La Fleur du Mal : La haine discrète de la bourgoisie


Le film qui nous concerne ce soir, est comme un chausson, une petite sandale commune dans lequel on aime bien se plonger. Il est des films comme des objets familiers, et le film chroniqué ce soir n’échappe en aucun cas à la règle. Nous avons tous des petites habitudes de cinéma ; des gens que l’on suit comme qui dirait les yeux fermés, bien que ce soit difficile et qui ne déçoit pas, même si l’on ne s’en trouve pas chamboulé. Il est des tonnes de réalisateurs qui ont fait ainsi leur trou à l’écart des grandes écoles et des grandes modes du cinéma, comme finalement pas mal de réalisateurs français, comme Pialat qui nous a quitté il y a peu, comme Sautet ou Yves Robert… Comme tous ces réalisateurs,qui ont su faire un sillon en dehors de l’académisme changeant des époques reculées ou Hitchcock, rappelons nous, n’était le génie indubitable qu’il était, où il n’avait comme fan français que le réalisateur du film qui nous concerne aujourd’hui et un Truffaut débutant, contre plusieurs poussah de la critique qui comme les New-Yorkais trouvait le maître anglais poussif et maniéré.
Ce réalisateur, vous l’aurez tous reconnu, il s’agit du grand Claude Chabrol, qui a su se faire une place de choix dans le cinéma français, bien à cheval sur ce cinéma intermédiaire qui nous tient tant à cœur, ce cinéma qui touche à la fois un très large public et sait se rendre intransigeant et d’une qualité incontestable. Chabrol, comme tous ceux que nous avons cité est un grand cinéaste, mais avec un petit quelque chose en plus, un vieux relent de mauvaise foi grinçante, un vieille odeur de haine du faux-semblant croquignolette, une détestation sincère de la bourgeoisie de province et de la bourgeoisie tout court qui ne peut que nous enchanter tant elle est subtile et ne se dément pas depuis autant d’années. Le film de ce soir, vous l’aurez sans doute reconnu, il s’agit de « La fleur du mal », histoire de famille bourgeoise bordelaise et véritable marotte de Monsieur Chabrol, mettant en scène une nouvelle troupe d’acteur, Magimel en fils de famille un peu en marge des histoires, Nathalie Baye en Bourgeoise paumée réfugiée dans la politique par oisiveté, Bernard Lecoq, incroyable en rôle de salaud intégral, Suzanne Flon en mamie secrète et grave, et Mélanie Doutey, jeune première à qui Chabrol offre là son premier rôle qui compte, et qui la marquera à n’en pas douter, en cousine de Magimel follement amoureuse dans cette famille des Charpin-Vasseur ou le poids du secret de famille et de l’atavisme les poussent à se marier entre eux et à se taire à tous jamais. Doutey follement magnétique qui s’est creusé à n’en pas douter, en un film une place de choix dans le monde des espoirs où l’on se lasse un peu pour tout dire des tire-essuie à la péremption rapide comme les platouilles Cécile de France et autre Marion Cotillard. Doutey a cette chance de se colleter à cette histoire de sombre vengeance et de vice génétique, digne d’un Flaubert moderne et qui règle ses comptes à une certaine vision de la dignité bourgeoise.
Chabrol est un cinéaste marxiste qui s’ignore peut être bien que l’on puisse en douter légitimement, mais pas un cinéaste revendicatif, non, juste un cinéaste de l’exemple, de la démonstration, de l’attaque de velours, un monstre de subtilité dans la violence de ses attaques et dans la précision de ses tirs… Mais aussi un cinéaste finalement pas reconnu à sa juste valeur, et qui se révèle être un cinéaste à l’académisme flamboyant dans sa réalisation et dont le mot d’ordre serait l’élégance.
Quelle classe ! Il n’y a qu’à se plonger au plus profonde de la structure de sa rélisation pour découvrir les plans pourléchées, les travellings d’une classe et d’une simplicité désarmante, panneautage tout ce qu’il y a de plus réussi… Avec Chabrol, tout ce qu’il touche devient or. Certains lui reprocheront justement ce côté un peu trop parfait, trop scolaire pas assez heurté. De ne pas ajouter à ses truculentes histoires une réalisation plus dure… La faute seule revient à la méconnaissance d’un cinéaste dont les films un peu trop déflorés par la télévision n’ont peut être pas su assez trouvé le public cinéphile qui lui allait mieux au teint.
