Nationale 7 de Jean
Pierre Sinapi
Nous l'avons déjà
évoqué la semaine dernière, le film de Jean Pierre
Sinapi est une véritable réussite, de ce genre d'uvre
qu'on a envie de défendre, et ça tombe bien c'est ce
que nous faisons. Issu du petit écran, cette fiction extrêmement
réaliste, tourné en DV amateur, comme tous les films
du cycle "Petite Caméra", n'était pas destiné
dans un premier temps à l'exploitation cinématographique,
même si Sinapi avouait la semaine dernière dans cette
émission qu'il l'avait tourné avec la petite idée
derrière la tête de le sortir envers et contre tout au
cinéma.
Et qu'il aurait été dommage de se priver d'une telle
bouffée d'air frais ! Même si le grain de la DV peut
paraître insuffisant à une bonne qualité de l'image,
le résultat un fois Kinescopé, c'est à dire transféré
sur bande 35mm donne un résultat chaud, et qui révèle
de plus en plus le support numérique comme une des voies du
cinéma moderne, notamment grâce à la légèreté
de l'outil.
Mais c'est l'histoire qui emporte tout, et qui a certainement prévalu
à la sortie salle de ce petit film, petit film en forme de
conte de fée pour le réalisateur d'ailleurs, puisqu'il
est directement passé des productions d'Arte à la sélection
des film en compétition à Sundance, et qui a même
connu la consécration d'un très recherché prix
du public au prestigieux festival de Berlin. Quelle en est la raison
? l'histoire très délicate d'un foyer pour handicapé,
de sa vie quotidienne, qui mélange acteurs et pensionnaires
véritables. Au milieu d'eux, René, myopathe de 50 ans,
truculent et doté d'un caractère de cochon, et dont
la principale préoccupation est de trouver quelqu'un qui aurait
l'obligeance de faire l'amour avec lui. La sexualité des handicapés
étant un sujet tabou, le film aurait pu tomber dans la critique
sociale poussiéreuse ou dans le misérabilisme bon teint
version Huitième jour, le film sur les trisomiques. On en est
loin, d'abord car on sent Sinapi trop proche du problème pour
en faire une pleurnicherie toute chaude pour la une de télé
7 jours. Le spectateur n'est jamais mis en porte à faux face
au gros plans sur les handicapés, qu'ils le soient réellement
ou qu'ils jouent un rôle. Les personnages sont formidablement
campés par des acteurs talentueux et confirmé (Thomassin,
Neuwirth). Il faut tout de même donner une mention spéciale
aux trois acteurs qui emmènent le film aussi loin et qui portent
l'ambition du réalisateur : Nadia Kaci d'abord, en Animatrice
courage qui va affronter la tempête René et qui va faire
des pieds et des mains pour qu'une prostituée déniaise
le myopathe et son fauteuil roulant. Saïd Taghmaoui ensuite,
en handicapé homosexuel fan de Johnny qui veut se convertir
au catholicisme / et surtout Olivier Gourmet, à qui échoit
le personnage de René, et qui en fait un personnage double,
tiraillé par le sexe et proprement insupportable qui va devenir
un agneau après avoir connu ce plaisir qu'on dit charnel
Un film sur le plaisir, un film Rabelaisien qu'on vous invite à
aller voir plutôt que de mater hypocritement les exploiteurs
digne de Freaks du Téléthon. Car la sortie du film n'est
certainement pas anodine.
