Attendu comme étant
la dernière livraison des films marquant et primé d’un
festival de Cannes 2002 qui à défaut d’être
fabuleusement enthousiasmant et reflétant parfaitement le foisonnement
de sa sélection, le film qui nous concerne aujourd’hui
avait tout, au premier abord pour exciter nos sens en éveil.
D’abord, parce qu’il a obtenu le prix de la Mise en scène,
de haute lutte, mais aussi parce qu’on sait que le jeune homme
qui a réalisé ce film, Paul Thomas Anderson est un faiseur,
au sens le plus exquis du terme, un véritable manieur de caméra
à la technicité mille foi prouvée, tant dans
son gigantesque projet « Magnolia », œuvre somme
placée sous les auspices d’un Altman tutélaire
à qui, plus que tout, Anderson voue un culte que son premier
film, « Boogie Night », pavé trash dans la mare
de la bonne âme américaine avait déjà laissé
transparaître. Anderson, comme Altman, est un observateur amusé
et discret, mais qui sait être violent et cassant quand il le
faut, nous le verrons tout à l’heure. En effet, comme
son maître, Anderson est un cinéaste de l’excès
; et si son âge réduit fait qu’il n’a pas
encore l’aigreur et le cynisme d’un Altman frayant contre
son propre milieu dans « Short Cuts », l’animal
a tout de même déjà l’art de se moquer sous
cape et de transformer les afflictions de son prochain en du rire
ou de la colère. Encensé par les critiques comme l’un
des tenant du néo-classicisme de la réalisation américaine,
Anderson a pour projet, depuis le succès public mais surtout
critique de son Magnolia de réaliser une comédie légère
et piquante, amusante et loufoque, qui serait un projet moins ambitieux
que « Magnolia », mais pour lequel, sans doute, il aurait
plus de plaisir à saisir sa caméra pour lécher
au maximum ses plans. Ce film tant attendu, c’est « Punch
Drunk Love » Ivre d’Amour en français et le pari,
nous allons le voir est en partie réussi… Mais en partie
seulement.
Racontons donc cependant un peu l’histoire, pour vous allécher
un peu : Barry Egan est un jeune homme un peu bizarre qui dirige une
fabrique d’objet stupide : des débouche-chiottes distributeur
de bonbons. Entouré de sept sœurs castratrices et envahissantes,
qui cherchent absolument à le caser et ne font que lui pourrir
la vie, Barry se débat : en jeune vieux garçon maniéré,
il est attentif à tout : trouve une combine pour gagner à
moindre coût des miles d’avion grâce à une
faille dans une campagne publicitaire. Grâce au hasard et à
sa sœur la plus insupportable, il rencontre Lena Leonard, une
belle femme dont il tombe amoureux… Mais empêtré
dans plusieurs tourments en cascade, dont un chantage à la
carte bleue dont il est victime, il a du mal à se tenir correctement,
à être lui-même. Mais l’amour est plus fort
que tout.
Vous l’aurez reconnu, on tourne dans ce film autour de la «
comédie romantique à l’américaine »,
dite « New-Yorkaise » dans son extension principale et
traditionnelle, ici transférée sans dommage en Californie.
Anderson est un petit malin, et un petit malin cinéphile qui
plus est, et son film, bourré d’images époustouflantes
est surtout bourré de références, la plus évidente
étant bien sur le « Charade » de Stanley Donen,
avec Audrey Hepburn et Cary Grant, avec ses
couleurs extrêmement importante et son allure de comédie
musicale sans chanson. Ce qui est amusant, en fait, puisque qu’un
remake de Charade est actuellement à l’affiche, le honteux
« The truth about Charlie » du tâcheron talentueux
pourtant Jonathan Demme. Rien à voir dans l’histoire
sauf peut être les cachotterie et les faux-semblant, et les
tueurs d’opérettes, mais une connivence de plans, comme
cette scène à Hawaï entre les deux acteurs. Fan
de Comédie Musicale, Anderson a voulu s’inspirer du rythme
et de la souplesse, de l’espièglerie et de la douceur
des films de Donen, Minelli, Edwards, Wilder… Et bien sur Woody
Allen, auquel on pense bien sur, pas en tant que référence
mais en tant que passeur, qu’artisan du filon. Mais aussi bien
sur à Altman, dont il reprend la chanson « He needs me
» chantée par Shelley Duval dans « Popeye »
d’Altman en 1980. Bel essai, presque transformé, joli
joyau cinématographique, mais nous allons le voir finalement
pas très abouti, en manque de plusieurs choses que nous allons
détailler.
