Les Autres, un bel ouvrage

Ce soir, donc, nous parlerons du film "Les autres", un vrai petit bijou gothique, qui est sorti sur nos écrans entre Noël et jour de l'An, ce qui va peut être lui être préjudiciable. Pourtant, quoi de meilleur, après ces fêtes de fin d'année, alors que nous sommes ivres de dindes fourrées au marrons et de petits fours, de champagne tiède et de vin de gala, quoi de meilleur qu'un petit retour au toile, et à la plus vieille émotion cinématographique, la peur ?

Oui, la peur, qui bien avant l'amour et le rire, fut le premier vecteur de la transe des salles obscures, depuis les frères Lumière, on a peur au cinéma… Alors ouvrir 2002 sur un film qui fait peur, voilà ce qui peut arriver de mieux à nos mirettes cinéphiles. Le film dont nous allons parler ce soir, est un vrai film de trouille, comme on en avait fait peu depuis un large moment, un vrai produit ouvragé d'Hollywood, sculpté à la main, comme au bon vieux temps. Un film réalisé par… Un espagnol, le jeune et prometteur Alejandro Amenabar, qui, à n'en pas douter, va être la découverte de cette année, et c'est assuré pour longtemps une place doré parmi les réalisateurs intouchables d'Hollywood, de ceux qui assurent à la fois la réussite commerciale de leurs produits, tout en ayant une aura technique suffisamment grande pour garder l'œil attentif des cinéphiles. Amenabar, on le connaît depuis quelques années, par ses films bizarres, à la limite du fantastique, où même complètement dedans. Citons Tesis, un film sur une enquête dans le milieu des Snuff Movies où "Ouvre les yeux", fable mystico-paranoïaque avec Pénélope Cruz qui ressort sur nos écrans au milieu du mois de Janvier, et dont le remake américain, Vanilla Sky, réalisé avec Tom Cruise sera sur nos écrans au mois de février… Avec Pénélope Cruz ! La talentueuse espagnole aura vraiment été le plus bel ange gardien qu'Amenabar aurait pu espérer, puisque sa liaison avec son homonyme linguistique l'aura amener à se faire produire par l'un des producteurs les plus en vue d'Hollywood.

Avant de parler du film en lui même, duquel on ne peut dire grand chose et ça nous y reviendrons, il est bon de noter différentes choses à propos d'Amenabar. D'abord que comme Fincher à l'époque de ses premiers coups d'éclats, le petit salaud à moins de 30 ans, et une maîtrise parfaite de la technique cinématographique. Mais aussi, et comme je l'ai dit au début, qu'il réalise un vrai film Hollywoodien, au noble sens du terme, avec une maîtrise qui ne se départi pas d'un bout à l'autre, et qui lorgne vers les maîtres sans les singer. Ce qui est parfaitement incroyable, c'est que ce petit chef-d'œuvre est à mettre à l'actif d'un espagnol. Comme Jeunet en son temps, qui en venant réaliser un Alien 4 de folie, réapprenait aux américains la recette d'un film fantastique efficace, Amenabar est venu mettre une baffe à tous les fainéant tacherons de l'industrie hollywoodienne en leur rappelant les recettes d'un vrai film d'angoisse pure, avec des moyens simples et un scénario béton, doublé d'un script qui fait mieux que de tenir la route. La grande question est là : que se passe-t-il en Amérique pour que ce soient les européens qui leur rappelle pourquoi leur cinéma est devenu le plus efficace du monde ? Peut être parce que ce sont ceux qui le regardent en cinéphile, et non pas en terme de profit, ou de "public". "Les autres" n'est pas un film "public", visé, calibré. Le film d'Amenabar parle au cœur et au cerveau avant de parler au porte-monnaie, et il va pourtant marcher. C'est aussi une leçon de la mondialisation.

