Le septième Sceau : Mystère médiéval

 

"Lorsque j'étais enfant, il m'arrivait de suivre mon père dans les petites églises rurales de Stockholm. Pendant que les fidèles priait, je concentrais mon attention sur les peintures médiévales" C'est ainsi que Bergman explique l'envie de faire "Le septième sceau", le film qu'il tourna en 1956, et qui reste jusqu'à aujourd'hui l'un des films les plus marquant du cinéaste, et peut être même de l'histoire du cinéma. Ce que Cannes avait fort bien compris en 1957 lorsqu'il décerna un prix à ce film tourné en seulement 36 jours.
Plongée historique dans les peurs et les destins des hommes et des femmes de l'époque médiévale, "Le septième sceau" est également une formidable fable philosophique de recherche de l'être et de métaphysique.
Si l'on passe outre tous les effets de styles et le talent de metteur en scène de Bergman, sur lequel nous reviendrons bien sur, il reste avant tout un fantastique questionnement sur le sens de la vie. Dans cette histoire, la Mort est toujours présente, comme elle l'était toujours lors des épidémies de peste et des retours de croisade. C'est aussi une problématique politique moderne, qui mélange athéisme et questionnement moral, remise de l'humain au centre de la métaphysique et subtil combat entre l'armée et la religion pour la conquête de l'ordre social.
Traité avec l'austérité d'un protestant suédois, Bergman explique, toujours dans cette Interview citée en préambule : "Il y avait [dans les tableaux médiévaux] tout ce que la fantaisie pouvait désirer, les serpents du paradis, l'aigle de l'apocalypse, la Mort était assise et jouait dans un bois aux échecs contre le chevalier"
Ce sont donc ces peintures qui vont inspirer ce film, ce postulat du chevalier Block, de retour de croisade avec son écuyer devenu athée, qui rencontre la Mort sur une plage déserte ou s'envole un aigle, sans doute cet aigle de l'Apocalypse que décrit Saint Jean après la découverte du septième sceau, dans la Bible. Alors que la Peste noire ronge le pays, le chevalier Block, que la Mort vient prendre, puisqu'elle "marche avec lui", est en plein questionnement sur la raison de tant de souffrances. Parallèlement, on découvre une troupe de théâtre (la troupe de théâtre de Bergman ?) qui sillonne le pays pour donner au villageois des spectacles distrayants, alors que la peste rôde. Dans cette troupe, Jof, joué par le suédois Nils Poppe, est un Pierrot lunaire que les visions et la poésie animent. Il est épris d'une Colombine, la somptueuse Mia, jouée par l'actrice fétiche du maître, Bibi Anderson. Ce sont les deux personnages "positifs" de l'histoire, ceux que l'amour finalement sauve de la Mort, que la poésie et la simplicité excluent du questionnement fatal de Block, joué quant à lui par un Max Von Sidow époustouflant de sobriété et de présence, de lenteur et d'évitement. Ce sont d'ailleurs les visions de Jof, qui vont sauver le couple et leur enfant de la danse macabre de la fin du film, l'une des plus belles scènes de l'œuvre, puisqu'il est finalement le seul, ( mis à part Block, mais celui-ci est-il toujours vivant ? ) qui puisse voir la Mort en face…
Block est un être désenchanté, qui revient de la guerre, où il a tué pour Dieu, et n'en retire que des doutes. Dieu existe-t-il ? Les hommes sont ils obligés de marcher à genoux… Y a-t-il une fatalité ou une malédiction à la condition humaine ? Il va tenter de répondre à cette question en proposant un défi à la Mort, celui de l'affronter aux échecs, un jeu où le joueur apporte finalement une vision du monde.
Durant cette partie, que la mort gagnera comme par forfait -ou acte manqué ?-on va voir le chevalier déambuler dans un village harassé et terrorisé par la venue annoncé de la Peste. On va voir ce chevalier protéger les acteurs de la pauvre troupe de théâtre contre les quolibets vengeurs et la barbarie de ces villageois qui passent sur eux, acteurs, qui n'ont donc pas d'âmes- leurs propres terreurs. Cette partie qui s'éternise va plus ou moins donner des leçons, des codes -des sceaux, au sens bibliques- pour comprendre la Vie et les plonger finalement dans un oubli qui ne paraît pas beaucoup plus horrible, voire presque plus réconfortant. La crypte que les personnages empruntent est un long tunnel où Block retrouve la femme qu'il avait perdue et finalement était le fruit de son amertume.
