François Ozon : cinéma d'auteur et succès public

Nous ne reviendrons certes pas sur la carrière de François Ozon de manière chronologique, tant cette émission et le site Internet qui en découle en sont rempli. Mais à l'occasion de la sortie d'un coffret DVD conséquent et assez rare dans l'histoire du support, il était naturel de revenir quelque peu sur le réalisateur français fétiche de l'émission Habillé pour l'Hiver. Pour ceux qui voudraient que nous leur parlions de "Sous le Sable" ou de "Huit Femmes", nous vous proposons de vous reporter au site Internet. Dans cette chronique, nous parlerons avant tout de la qualité du DVD, des autres films et des courts-métrages, ainsi que du cinéma de François Ozon, un véritable cinéma particulier, à la fois cinéma d'auteur et proche d'un certain public.

Il est de certains réalisateurs ainsi qui ne passent pas inaperçu : nous aimons dans cette émission les réalisateurs qui ont un univers qui leur est propre, et surtout qui sont eux-même des cinéphiles. Preuve en est qu'Ozon est de cette race, c'est qu'il avoue lui même plusieurs parenté. La plus évidente est sans conteste celle du réalisateur allemand Rainer Werner Fassbinder, dont il reprends certains thèmes, comme l'homosexualité par exemple. Le réalisateur de "Lili Marleen" était un homme assez trouble, aux mœurs douteuses, proche du proxénétisme par exemple. Et si le personnage de François Ozon est beaucoup plus policé, on peut noter quand même une certaine fascination pour le vice, qui transparaît dans tous les plans, et qui se note également dans son amour pour le cinéma de Cronenberg, lui qui avoue placer "Crash" comme l'un des meilleurs films de la décennie 90, ce pourquoi on ne saurait le blâmer, puisqu'il a tout à fait raison.

Ozon est un pur produit de la FEMIS, l'école qui a supplanté l'Idhec il y a maintenant un bon paquet d'année. Nous avons suffisamment critiqué la FEMIS dans cette émission, à cause d'une certaine uniformité chiante dans les réalisations de leurs élèves, pour ne pas reconnaître humblement le talent intrinsèque, la tête bien faite et le background malin d'un de leur produit. Effectivement, les films d'Ozon à l'inverse d'une Laetitia Masson ou d'un Olivier Assayas, ne sont pas des psychodrames poussifs entre deux protagonistes d'un couples de jeunes bobos parisiens qui se déchirent par ennui. Ozon porte en lui une vérité artistique qui n'est pas celle d'un tâcheron pour Inrockuptibles qui se filment le trou du cul avec application, sur une musique nullissime, et des dialogues si platouilles qu'on les dirait écrits par un atelier d'écriture de CM2. Il n'y a qu'à voir un seul de ses courts-métrages pour se rendre compte de son travail, et de la maîtrise de la réalisation et de la scénarisation.

Mais certaines des œuvres sont tournées en super-8, et ont été réalisé avant son entrée dans l'école de la FEMIS. On peut donc dire que le vrai talent de François Ozon a éclaté parce qu'il a su avaler le savoir technique indéniable des cinéastes qui l'ont formé, et aussi imposer face au marasme ambiant du scénario sa propre vision du monde. Il n'est d'ailleurs pas tendre avec son école, puisqu'il révélait à Positif en 1996 cette sentence tonitruante : "Vous faites une grande école qui donne l'équivalent d'un Bac+6, et vous vous retrouvez au RMI" et surtout, ce jugement d'une vérité terrible "Le problème, c'est que le concours était celui d'une grande école pour khâgneux. Il écartait les candidats qui avaient une grande créativité mais étaient incapables d'écrire un devoir structuré en trois parties". Il ne la voit d'ailleurs que comme un grosse boîte de production, qui lui a permis de faire des films de qualité. Bref, il a utilisé l'outil, mais n'a pas forcément gardé l'apprentissage lénifiant d'un certain conformisme post-nouvelle vague.