On va en parler, tiens ce scénario qui tient si bien la route, et l'on reviendra sur la technique après, sur laquelle on peut plus s'étendre ; parce que justement, il va faire parler, alors que ceux qui l'on vu ferait mieux de fermer leur clapet, de faire un "cut" sur l'histoire. La seule chose que ceux qui ne l'on pas vu ont le droit de dire, c'est ce qui suit, alors prenez des notes, et quand vous le conseillerez à vos petits camarades, voici ce qu'il faudra dire : "C'est l'histoire d'une femme un peu roide, jouée à la perfection par Nicole Kidman, qui habite un château lugubrement victorien dans l'île de Jersey avec ses enfants au sortir de la seconde guerre mondiale. Le brouillard épais les a coupé du monde et une maladie étrange éreinte les enfants depuis leur plus jeune âge : la lumière du jour peut les tuer, ce qui oblige la mère à les confiner dans un clair obscur angoissant et sujet à plusieurs terreurs enfantines. Kidman est parfaite, on dirait Kim Novak dans Vertigo, et les gamins sont crédibles, presque autant que le gamin de Shining, ce qui change des merdes de Spielberg ou de Shyamalan… Le reste, motus"

Parce que "Les autres" est un de ces films, qui, mis à part le plaisir - je le répète - immense que l'on prend à la réalisation, est invalidé par le dévoilement de la fin. Comme pour "Usual Suspect", comme pour "Fight Club", savoir la fin du film d'Alejandro Amenabar fait quand même perdre une bonne partie du plaisir que l'on en a. C'est ce qui fait d'ailleurs que plusieurs rustres de soirées mondaines, ces petits rigolos qui ressortent ce qu'ils ont appris en regardant les critiques cinémas de Première, comparent ce film au "Sixième Sens" de Shyamalan… Que ceux là soient brûlés en place de grève, face aux huées de leurs congénères, leurs lançant des abricot secs au visage en signe d'humiliation. Car la vrai différence entre le superbe film d'Amenabar et la nigaude anticipation du fils caché de Steven Spielberg, c'est que de deux scénarios très riches, l'un a fait un classique Disney avec le gosse qu'on souhaiterai finir au talon avant de lui coller la tronche dans les chiottes, et que l'autre pose son histoire, ne s'appesantit pas sur les mômes, ne les utilisant que comme prétextes. L'autre différence, c'est que lorsque l'un digère mal l'électrochoc de Shining ou de Carrie (Close-up sur les objets usuels, lents travellings arrière), l'autre sait réutiliser les vieilles recettes, travaille sa photo pour donner un langage "noir et blanc" à sa couleur, utilise la vieille technique d'Hitchcock du "coup de zoom en travelling", film bas, utilise la contre-plongée, sait s'éloigner des visages… Bref, a bien compris que la peur au cinéma n'est pas que l'apanage de la grandiloquence, et qu'il existe d'autre voies, plus classique, plus gothiques aussi. La recette est d'ailleurs d'une efficacité remarquable, puisque la salle dans laquelle je me suis rendue pour le voir vibrait réellement aux événements du film. Il y a même un moment dans le film où toute la rangée qui était devant moi à sursauté au même moment, devant la montée progressive de l'adrénaline.

On ne finira pas sans parler de Nicole Kidman, qui apparaît comme l'actrice en vue ces dernier temps, à la fois par le choix de bon film, de réalisateurs talentueux, mais aussi par une gamme de jeu insoupçonné… Le journaliste de Télérama parle d'unique effet spécial en ce qui concerne Kidman dans ce film, mais ce n'est pas autre chose… Amenabar la rend indispensable au cadre, joue avec son visage qui prend extrêmement bien la lumière (nous avions eu l'occasion d'en parler lors de la critique de "Moulin Rouge", mais c'est Kubrick dans "Eyes Wide Shut" qui avait su l'utiliser à plein en premier…) et table, construit chaque circonvolution de son scénario autour d'elle. Un film à voir, tout de suite !