Sous le sable de
François Ozon
L'univers de François
Ozon est particulier dans l'histoire contemporaine du cinéma
Français : Ce Réalisateur, encore jeune a déjà
réalisé une tripotée de Films, dont certain ont
eu un accueil public plutôt bon, comme peut en juger les entrées
qu'avait réalisé des films comme sitcom ou comme les
amants criminels. Et pourtant, on ne peut pas dire que son nom évoque
tout de suite une palanquée de film. Les plus célèbres,
que nous avons déjà cités ne sont d'ailleurs
certainement pas les plus aboutis : le premier film convaincant de
François Ozon, c'est très certainement son dernier,
paradoxalement d'ailleurs celui qui a connu une indifférence
périphérique certaine : il s'agit de l'excellent "
Gouttes d'eau sur pierres brûlantes ", tiré de la
pièce de Fassbinder. Comme si d'ailleurs la rencontre avec
le maître dramaturge allemand avait changé sa manière
de concevoir les choses, Ozon, depuis Gouttes d'eau
et y compris
dans le film qui nous intéresse aujourd'hui, sous le sable,
les personnages ont pris une dimension qu'ils n'avait pas auparavant,
une abstraction qu'il n'avait peut être pas su donner aux héros
des amants criminels, par exemple
Habité par la mort, les films d'Ozon se devait un jour de traiter
de l'impossibilité du deuil.
C'est chose faite avec son dernier film, sous le sable. D'abord les
premières séquences, très belles et très
mélancolique avec une Charlotte Rampling borderline, qu'on
croit toujours à deux doigts d'éclater en mille morceaux
le cadre de l'écran. Si le film porte bien son nom, c'est avant
tout par le confinement, le mal-être permanent de cette femme
dont le mari, Bruno Cremer, a disparu corps et bien sur cette plage,
et dont elle refuse avec insistance de croire à la mort.
L'utilisation de charlotte Rampling a du combler d'aise le réalisateur,
d'abord parce l'actrice est ce genre de beauté fatale qu'il
devait chercher depuis longtemps, peut être même son Ingrid
Caven à lui, mais aussi parce que l'actrice au jeu très
dépouillé s'intègre parfaitement dans l'image
d'Ozon : elle n'a pas à faire beaucoup de geste pour exprimer
un sentiment, et c'est ce qui sied au cinéaste qui se régale
à la fixer, à la souligner, à la scruter.
Dès lors, les scènes se font beaucoup plus contemplatives,
allant même jusqu'au plan quasi fixe sur une Charlotte Rampling
qui n'a plus rien à prouver et qui est, pour le coup, proche
des grandes héroïnes de Fassbinder, le maître de
François Ozon. Parmi ces scènes très lentes,
tout comme d'ailleurs dans son film précédent, Ozon
insère des scènes d'une cruauté gratuite, d'une
violence verbale incroyable, comme si ces personnages, à la
limite ultime entre raison et folie, avaient des passages de démences
qui les faisait avancer dans l'histoire au même rythme que leurs
propres entrailles. Quand on apprend à Marie que l'on a retrouvé
un corps, et que celui ci pourrait bien être son mari, celui
qu'elle croit toujours vivant, elle en finit de basculer dans la folie.
L'univers de François Ozon en déroutera certainement
pas mal, mais il plaira à ceux qui aime les films qui ont un
univers qu'il leur est foncièrement propre. Il prouvera de
toutes façons à ceux qui en doutait encore que Ozon
est un jeune réalisateur qui a quelques longueur d'avance sur
ceux de sa génération, d'abord parce qu'il mène
des films qui porte en eux le gène de la cinéphilie
sans être pour autant abscons, et qu'en plus les références
anciennes de ce cinéaste sont résolument modernes.
Traffic de Steven
Soderbergh
Ceci ne sera pas franchement une
chronique objectivez, mais plus exactement un cri d'amour. D'amour,
oui, car s'il existait un prix à rendre au nom des arçetes
dans la friture, à remettre au plus grand réalisateur
non francophone vivant, avant Fincher, avant Michael Mann, avant Ang
Lee, avant Burton, avant Jarmush ou Coen, il y aurait Steven Soderbergh
a récompenser à égalité avec Terry Gilliam,
c'est vous dire
Et si mes collègues ne sont pas d'accord,
je rappelle que je me tape toutes les chroniques chaque semaine, et
que l'émission est sous-titrée de mauvaise foi, alors
Mais Bref
Steven Soderbergh, a 38 ans, il a obtenu un palme
d'or pour son premier film, Sexe mensonges et vidéo, ce qui
est assez remarquable pour être noter, et c'était en
1989. Cette année, 12 ans plus tard, il est nommé pour
deux films aux oscars, Erin Brokovitch et traffic, ce qui n'était
pas arrivé depuis 1938 et Franck Capra
Ce qui quand même
est une putain de référence. Cette référence,
d'ailleurs, nous y reviendrons plus tard. Entre les deux, Soderbergh
a complètement abandonné Hollywood pour le film d'auteur,
le temps notamment de faire l'un des meilleurs film qu'il m'a été
donné de voir, Kafka, biographie imaginaire du célèbre
écrivain en noir & blanc. Un film qui lui vaudra la haine
d'Hollywood (trop compliqué).