Revoir les films de Chabrol en DVD, c’est oublier cette injustice. Découvrir le travail de MK2 sur « l’inspecteur Lavardin », c’est définitivement oublier les pâles copies « pan and scannées » que la déchetterie télévisuelle du dimanche soir nous jette en pâture plus souvent qu’à son tour. Chabrol, l’heureux auteur de 53 films plus géniaux les uns que les autres si l’on fait abstraction des quelques ratés nécessaire à la légende de la « politique des auteurs » dont il se réclame –pas de la manière autiste des critiques de Breillat, mais là aussi avec la finesse qui sied à la mesure- n’est récompensé de ses efforts que depuis quelques films. Prix Louis-Deluc 2000 pour « Merci pour le Chocolat », Prix en pagaille pour « La cérémonie »… Et utilisation désormais mythique de l’une des plus grande actrice française, Isabelle Huppert… Dont on ne saurait rappeler les multiples confrontations avec le maître : « Une affaire de Femme » y suffisant sans doute fort largement.
Chabrol aime a filmer les femmes. Dans la fleur du mal, un film qu’il co-écrit avec la psychiatre Caroline Eliacheff qui avait déjà eu à travailler avec lui sur « La cérémonie ». , et qui apporte au film cette touche de psychologisme qui manquait parfois l’abrupte des situations du « Boucher » ou des « Mistons », mais reste dans le ton de Chabrol faux misogyne et vrai politique, qui se sert d’un ton consommé pour le cynisme pour faire passer l’air du temps dans le ridicule de sa moulinette.
Première victime, Nathalie Baye, magnifique actrice dans ce film où elle incarne, comme le dit Chabrol dans une interview donné à Libération : « Alliot-Marie quand elle se présentait à la tête du RPR. (…) les tailleurs très stricts et les corsages qui font légèrement sortir les nichons pour montrer qu’on est une femme malgré tout »… Femme perdue dans une famille où les femmes subissent des générations, depuis cette époque où Tante Line, magnifiquement interprétée par Suzanne Flon à la stature si théâtrale, était accusé de la mort de son père, collabo bordelais ressemblant trop à Papon pour que l’on y pense pas. Femme perdue qui subit les besoins de dominations sexuelles ou de classe de son ordure de mari.
L’occasion pour Chabrol de renouer avec sa passion pour la politique : depuis l’œil de Vichy en 1993, le bonhomme n’y avait pas touché. Volilà chose faites avec cette campagne de la grande bourgeoise Chapin-Vasseur en goguette avec son assistant aux dents longues, fantastique Thomas Chabrol, dans les HLM de la petite ville. Incommunicabilité de classes, mépris profond et clichés stupides, c’est le programme de cette campagne, où l’on peut admirer un magnifique candidat de l’extrême droite, fantastique morceau de bravoure de Didier Bénureau.
Chabrol, qui considère que la politique n’est plus devenu qu’un histoire de casting et tombe à cette occasion à bras raccourcis sur Raffarin dans l’article de Libération précité, s’amuse de ce que la politique est devenu pour ces gens qu’une occupation de bonne dame de compagnie, « Une folie Bourgeoise » pour reprendre le titre d’un de ses films. En exhumant une histoire de tract rappelant les états de fait de toute la famille, l’affreux corbeau digne du film de Clouzot réveille les histoires de cette famille où se marier entre cousin est plus qu’un poids, une tradition familiale. Dans le calme et le silence feutré de la maison de campagne, Chabrol fait entrer une caméra inquisitrice qui révèle peu à peu les fendillements des êtres qui nous montre que tout est noir dans leurs cœurs que la plus belle des fleurs, Mélanie Doutey, celle qui semble pouvoir s’épanouir sur ce tas de fumier n’a d’autre exhalaison que le terreau qui l’a vu naître. Le temps n’existe pas nous dit Chabrol… Le temps détruit nous disait Noé dans Irréversible… Une chose est sur en tous cas : Le temps est une valeur hautement cinématographique quand il est servi par un maître majeur comme Claude Chabrol.