Le film du célébrissime
Ernst Lubitsch est sans doute l’un des
fleurons de la comédie romantique d’avant-guerre. Ce
film est un monument à bien des titres. D’abord parce
qu’il parle de la Russie et des purges staliniennes avec l’humour
et le détachement d’un New-yorkais que le communisme
n’effraie pas, et que, parce que Lubitsch est un européen,
il ne tourne pas en un ridicule convenu. Certes les trois larrons
du Komintern, Buljanov, Iranov et Kopalski sont truculents et caricaturés,
ressemblent à s’y méprendre aux pères de
la révolution russe (Trotski, Lénine et Staline) et
succombent bien vite au luxe bourgeois d’un Paris de studio,
mais ne sont jamais représenté comme des tyrans, juste
des hommes attirés par le clinquant. Ils sont à Paris
pour vendre les bijoux d’une aristocrate russe vivant dans cette
même ville. Mais un monument également parce que ce film
est l’archétype de la comédie romantique, que
les disciples de Lubitsch appliqueront avec zèle après
guerre avec Marilyn Monroe ou Audrey Hepburn.
Le scénario de ce film est d’ailleurs l’œuvre
de Billy Wilder, le trublion des années 50 hollywoodiennes,
auteur émérite de « Some likes it hot »
et autres joyeusetés. En effet, les recettes de Ninotchka sont
de vrais préceptes dogmatiques : soit une jeune femme belle
– Greta Garbo – que tout oppose à celui dont elle
va s’éprendre –Melvyn Douglas- et qui devront s’aimer,
mais loin du regard de tous… Ils sont nombres les film qui s’inspirent
de ce pitch !
Le cas Greta Garbo est aussi remarquable, car elle apparaît
pour la première fois dans une comédie, elle qui fut
la « Reine Christine » ou « Anna Karenine »,
bref des rôles de femmes fatales au destin immense. L’affiche
du film communiquait d’ailleurs sur le virage de Garbo, jusqu’alors
femme froide du nord de l’Europe : « Garbo Laugh ! »
dit le sous-titre… Garbo est merveilleuse dans ce rôle
de communiste intègre redresseuse de torts et envoyée
spéciale du KGB pour remettre dans le droit chemin les trois
émissaires encanaillés qui font également penser
–quelle ironie- aux Marx Brothers. D’abord froide et glaciale
: « l’amour que vous avez pour moi n’est que pure
réaction chimique », « quel est l’angle de
la tour Eiffel ? », uniquement travaillée par sa mission,
qui consiste à vendre tout de même les bijoux malgré
l’insistance de la comtesse Swana et de son émissaire
le comte Léon d’Algout dont elle tombera malgré
elle amoureuse. Hormis les habituelles réparties très
sophistiquées de Lubitsch, ce film est un joyau car c’est
la première fois que le maître tâtera de la politique,
avant de réaliser le très anti-nazi « To be or
not to be » en 1942. Réalisé en 1939, sorti un
mois après l’invasion la Pologne par l’Allemagne,
pays d’origine de Lubitsch, qu’il avait fuit pour cause
de répression antisémite, le film commence par une phrase
au cynisme aigre comme il en a le secret : « cette histoire
se passe à Paris, à l’époque où
une sirène était une brunette et pas l’annonce
d’un bombardement ».
Décrié par les critiques petites-bourgeoises de l’aristocratie
soixante-huitarde, comme étant anti-communiste, le film se
révèle prendre une autre image lorsqu’on le regarde
vraiment : lors d’une réception, Ninotchka la rouge lance
à la princesse Swana qui s’étonne qu’une
communiste porte un décolleté : « A l’époque
des tsars nous ne pouvions pas, car les coups de fouet aurait été
trop visibles »… Peut-être ceux qui ont jugé
trop vite devrait revoir le film.
Hymne à Garbo, le film est surtout un hymne à la liberté
: liberté de l’amour et Internationale des amoureux que
chacun pourra déguster avec une délectation unique…
Comme tous les films de Lubitsch