Le travail d’Anderson en tant que réalisateur n’est
pas à mettre en cause, nous l’avons déjà
dit : auteur de plusieurs scène fantastique comme cette scène
du supermarché, impersonnelle au possible et quasi angoissante
par son resserrement sur la vision obsessionnelle de Barry, ou cette
scène de l’accident volontaire des escrocs, tournoyante
et lente d’abord, puis d’une rapidité sanguine
ensuite. Dans tous ces plans et bien d’autres, Anderson doit
tout à son talent et à son association avec son Chef-op,
Robert Elswit, déjà fidèle sur les précédents
Anderson et –comme c’est étrange- responsable d’un
document sur l’un des autres mentor d’Anderson, l’agile
Richard Lester, réalisateur des films des Beatles, parmi lesquels
« Help ! », comédie musicale foutraque et décontractée
dont on sent là aussi l’influence « non sense ».
On sent que Anderson s’est plu à étirer ses plans,
à ne pas hésiter à tester les prises de vue,
à éviter de tomber dans la tendance mortifère
des jeunes réalisateurs américains actuels à
l’adrénaline pour l’adrénaline –type
Darren Aronofski, le réalisateur de Pi et de Requiem for a
Dream-. Mais c’est bien dans l’écriture que le
film s’est perdu. Car l’histoire de Barry Egan est un
bon pitch, mais l’on sent qu’en fan du film choral, Anderson
a voulu commencer plein d’histoires. Or, il n’en fini
aucunes. Les idées germent à la vitesse d’un point
noir sur le nez d’un skateur fan de Reggae mais sont brouillonées.
Ainsi que dire du personnage de Lena, la cherie de Barry, sinon qu’il
est crayonné à la va-vite ? Que penser des chutes environnantes
dans quasiment tous les plans de détresse de Barry, bonne idée,
très connotée, mais sans lendemain ? Que dire de cette
idée d’Harmonium laissé au milieu de la rue dans
une scène inaugurale très impressionnante, sinon que
l’idée est bonne –l’harmonie est au rebut,
à Barry de la réparer et de l’en faire sienne-
mais qu’elle est sans lendemain ? Et à quoi sert de nous
allécher avec la confrontation entre Barry et son maître
chanteur, le sanguin Philip Seymour Hoffman, habitué des frères
Coen et fidèle lui aussi à Anderson ? Très vite,
les histoires se succèdent sans fin… Et pour tout dire
avec pas mal de frustration !
Si l’on ajoute que ce film est composé, dans ses rôles
principaux d’Adam Sandler, jusque là consternante endive
remplaçant pitoyable de Mike Myers au « Saturday Night
Live » et acteur dans deux navets parmi d’autres qui constellent
sa filmographie : Little Nicky où il joue le fils du diable
et Coneheads, sur lequel il est inutile de s’étendre,
mais aussi d’Emilie Watson, la Meryl Streep des bobos, pleureuse
officielle du cinéma nordique et ci-devant nouvelle égérie
d’Altman, avec qui elle a fait le grinçant Gosford Park,
on se dit que tout n’est pas gagné d’avance…
C’est un peu comme commencer un marathon avec deux boulets aux
pieds, pour ainsi dire.
Et le résultat est étonnant : d’abord, Adam Sandler
a trouvé là un registre où il est bon, très
bon même pour tout dire : en benêt borderline, il est
confondant, à se demander même s’il n’y a
pas un peu de vécu. Il sert le film avec une vraie bonne volonté,
même s’il semble un peu comme nous ballotté dans
l’intrigue un peu fouillis du réalisateur. Le Hic reste
Emily Watson : pour rivaliser avec l’Audrey Hepburn de Charade
dont nous avons déjà parlé, il eut fallu une
actrice piquante et mutine. Et si Anderson pallie bien la platitude
de son actrice en rendant la caméra mutine à sa place
la scène à l’épaule du dépôt
de l’auto, en début de film), il faut bien reconnaître
que la madone des plates-formes est aussi piquante qu’une couche
culotte et aussi séduisante qu’une glace à l’eau
chaude… Et la question qui vient ensuite que faisait Julianne
Moore, ancienne collaboratrice d’Anderson ? Une peur rétrospective
ensuite. Dire que Watson a failli faire Amélie
Poulain à la place d’Audrey Tautou ! On aurait pu
assister à un beau gâchis !
Il reste de Punch Drunk Love une furieuse impression de jachère,
de film à deux doigts d’être formidable mais qui
ne s’en est pas donné la chance, de renouement raté
avec l’époque étincelante d’Hollywood…
Et surtout d’un impression de flou, de film avorté…
Au bout de 95 mn se demander pourquoi le film se coupe en plein mileu…
C’est dommage, parce que du coup on se sent comme éconduit
d’une histoire où l’on se serait bien laissé
porter 3 heures !