A l'inverse ceux qui resteront en vie, sont ceux qui finalement ont la métaphysique comme cadet des soucis. La troupe de bateleur, le couple Jof et Mia, dont seul l'amour et la chanson est la raison de vivre est une incarnation millénariste d'Adam et Eve, et qui illustre le cinéma de Bergman, pour qui, comme pour Goethe, seul l'amour permet d'échapper au néant. Leur peinture théâtrale de la vie au moyen-âge est d'une poésie simple, que l'ordre social va s'empresser de faire taire par des imprécations des prêtres et le sacrifice d'une jeune sorcière par les soldats. La scène de l'interruption de la pièce par la cohorte de futurs pestiférés trimbalant une croix et les imprécations d'un fou qui accuse et condamne est l'une des plus belles du film. Le choix de cette époque est idoine parce que justement elle est celle des premiers questionnements métaphysiques sur l'existence de Dieu. Jésus est partout dans les chansons que les personnages entonnent… Mais on ne le voit que pour semer la mort, apporter la peste et brûler cette pauvre sorcière. Cette horde de hères se flagellant comme pour se retirer le peu de libre-arbitre qui leur reste, ce sacrifice hyper esthétisé de la sorcière, les chants gutturaux des prêtres, la trouvaille du bouc-émissaire en la personne de cette jeune sorcière aux mains brisées, le prêtre qui dit au chevalier qu'il se pose trop de question… Tout ceci fait que la scène de la procession est la scène la plus emprunte de l'œuvre de Bergman.
Bergman qui dit du "Septième sceau" qu'il est le film qui lui tient le plus à cœur. Il faut dire qu'il est celui qui va le faire connaître en Europe. Mais c'est aussi son plus personnel, reflétant les attentes et les questionnements de son auteur. En effet, en jouant toujours entre la dure réalité de la vie médiévale et les angoisses fantastiques et millénaristes des villageois, Bergman oscille sans cesse entre la terreur et le conte de fée, entre le positif et le négatif, entre optimisme et pessimisme. Le cinéma de Bergman est un cinéma très symbolique, et l'on ne peut parler du "Septième sceau" sans le rapprocher d'un autre film sis à la même époque "Les sept samouraïs" de Kurosawa. Dans les deux cas, le symbolisme est là pour montrer la lourdeur des croyances villageoises, pour montrer à quel point cet atavisme est la cause même de leur perte. Et comme dans l'œuvre de Kurosawa, et à fortiori ici, puisque le chevalier est à la recherche de signes, chaque image est porteuse de sens. La présence du chevalier, rien que cela : alors qu'il est le personnage principal du film (de sa partie d'échec dépendra le sort de ses congénères) il n'est jamais vraiment là. Il est une conscience, une "évanescence lourde" qui pose les questions mais qui est bien incapable d'y répondre.
Les images… Bergman a une photographie formidable, et les plans sur les visages sont toujours d'époustouflants portraits. Les mouvements de caméras sont rares, et les plans primordiaux sont en règle générale muets (voir la danse macabre). Mais le cinéma de Bergman est un cinéma d'yeux. Aussi, les plans sur les visages sont toujours éclairés de telles façons que sont les yeux, le fond de l'âme, qui ressort. La scène de la sorcière au bûché est en ce sens symptomatique : c'est en effet dans ses yeux et dans ses yeux seuls que l'on croit voir le démon… alors que dans ses yeux, il n'y a que la terreur. Cette scène, elle est directement inspiré du réalisme allemand, où les regards était très expressifs, mais surtout du "Jeanne d'Arc" de Carl Dreyer. Et l'actrice choisie, Maud Hansonn y fait directement référence.
La dernière des qualités du film, c'est son découpage, ou plutôt son absence de découpage. Le film est extrêmement fluide, et le montage bien que simple, se révèle d'une orfèvrerie peu commune.
Bref, un film de chevet qu'on vous enjoint de vous procurer, où de déguster au ciné-club… Savoir également que tous les Bergman sont sortis en DVD dans la collection maintes fois encensée ici "Les Films de ma vie", sans bonus à part un de taille : la présence d'un second film du maître, "Ville Portuaire"… Finalement un bonus de taille, à prix modique comme tous les joyaux de cette collection.