes de retrouver les valeurs du Japon ancestral, tout en leur faisant endurer un épreuve aussi tordue qu'un jeu vidéo.

Kitano sert le film de Fukasaku de main de maître. Dans plusieurs scènes, le cinéaste fait des appels du pieds à Kubrick (La musique, les scènes de fusillades), mais aussi à Coppola, notamment dans une scène brillante (sur la musique de 2001, cependant, Ainsi parlait Zarathoustra, de Wagner), et qui détaille les différentes parties d'un hélicoptère sous le soleil. C'est aussi à Coppola qu'on pense lorsqu'on voit la psychologie du personnage de Kitano, digne des meilleurs moments de Marlon Brando dans Apocalypse Now. Bien sur, on ne peut pas comparer, et je ne sais pas ce que sera la carrière de ce film… Mais il a tout ce qui faut pour devenir culte. A deux trois détail comme ça, à l'histoire, bien sur, à la dimension romantique de l'aventure, mais aussi aux rappels fédérateurs à un certain cinéma. D'ailleurs, la scène des règles du jeu est un modèle du genre : Fukasaku, on l'a déjà dit, est imprégné d'un certain cinéma américain, ainsi, c'est évident, que d'une esthétique inhérente aux mangas. Et l'utilisation d'une jeune nipponne en socquettes qui donne les règles comme s'il s'agissait d'une partie de cache-cache (alors qu'il s'agit de meurtre !) fait penser au décalage qu'il y a entre la situation et la télévision, que ce soit dans Robocop, Akira ou Brazil. C'est à la fois un hommage, et aussi un manière pour le réalisateur de faire comprendre au public qu'on est là, justement, dans la dénonciation et la parabole. Le terrain conquis, la connivence du public va permettre à Fukasu de foncer dans les outrances cinématographiques les plus sanguinolentes. Et pour le coup, il y en aura. Monstrueux cynisme, à chaque mort, un décompte s'inscrit à l'écran. Chaque mort est filmée de manière foncièrement jubilatoire.

Alors…Monstrueux, apologie de la violence humour trop noir pour être honnête, ceux qui n'auront pas vu le fil de la parabole, soit ceux qui ont vomi le film dans la presse pourront s'en donner à cœur joie. Mais pour ceux qui auront su voir plus loin, c'est un plaisir à chaque fois renouvelé. Parce qu'à son film de science fiction, Fukasaku ajoute des références au teen-movie, dont nous avions déjà parlé. Alors que nous sommes en pleine guerre, que la barbarie -au sens marxiste du terme- est dehors et fait rage, les filles et les garçons sont encore fleur bleu. La dichotomie entre les préoccupations (est-ce que Yokiro aime Karuka ?), leur volonté de réussir, de se projeter dans l'avenir et l'instinct de survie est horrible. Bien sur, tout le monde l'aura compris, Fukasaku se sert de cette histoire de meurtre sur une île pour dénoncer un système nippon qui, même s'il ne pousse pas au meurtre, exacerbe la compétition, l'esprit de vainqueur, et la propension à se marcher les uns sur les autres. Rajoutez à cela son quota de Fantastique : certaines morts - ou non morts d'ailleurs - sont parfois inexplicables et amènent des scènes contemplatives, de réflexions. A tout moment, lorsque l'horreur est passé, lorsque le cynisme a labouré notre rétine, Fukasaku s'amuse à nous rappeler que tout ceci est un jeu, un jeu où le réalisateur est le deus ex machina de l'affaire, jouant avec les caractère, montant en épingle certaines rivalités, illustrant par l'horreur le théâtre des sentiments, zigouillant les naïfs et les ordures… Ca ne vous rappelle pas quelque chose ce jeu malsain, ? Jeu malsain frère d'arme des jeux débiles de la real TV, et qui évidemment aurait plus fait mouche l'année dernière, pendant qu'on faisait des choux gras des dindes et dindons du loft, ou pendant qu'on regardait les clones d'Antoine le chanteur bouffer des vers à soie sur une île pourrie… Oui, c'est une critique plus qu'appuyée de la real TV, mais plus précisément de la société mercantile et déshumanisé qui regarde la Real TV. Un film qui fait froid dans le dos aussi, tant on le trouve outrancier, outrancier comme l'était le prix du danger de Boisset, qui racontait, en 1983, la dérive d'une télé qui proposait au chômeurs de longue durée d'échapper à des tueurs sous le regard d'une caméra, durant quatre heures. Un film d'une actualité effrayante aujourd'hui, et qu'aucune chaîne n'avait le courage de diffuser durant Loft Story Un film qui nous donne à espérer que BR n'aura pas la même destinée.