Le
film qui nous concerne ce soir est une œuvre littéraire
d’une belge que nous aimons ici, Amélie Nothomb, qui
né au Japon, en a toujours gardé une certaine orientalité,
et de toutes façons une originalité que personne ne
remettra en doute, puisqu’ils sont tout de même beaucoup
à la croire totalement folle.
Nothomb, n’est pas nouvelle dans le cinéma. Déjà
auteur du scénario tiré d’un de ses livres, Hygiène
de l’assassin, réalisé par le novice –et
pour tout dire mauvais- François Rugierri, par ailleurs acteur
dans le pathétique Subway du non moins pathétique Luc
Besson. Nothomb, restait sur l’échec relatif de «
l’hygiène.. » et n’avait vu depuis aucun
de ses films réadaptés, malgré une écriture
placée dans le ton de la fausse simplicité imagée,
ce qui sied en général aux adaptations.
Peut être est-ce pour ça qu’elle a décidé
de ne pas participé à l’écriture de «
Stupeur et Tremblement », le film qui nous concerne ce soir,
laissant à Alain Corneau le soin d’adapter lui-même
un livre qu’il dit l’avoir habité et dont l’adaptation
était devenu pour lui une nécessité. On connaît
Corneau comme un cinéaste français de très grande
qualité que la diversité des genres et le saut d’un
style à l’autre n’a jamais effrayé. En effet,
même s’il a connu la célébrité avec
la Série Noire, titre d’ailleurs d’un de ses meilleurs
films avec Patrick Deweare, comme aussi « Police python 357
», fabuleux film avec Yves Montand, et si l’on fait exception
de « Fort Saganne » poisseuse superproduction des honnies
années 80, Corneau est un fabuleux faiseur de contre-pied,
rehaussé d’un adaptateur fidèle et réputé
d’œuvres littéraires. Ce qui tombe bien, vous en
conviendrez.
Déjà très inspiré par l’orient dans
l’un de ses films précédent, « Nocturne
Indien », qui se déroulait à Bombay et racontait
la quête d’un homme pour retrouver un ami disparu, le
cinéma de Corneau sait s’adapter au lieux dans lesquels
il filme. Aussi, le pari de tourner ce film japonais –car il
est japonais qu’on ne le veuille ou non !- avec certes une approche
très occidentale mais des acteurs, des décors et des
ambiances japonaises était un vrai pari. Et le vrai pari ne
s’arrête pas là, puisque c’est en japonais
que le film a été tourné. Les acteurs Japonais,
que Corneau définit ainsi dans le « Positif » numéro
505 : « étaient toujours tenté d’aller plus
loi (…) cette émotivité qu’on appelle nous
désordonnée, bouillonnante, donne quand même des
clés ». Car il a été très difficile
pour l’auteur de diriger des comédien sur-émotifs
comme le sont les comédiens asiatiques dans une langue qu’il
ne connaissait pas. Et que dire du travail de Sylvie Testud, dont
on avait pu déjà mesurer le talent dans « Les
blessures assassines », sinon qu’elle est fort crédible
et d’une présence imparable, surtout si l’on songe
qu’elle joue pendant quasi 2 heures dans une langue qui lui
est étrangère ! Difficultés aussi de faire passer
au spectateur ce film donc en japonais dont les pensées intérieures
et le récit sont systématiquement off, ce qui n’est
pas évident en cinéma… Mais garanti l’équilibre
narratif. La voix off au cinéma, surtout pour une adaptation
littéraire est en général un artifice périlleux,
qui peut vite faire languir n’importe qui. Prenons exemple sur
« La gloire de mon père » d’Yves Robert :
cet artifice dans ce cas gâche carrément le film…
Alors que dans « Un éléphant
ça trompe énormément » du même
Yves Robert, la voix off est un soutien incroyable à l’histoire
et un instigateur subtil de l’humour du propos. « Stupeur
et tremblement » est plutôt de ce côté-là,
puisque la voix off est un jeu du film, un soutien de l’incommunicabilité
–factice- entre l’orient et l’occident.
