Le film qui nous concerne
ce soir sonne le retour sur l’antenne du cinéma asiatique
qui ne nous avait jamais vraiment quitté, puisque nous parlions
il y a peu du troublant « This is my
moon», le film Sri-Lankais présent lors du festival
« Regard sur le cinéma du Sud » qui a d’ailleurs,
puisque l’occasion m’en est donné, primé
en 2003, donc, le film Sud-Africain « Hi-Jack Story »
et l’Indien « Lagaan ».
Retour du cinéma asiatique, donc, et dans des contrées
de cinéma plus habituelles et plus médiatisées,
avec le cinéma japonais à l’honneur. Et pas n’importe
lequel, puisqu’il s’agit du grand retour d’un genre
plébiscité ici, le Manga, film d’animation japonais,
et plus précisément un film de l’orfèvre
en la matière, le vénérable Hayao Miyazaki.
Vous l’aurez compris, le film dont nous allons parler ce soir
est « Le château dans le ciel », déjà
présent depuis plusieurs semaines sur nos écrans, et
qui poursuit sa carrière avec succès, drainant de plus
en plus de spectateurs dans ses filets. Et pourtant, le film qui nous
concerne ce soir n’est pas un film récent, loin de là,
puisqu’il date de 1986, à une époque où
de telles productions n’était pas de mise sur nos grands
écrans, la réputation de « japoniaiserie »
pour toutes les productions nippones ayant été définitivement
promulgué par la vox populi, à cause du tort considérable
que les criminels d’AB productions ont porté à
l’animation asiatique de qualité, inondant le marché
de saletés ineptes.
Fort heureusement, il aura fallu un changement de mentalité,
de l’arrivée d’une véritable demande en
partie commandée par les jeux vidéos, mais surtout,
d’une manière plus cinéphile par l’éclatement
du talent incontournable d’un studio, le studio Ghibli, celui-là
même du maître Miyazaki pour que ces films nous arrivent
au compte-goutte, rétablissant ainsi devant nos yeux européens
une terrible injustice faite à un artiste de sa trempe, doublé
d’une fantastique frustration de ne pas avoir découvert
un tel univers plus avant, à l’époque de ce «
château dans le ciel », quand nous étions enfant
et que la cassette rongée du « Roi et l’oiseau
» de Paul Grimault et Jacques Prévert ne nous suffisait
plus et que les productions Disney n’arrivait même plus
à nous abêtir. 1986… En cette même année
Disney déversait sur nos plages un marasme noir comme une cuvée
de Prestige (le bateau), l’odieux « Taram et le chaudron
magique »… Tout un programme.
Miyazaki, on le connaît en Europe pour avoir été
le premier à nous montrer un Manga qui nous fit rêver,
en 1992 ; avec un film pourtant mineur dans sa filmographie, «
Porco Rosso », histoire d’aviation, nous allons le voir,
la passion de Miyazaki. Suivit alors un déferlante, avec les
œuvres d’Oshii, (« Ghost in the Shell ») ou
Takahata (« Le tombeau des lucioles »). Mais c’est
Miyazaki qui reste le plus célèbre d’entre tous
avec ses trois films devenus maintenant des classiques : « Princesse
Mononoke, », « Totoro » et le fantastique et primé
à Berlin « Le voyage de Chihiro
», qui reste sans doute son film le plus abouti et un chef d’œuvre
intemporel qu sera encore cité dans cent ans comme l’un
des meilleurs films du 2éme Siècle du cinéma,
soyons en sûr.