Justement ses courts-métrages, nous y venons, car c'est l'un des points très intéressants du coffret DVD que nous vous présentons ce soir. Ozon vient du court, et il en garde une fierté qui transparaît dans chacune de ses apparitions et de ses interviews. Il disait dans le même entretien avec la revue Positif, que le court-métrage, c'est du bénévolat, presque du volontarisme. Et même s'il reconnaît avoir favorisé le court aussi par fainéantise parce qu'il est facile à écrire rapidement et à tourner facilement.

Résultat, plus de trente courts-métrages à l'age de 35 ans. Dans le coffret DVD, on en découvre une bonne dizaines, parmi ses plus célèbres et ceux -multiples- qui ont remporté des prix. Parmi ceux-ci, on en ressortira deux, parce qu'ils sont particulièrement représentatif du travail du réalisateur, mais aussi parce qu'ils marquent la carrière de leur géniteur.

Une robe d'été est le premier de ceux-ci. Il se trouve sur le DVD spécial regroupant ses courts-métrages. Celui-ci, il a obtenu le Léopard au festival de Locarno. Ca peut paraître pas grand chose, mais c'est l'un des prix les plus prestigieux pour les courts métrages. Dublin aussi, Pantin, Grenoble, Genève, Brest… Tous ces festivals ont encensé ce petit court métrage de 15 minutes qui raconte l'histoire trouble d'un couple de garçons bi-sexuels, dont l'un à une aventure avec une belle espagnole sur la plage… il se fait voler ses affaires et qui est contraint de rentrer en vélo avec la robe de son amante.

On retrouve dans ces quinze minutes très fortes plusieurs thèmes récurrents des productions d'Ozon : La Plage d'abord (si vous regardez attentivement, vous vous rendrez compte que la plage est la même dans "Sous le sable"), l'homosexualité et les aventures sexuelles courtes et passionnées. Mais on trouve également le kitch des chansons. Vous aurez pu découvrir il y a quelques semaines, la Bande Originale du film 8 femmes pleines de ses chansons un peu désuètes, et tous les films déjantes d'Ozon sont rempli de ces petits Gimmick. Dans son chef-d'œuvre "Gouttes d'eau sur pierres brûlantes", on peut découvrir un morceau de Disco allemand du meilleur effet, le fabuleux "Tanze Samba mit mir" de Tony Holiday.

Pour le deuxième court-métrage dont nous parlerons ce soir, "Action-vérité" on retrouve en quatre minutes terribles, toutes les images-forces, tous les tourments d'un cinéastes qui a sans doute du vivre très mal une adolescence qu'il filme avec bienveillance, mais aussi comme un regard malsain. Ici, quatre ados jouent à ce jeu, et les ceux-ci tournent toujours un peu plus autour du sexe. Au bout de quelques questions, l'un des deux garçons demandent à l'une des deux filles de mettre sa main dans la culotte de l'autre. Elles se regardent en pouffant, puis elle lui met la main dans le slip. Elle la ressort, la main pleine de sang. Cut.

On ne s'appesantira pas sur les films, on vous a déjà dit tout le bien qu'on pouvait en dire. Cependant, attardez-vous sur les commentaires de François Ozon et de l'équipe technique pour la plupart des films. C'est particulièrement intéressant pour voir le rapport du réalisateur à l'image, à la composition et au travail de la lumière, surtout dans Gouttes d'eau, avec le commentaire de la chef-opératrice Jeanne Lapoirie. On ne sera alors pas étonné de la rigueur de son travail, lui qui a tout de même entrepris de remonter les "amants criminels", certes loin d'être une réussite, pour cette édition DVD.

Le cinéma d'Ozon est un cinéma malsain dans le bon sens du terme, un cinéma irrespirable, proche d'un certain cinéma surréaliste. Méchant et même parfois sordide, mais toujours avec des petites zones de relâchements, de franche rigolade. C'est la danse dans "gouttes d'eau", les scènes gratuites dans "Sitcom", les pièces chantées dans "8 femmes". C'est en tout cas un cinéma tout à fais à part, qu'il faut absolument découvrir. Et cet excellent coffret DVD est sans doute le meilleur moyen d'embrasser son œuvre dans toute sa splendeur.