Yves Robert nous a quitté au cours de l'année 2002,
et c'est un pan du cinéma français qui s'est écroulé,
quoi qu'on dise, car c'est un cinéaste méconnu des cinéphiles
qui est parti, sans un hommage véritable, simplement parce
qu'il avait choisi un art difficile, celui du cinéma de divertissement
populaire, mot qui fait peur à cause de la signification que
lui a donné la télévision.
Yves Robert est un bon cinéaste. Et c'est surtout un homme
qui a su s'entourer. Dans "un éléphant ça
trompe énormément", qui sort en 1976, et qui est
une sorte de vaudeville moderne, sur les tromperies des hommes dans
une société en complète mutation, c'est avec
l'un des meilleurs compositeurs, Vladimir Cosma,
et un scénariste dans une forme olympienne, Jean-Loup Dabadie,
qu'il forme une triplette signant ce qui restera, à coup sur,
l'uvre sociologique la plus fidèle de ce qu'était
les relations hommes/femmes dans les années Giscard.
Cosma donc, avec une musique à la fois très construite
et qui semble épurée, très travaillé,
jusqu'au Klaxon. Dabadie, qui signe des dialogues de rêves
Comme Rochefort à la fin de la première partie, qui
dit à Annie Duperey :
"- J'ai envie de vous voir sans vos vêtements
-Quand vous dites sans vos vêtements, vous voulez dire nu, quoi
-Oui, nu"
Dabadie est en effet très en forme, inventant même, dans
"Nous irons tous au paradis", la notion de "type antisémite"
lors d'une engueulade entre Bouli et Pierre
Une description
du beauf que ne renierait pas Cabu lui même
ou dans les longs monologues off, très châtié
du héros, Etienne, joué par Rochefort. On notera le
travail très soigné du choix des personnages, extrêmement
coordonné avec le choix des acteurs : Rochefort, dans le rôle
d'Etienne, sombre fonctionnaire des Affaires Etrangères, formidable
de cynisme et de retenue, Victor Lanoux, dans le rôle de Bouli,
gros con beauf et dragueur minable et machiste comme ce n'est plus
permis, Guy Bedos, en médecin juif séfarade, accablé
par sa Marthe Villalonga de mère et enfin Claude Brasseur,
sans doute la plus grande réussite d"un éléphant
et de sa séquelle, "nous irons tous au paradis" en
homosexuel tu mais accepté par ses potes, dans ce qui reste
le premier "coming out" de cinéma
Etonnant
dans cette France conservatrice, mais en même temps incontournable
lorsqu'on regarde avec le recul cette histoire exclusivement masculine
et pourtant régenté par les femmes (Marie-Ange, qui
quitte Bouli, Mouchi, qui terrorise son fils Simon, Marthe (Danièle
Delorme) qui par sa droiture décourage Etienne de toutes aventures
extra-conjugales
) de devoir aussi, reconnaître aux homo
une existence. Parmi les rôles masculins, on retiendra également
les débuts de Christophe Bourseiller dans le rôle de
Lucien, amoureux éconduit de Marthe dans un rôle d'imperturbable
abruti.
Mais on notera surtout le travail d'Yves Robert dans le cadre, toujours
parfait, une mise en scène certes sans fioritures mais d'une
troublante efficacité, parce que jamais pris au dépourvu.
Un cinéma qu'on peut rapprocher d'un Billy Wilder à
la française... Si Robert avait été américain,
il n'aurait pas été autant méprisé !
Un classique, donc,
habitué de la télévision... Mais il ne faut pas
négliger ses classiques !