C’est donc avec une réputation de cet acabit que «
Laputa-Le château dans le ciel » a déboulé
sur nos écrans. Comme ces trois précédentes productions,
ce qui prouve que l’œuvre de l’auteur s’inscrit
dans une ligne de création imparable, le studio Ghibli et Miyazaki
ont voulus, dans cette fable, creuser les thèmes récurrents
: soit la fable écologique, ici poussé beaucoup plus
loin que dans Chihiro, ce qui rapproche le film de « Mononoke
». Mais aussi l’aviation, très présente
dans cette histoire qui ne pose pratiquement jamais vraiment le pied
à terre. Et bien sur le rôle des enfants dans cette histoire
où une jeune fille, Sheeta, est victime de la traque à
la fois de pirates de l’air et de l’armée, pour
récupérer une pierre aux vertus magiques qui la porte
dans le ciel, et sera sauvé par un jeune enfant mineur de fond
idéaliste, qui rêve de s’envoler pour découvrir
Laputa, l’île dans le ciel décrite par Jonathan
Swift dans « les voyages de Gulliver », persuadé
qu’elle existe. Bien sur, la jeune fille a cette pierre qui
mène à cette île dont elle est la princesse bien
qu’elle l’ignore et c’est en échappant à
la cupidité et au désir de pouvoir qu’elle va
réussir à sauver un bout de terre dans le ciel où
les arbres vénérables et les gobe-mouches sont dans
un paradis, gardé jalousement par d’ancien robots tueur
que la sagesse a rendu chenus, moussus et dignes des arbres.
La première chose qui vient aux yeux, c’est l’imparable
technique de Miyazaki, la qualité intrinsèque de son
travail qui ne laisse voir aucune faille, alors que le film a tout
de même plus de quinze ans ! Bien sur, on sera plus ébahi
par les productions récentes, mais quelle maîtrise !
Le film est mené avec une grande rapidité au début,
avec des animations très nerveuses et une intrigue très
proche de l’aventure, avant de prendre un tournant plus méditatif
et philosophique. On sent que Miyazaki en tentant encore une fois
de faire le pont entre sa culture asiatique et le fond littéraire
européen, ici Swift, réussit à nous livrer une
fable universelle, compréhensible par tous et d’une beauté
incroyable.
Au niveau des influences, parce qu’elles sont nombreuses, on
pensera au « Roi et l’Oiseau » de Grimault, incontournable
référence partout dans le monde, que Miyazaki utilise
là comme influençant directement l’histoire :
la lutte des deux petits contre le pouvoir et la folie des hommes
est un clin d’œil appuyé. Cependant, on ne saurait
parler de la référence principale, soit « La planète
sauvage », le dessin animé de René Laloux et de
Topor, dont Miyazaki s’inspire jusque dans les traits de tramages
de ses décors notamment dans toutes les scènes qui se
passe dans la forteresse de l’armée. Et encore plus patent,
ces robots tueurs à la puissance phénoménale,
que le calme inspiré a rendu sympathiques, sont directement
inspirés du dessin même de la planète sauvage.
Si le film avait été nouveau, on aurait tout aussi pu
parler du chef-d’œuvre de Takahata, « Le tombeau
des Lucioles », dont la puissance est là aussi un moteur.
Mais ce film date de 1988, c’est donc à l’inverse
Laputa qui en a été l’inspiration. Ainsi, l’explosion
provoquée par le réveil de Laputa, une explosion qui
ressemble à un champignon atomique, ce qui n’est pas
sans sens au Japon et la froideur de certaines situations rappelle
le calvaire des enfants du « tombeau des lucioles ».
On est heureux de redécouvrir des personnages récurrents,
et des obsessions de Miyazaki. Parmi ceux-ci le charbon, comme dans
Chihiro et son maître incontesté en la personne de «
Grand-père » quasiment le même que dans son œuvre
phare. Mais aussi les petites bestioles amusantes, ici les poissons
de Laputa… Et surtout tous ces personnages non enfant, qui ont
la particularité dans tous ses films de ne pas être manichéens.
Ici les pirates, par exemple, ne sont pas les gentils du début
mais le deviennent, comme certains personnages dans Chihiro. On est
heureux aussi de retrouver, dans le personnage du robot-tueur abandonné,
la solitude mélancolique du sans visage de Chihiro. On esest
heureux, pour tout dire de se retrouver dans un monde où l’on
semble avoir ses habitudes.
Il est un peu frustrant de faire comme ça le chemin à
l’envers dans un style cinématographique et de recoller
les morceaux du puzzle comme cela à posteriori. Mais c’est
le lot de tout ce cinéma qui a été considéré
comme du rebut jusqu’à l’aube des années
90. Mais c’est ainsi. Et c’est pourquoi il ne faut absolument
pas louper le train en marche.