Voici certainement
l’un des films les plus célèbres du suédois
Ingmar Bergman, et ce n’est certainement pas volé, car
il s’agit vraiment d’un des plus grand chef-d’œuvre
que le cinéma nous ai jamais offert, un film d’une sérénité
impressionnante, et d’une porté philosophique comme seul,
peut-être un film de Bergman peut nous en offrir…
Le docteur Borg est un vieillard aigri qui devient, en ce beau jour
de Juin, docteur Jubilaire à la Cathédrale de Lund.
Et c’est cette pérégrination vers le sud du pays
qui va donner lieu à un des films les plus introspectifs de
l’histoire du cinéma, récompensé par un
Ours d’or à Berlin en 1958.
Car le docteur Borg, joué par le vénérable Victor
Sjöström, va faire un rêve fort angoissant la veille
de son départ. Le voilà dans une rue inconnue, où
un homme sans visage va bientôt se vider de son sang devant
ses yeux, avant qu’un corbillard ouvert ne l’attire vers
lui, son propre corps le tenant par la main… Ce rêve,
freudien en diable, est un hommage direct à celui qui a accepté
de jouer le rôle de Borg, le vieux cinéaste qui a bercé
l’enfance de Bergman, Victor Sjöström. Réalisateur
Expressionniste, comme l’Allemand Dreyer, Sjöström
a réaliser des palanquées de films muets, dont certains
en Amérique, comme « Le Vent », avec Lilian Gish,
mais aussi « La charrette fantôme », le film préféré
de Bergman, qu’il avouait dans un récent entretien à
Positif regarder régulièrement. Avant tout, cet hommage
de Bergman à celui qu’il considère comme son «
père de cinéma », n’est pas anodin : on
l’avait vu avec « Le septième sceau », le
père de Bergman, le vrai, était un pasteur rigoriste.
Et de cette histoire de rêve, Bergman va le plus sereinement
du monde, régler un vieux compte de famille. Car si Sjöström
fut le père tutélaire et imaginaire du jeune Bergman,
le vieillard aigri qui fait le rêve n’est autre que la
figure de son propre père. Après son réveil d’un
rêve si angoissant, Borg comprend que ce rêve est prémonitoire
et décide de partir en voiture, accompagné de sa belle-fille
Marianne, interprété par Ingrid Thulin, éloigné
de son mari qui vit, lui, à Lund. Le voyage est tendu car le
vieil homme est froid, et l’on sent que Marianne lui reproche
quelque chose. C’est là que le film bascule une seconde
fois. Car si le film débute comme une chronique de la vie d’un
vieil homme, elle bascule au morbide avec le rêve et le départ
en voiture. Et soudain, la vieille auto prend les chemins de traverse,
et Bergman avec elle. Le vieux Borg dit à sa bru cette phrase
qui restera gravée dans les mémoires des cinéphiles
: « Viens, je vais te montrer quelque chose ». En l’emmenant
sur les lieux qu’il occupait enfant, le film prend soudain un
ton plus badin, proche du cinéma français d’avant-guerre
de Carné ou Duvivier. Le vieux Borg s’allonge dans l’herbe,
et, pris dans un rêve, retrouve une cousine dont-il fut éprise,
la belle Sara –Bibi Anderssonn- jeune et belle, entrain de cueillir
des fraises sauvages pour l’anniversaire d’un oncle. Le
soleil est beau. Borg le vieillard est invisible de tous et se comporte
un peu comme le vieux Scrooge dans les contes de noël de Dickens
: il contemple, rétrospectivement les débris de sa vie
et la belle Sara qui le trompe avec son frère plus beau et
moins rigoriste.
Tout au long de ce Road-Movie, Borg va faire le bilan de sa vie, et
décider comme une évidence de ne plus se comporter comme
le vieil asocial qui disait au début du film avoir décidé
de ne plus voir personne. D’abord, il y a ces trois jeunes que
le vieux Borg recueille et qui partent à l’aventure.
La jeune fille, Sara, est la réminiscence de sa cousine, ce
qui émeut le vieil homme et le transporte encore plus longuement
dans ses introspections. Notons ici le talent avec lequel Bibi Andersonn
interprète les filles mutines chez Bergman, comme nous avions
pu déjà le déceler dans « Le
septième sceau ». La relation entre les deux films
est d’ailleurs troublante. D’abord par son côté
philosophique et temporel, mais aussi à cause de l’actrice
: dans un rôle commun en bien des points, et avec cette symbolique
des fraises sauvages, que Bibi Andersonn offre également au
chevalier dans l’autre film, plus noir cependant. Finalement
identique car à la mort programmée du chevalier que
la peste travaille et qui est réduit à jouer aux échecs
avec la Mort pour retarder son départ substitue la fin de la
vie qui n’est rien d’autre qu’une autre mort programmée
à laquelle on ne peut rien.
La traversée du pays par la voiture du vieux Borg va être
le sujet à plusieurs réminiscences : d’abord,
cette jeunesse autour de lui, avec qui il s’entend, ce visage
de Sara qui le replonge dans sa jeunesse corrodée, et lui redonne
le goût des autres. Puis le couple accidentée qu’il
recueille, où le mari odieux et sa femme soumise et en proie
à des crises nerveuses, qui ne lui rappelle trop l’échec
de son propre mariage… Chaque rencontre, chaque passage va être
un parcours initiatique à l’envers pour le vieil homme,
et va le rapprocher de sa bru, et lui donner une vision plus débonnaire
de la vie. Sa bru, qui va lui expliquer dans un flash-back aux noir
et blanc vraiment magnifique que son fils est entrain de reproduire
les mêmes bêtises que lui, va finir d’achever de
faire tomber le masque, avant un dernier rêve ou chacun pourra
voir ce qu’il voudra, mais où les références
intérieures sont légion : sous la forme d’un procès
où Sjöström remet sa vie en cause, où les
corbeaux tournoient et où les juges sont les protagonistes
du voyage, où, dans le traitement de l’image, on n’est
pas loin non plus d’une certaine esthétique surréaliste.
De vieux grigou froid et insensible, le vieux Borg va devenir un grand-père
tendre. Tendre pour Sara, qu’il regarde comme une fille qu’il
aurait pu avoir avec celle qu’il a vraiment aimé, et
qui sera le porte-parole de tous à la fin du film, personnages
de rêve y compris lorsqu’elle dira « Je n’ai
jamais aimé que toi, papa Borg », tendre avec son fils,
enfin, qu’il avait un peu négligé, joué
par Gunnar Björnstrand, et qui va de par le « coming-out
» de son père, lui aussi devenir plus tendre et moins
fermé. La journée de Borg se termine après qu’on
lui est remis, solennellement son diplôme jubilaire, un peu
comme une âme passe la rivière de la sagesse.
Filmé par un Bergman très inspiré, chaque plan
est choisi avec grâce et reflète le talent d’un
cinéaste qui a toujours navigué entre le réalisme
et l’existentialisme. « Les fraises sauvages » sont
une vision du monde que Bergman a souhaité nous faire partager,
et dans laquelle nous nous plongeons volontiers, tant il est agréable
de partager une telle humanité.