L’histoire de « Stupeur et Tremblements », c’est
l’histoire finalement internationale, intemporelle et critique
de la vie de bureau, ici illustré par un cas extrême,
celui du Japon des années 90, c'est-à-dire à
une époque où la rentabilité et le cynisme des
années 80 étaient devenu assez commun pour avoir pris
sa place dans les administrations, et où la culture nipponne,
qui ne fait pas beaucoup de cas des sentiments personnels extérieurs
au profit de la masse faisait florès des brimades et autres
humiliations des inférieurs hiérarchiques.
Le roman de Nothomb, tout comme le film d’ailleurs puisqu’il
en est l’exact reflet est la traduction romanesque de cette
vie de bureau par la personne d’Amélie, petite belge
née au Japon et dont le rêve est de se croire japonaise.
Embauchée comme traductrice, Amélie est sous les ordres
d’une hiérarchie imposante et dont les coutumes très
orientales vont se heurter aux gaffes de la traductrice voulant trop
bien faire et dont la gaucherie vont conduire à la perte. Traité
avec beaucoup d’humour, le sujet est bien réussi car
il est excessivement universel sur le pouvoir et le rouage de la domination.
Le rôle de Fubuki, double japonais et crucificateur d’Amélie
est un rôle dont l’universel est évident, à
base de jalousie et de méfiance, d’humiliation ravalée
et de désir de vengeance sur le plus faible. C’est l’universel
de la vie de Bureau puisque c’est comme ça que marche
le capitalisme ! Mais aussi finalement le théâtre social
millénaire japonais, basé sur le rapport conflictuel.
Le rôle du patron « intermédiaire », l’affreux
Omochi, joué par le terrible Bison Katayama que l’on
peut voir dans pleins de films de Yakusa est très théâtral,
mais il montre bien quels excès peuvent entraîner cette
société hiérarchisée. Omochi, ressemble
un peu à Yubaba, l’affreuse grand-mère du voyage
de Chihiro, un être que la douleur et le pouvoir ont transformé
en une terrible machine sans cœur que seule l’humiliation
des autres fait encore un peu jouir. Un théâtre social
Japonais qu’illustre fort bien la reprise amusante de Furyo,
le film d’Oshima, auquel la jeune Amélie se réfère
pour se convaincre qu’elle est un peu David Bowie, la victime
d’une relation trouble avec l’Orient. Et l’occasion
aussi de montrer que la vie de bureau c’est la guerre, comme
dans cette scène onirique du combat de flingues, où
la fin tragique n’est pas sans rappeler la décapitation
de Ran, le chef-d’œuvre de Kurosawa. Et une Sylvie Testud
dont la candeur, et la façon un peu mutine de parler japonais
n’est pas sans rappeler la petite gaffeuse Chihiro dans son
voyage initiatique.
Par-dessus cette histoire, Corneau ficelle un film d’une beauté
esthétique troublante. Cinéaste de la quête de
sens, mais évoluant dans un registre beaucoup plus masculin
habituellement, comme dans « Nocturne indien », Corneau
ici filme les visages et s’attardent sur des gros plans d’un
qualité remarquable, et qui fait la part belle, le générique
est là pour nous le rappeler, aux deux protagonistes principales,
la belle Kaori Tsuji, mannequin de son état et Sylvie Testud
dont il mélange les visages au début.
Pour ce film où, nous l’avons vu, Corneau a pas mal joué
sur les références au cinéma japonais, Kurosawa
et Ozu en tête quoiqu’il s’en défende. Mais
l’utilisation d’une caméra numérique HD
a eu une autre conséquence, hormis sa maniabilité. En
filmant en plan très serré, Corneau s’est rendu
compte que les yeux des actrices avaient une profondeur inhabituelle,
qu’on pouvait détailler la pupille. Il s’est ainsi
amuser à les éclairer très fort, donnant l’impression
à plusieurs reprises d’yeux « Mangas », ce
qui cadre fort bien avec le propos.
En bref, « Stupeur et Tremblements » est un film a ne
pas louper, pour l’histoire vraiment très agréable
et pour le traitement fort intéressant d’Alain Corneau
et de son chef opérateur, le très talentueux Yves Angélo,
qui fait un travail époustouflant.