Pendant des années, Soderbergh a été un paria.
Personne ne voulait tourner avec lui. Son dernier essai pour Columbia
est un échec "King of the Hill", qui se passe pendant
la grande dépresssion de 1929, est jugé trop politique.
Sven quitte alors Hollywood et retourne en Louisiane pour y faire
des films expérimentaux ( Schizopolis, nommé a Cannes
en 1994).
Soderbergh frappe alors très fort en 2000. Après avoir
offert l'un de ses meilleurs rôles à Clooney en 1998
("Hors D'atteinte") Il retrouve la magnifique Julia Roberts
dans Erin
et ce qui est alors considéré comme
un futur échec commercial se tranforme en retentissant succès
; le film dépasse aux Etats Unis la barre des 100 millions
de $. Etonnant de la part d'un film polardisé et articulé
autour de la politique. Car le combat solitaire d'Erin contre le magnats
de l'immobilier et de l'industrie accusés d'empoisonnement
prémédité est nécessairement de la politique.
Traffic, le film qui nous concerne aujourd'hui, est du même
acabit. On y parle de trafic de drogue, d'échange entre les
States et le Mexique qui ne relève pas vraiment de L'ALENA,
et le film, qui de ce point de vue ressemble au fantastique révélation
de Mickaël Mann, est traité comme un véritable
documentaire, comme si le film était tourné par un journaliste
en planque, caméra sur l'épaule, et suivrait illégalement
les grands barons de la drogue, notamment Benicio Del Toro, un acteur
dont on parle pas encore au point ou l'on va en parler d'en quelques
années, mais qui livre un de ses rôles les plus enthousiasmant
du moment. C'est a noter, cela, aussi, les grands acteurs américains
s'arrachent désormais tous le casting des Films de Soderbergh.
Dans ce film, on retrouve, outre Del Toro, Zeita Jones, Michael Douglas,
Peut être faut il parler du film, même s'il est impossible
de raconter le film. Il se compose de trois histoires, qui s'imbriquent
les unes dans les autres avec beaucoup de minutie. L'une est au Mexique
chez les producteurs, l'autre au même endroit, chez les flics.
Le dernier se passe chez le Monsieur Drogue de la Maison Blanche,
dont la fille est (comble du comble) cocaïnomane. Le film se
révèle de scène en scènes, s'imbriquant
les unes dans les autres.
La trouvaille magnifique de Soderbergh est d'avoir attribué
à chaque histoire un couleur différente : l'utilisation
systématique de filtres pourrait passer comme un artifice facile,
mais pour le coup, chaque histoire prend un relief différent
grâce à cela. On est dans l'hypersolarisation au Mexique,
par exemple, et l'atmosphère, coup d'il entendu, ressemble
a certains polars des années 70, comme ceux avec Pacino de
Sidney Lumet ou Sidney Polack. C'est à noter d'ailleurs. L'utilisation
magnifique de Michael Douglas, dans le registre dans lequel évolue
Pacino, dont il ne sera pas de trop de dire que décidément,
il a retrouvé son top niveau depuis Wonder Boy. Un Michael
Douglas dont le moins qu'on puisse dire que Soderbergh lui a offert
un grand passage. L'univers de chaos Bleuté qui envahi ses
scènes, si bien coordonnée avec ses yeux est une véritable
réussite.
On ne saura pas vous en dire plus sur le film de Soderbergh. Juste
que si vous aimez le cinéma américain politique, si
vous avez aimé le film précédent, Erin Brokovitch,
ce film vous laissera un bon bout de temps sur le cul. Et c'est tout
ce qu'on demande au cinéma.