Le ciel peut attendre : La mort vous va si bien



Qu'a t'on déjà dit sur Lubitsch qui ne mérite d'être répété ? Tout. Chaque vision d'un film du maître incontesté de la comédie de moeurs, promoteur officiel de l'humour New-Yorkais, cynique officiel du cinéma américain, est un bonheur mille fois répété. Habitué à des films plus léger, Lubitsch livre ici l'un des ses derniers combats avec la comédie, et c'est certainement l'un de ses plus réussi. Tiré d'une pièce de théâtre qui devait être l'une de ces pièces de boulevard à succès qui hantent Broadway, il en tire, grâce à son sens inné du dialogue et de l'image l'une des plus émouvante partition de sa carrière, un joyau de confinement de studio, où chaque personnage, jusqu'au plus anodin, a une personnalité, un trait qu'il soit d'esprit ou de simple caricature. Chaque dialogue, chaque situation est un trésor, un vrai délice intellectuel. Jamais, et peut être plus jamais l'on réussira à méler aussi bien l'esprit et l'efficacité d'un scénario qui ne s'essouffle jamais, gomme toute lenteur ou même langueur, s'offre même le plaisir de courtes scènes oniriques, jongle avec tous les codes de la comédie hollywoodienne des années 40-50 (le film date de 1943) tout en les transgressant. Fait intervenir tout au long de sa description piquante de personnages haut en couleur (Charles Coburn magique dans le rôle de grand-dad, ou Eugene Palette dans le rôle de Strabel, le maquignon Texan, que Lubitsch égratigne avec une ironie toute New-Yorkaise…). Et l'air de rien, avec sa maîtrise inégalée de la comédie, avec sa finesse, il amène trois thèmes récurrent de la dramaturgie avec un mode mutin et léger : à la fois Casanova, Dorian Gray et Faust, Henry Van Cleeve, revoit avec le diable, le lendemain de sa mort, le film de sa vie. Comblé de femme, il nous permet de voir un homme qui malgré quelques aventures sans importance, n'a été pour toujours l'homme d'une seule femme, la douce et décidée Martha.
Eloge de l'amour unique de celui qui croyait vivre dans la Luxure, le film est magnifié par Gene Tierney, splendide et magnétique, à la fois mutine et glaciale.
Un peu délaissé par le grand public, Gene Tierney montre dans ce film tout le bien que l'on pense d'elle. Et si Lubitsch, règle de la comédie de comédie de l'époque oblige est quelque peu misogyne, il oublie assez vite cette règle pour faire un éloge de la femme à travers Tierney. Et on bénit quelques secondes l'inventeur du cinéma en couleur qui nous permet de découvrir la profondeur des yeux bleus de Gene Tierney qui rajoute à son jeu encore un peu plus d'épaisseur
Œuvre testamentaire à la gravité insoupçonnée, gardant la légèreté de son style et y ajoutant une réflexion insidieuse sur la vie et la mort (la scène du bureau du diable hésite entre le style victorien et l'expressionnisme allemand), incroyable tenue du scénario, c'est un des meilleurs films de Lubitsh… Et pour ainsi dire l'un des plus beaux films du monde !