The ghost and Mrs Muir : Romantisme victorien


Parmi une liste de classique, il est, à n'en pas douter, indispensable de mettre ce magnifique film de Joseph L Mankiewicz qu'une chaîne câblée proposait dans le cadre d'un cycle consacrée à Gene Tierney, l'ensorceleuse actrice des années 40 à Hollywood, et dont nous avions déjà parlé dans le film du grand Ernst Lubitsch, "Heaven can wait". Premier grand film de Mankiewicz, qui nous offrira le mythique Cléopâtre en 1963 ou des grands classique (Eve, la comtesse aux pieds nus…) et même des plaidoyers anti-racistes (La porte s'ouvre).
Parmi cers joyaux, donc une perle, tournée en 1947 : "The ghost and Mrs Muir", traduit nouillement par "l'Aventure de Mrs Muir" en français.
Réunissant deux acteurs de charme, le beau Rex Harisson (My Fair Lady) et Gene Tierney, il raconte l'histoire d'une jeune veuve qui plaque sa belle famille envahissante pour une villa sur la côte anglaise. En cherchant cette villa, dans une scène d'ailleurs très rafraîchissante, digne des meilleures comédies américaines, elle découvre cette maison abandonnée, dont on dit partout qu'elle est hantée par un vieux marin bourru, l'ancien propriétaire, joué donc par Harisson. Tierney est éblouissante. Jouant sur la corde de l'émotion affleurante, elle mène cette histoire en essayant d'apprivoiser l'esprit de la maison, le tout rehaussé par des dialogues taillés par un orfèvre en la matière et des plans magnifiques avec un travail de lumière inoubliable.
Le film commence comme un vieux film victorien rempli d'histoires de fantômes. Les plans sont souvent en contre-plongée, les jeux d'ombres sont omniprésents, les portes grincent et les lumières vacillent. On reconnaîtra d'ailleurs, pour les plus observateurs, que Gene Tierney a sans doute énormément inspiré Alejandro Amenabàr pour le personnage joué par Nicole Kidman dans "Les Autres". A la fois dans les positions, les vêtements et dans la coiffure, c'est patent.
Cependant, on ne peut pas taxer ce film de "fantastique". Car si la première approche de ce film est censé vous faire peur, on se tourne très vite vers une vision réellement romantique des fantômes et de leur position "d'esprit" qui ne peut leur offrir que des amours platoniques. Car bien entendu le fantôme tombe amoureux de Mrs Muir et va lui servir de chevalier, expulsant la belle famille, menaçant de virer d'éventuels huissiers lorsque Tierney et sa petite famille (une bonne et la petite fille de son premier mariage) connaissent les affres de la ruine. Figure Romanesque, le fantôme cite du Keats, et sert de conscience à Mrs Muir. Il lui dicte un roman inspiré de ces aventures en mer, roman à succès qui la renflouera, il la retire des griffes d'un affreux séducteur déjà marié, l'ambivalent Georges Sanders… Et lui dira adieu en rêve, dans une scène mythique et d'une force poétique incroyable, qui nous fera presque douter de son existence passée.
La vie de Mrs Muir après la disparition du fantôme s'égrène mélancoliquement. Les paraboles de la vieillesses, grâce à des plans sur les vagues déchaînées nous emmènent jusqu'à une Mrs Muir vieillie, qui reçoit sa fille devenue grande (un des premier rôle de Nathalie Wood) qui lui révèle qu'elle aussi voyait le fantôme.
Il faudra attendre la scène de fin, qui dépeint une Mrs Muir mourante, pour revoir enfin le fantôme, prenant -enfin- dans ces bras une Gene Tierney rajeunie et resplendissante pour pouvoir assister à cet amour qui se dérobait à eux. Une des morts les plus heureuse du cinéma…