Edward aux mains d'argent : Gothic Postcard

 

Ce film trop rare, entrait de plein pied dans une décennie qui rompait complètement avec l'individualisme forcené des années 80. Burton prenait sa revanche des studios Disney qui n'avait pas voulu de lui après sa participation à "Taram et le chaudron magique" et après deux piges pas forcément concluante (BeetleJuice et Pee-Wee), arrivait enfin à impose son style et son univers, que l'on avait eu l'heur de découvrir dans un fabuleux court-métrage, Frankenweenie, produit à l'époque par... Disney.
Edward, c'est aussi l'éclosion de deux talents du cinéma indépendant américain, qui en furent d'ailleurs les icônes pendant la décennie, la diaphane Winona Ryder et le séduisant pierrot lunaire Johnny Depp. Fantastique Histoire d'amour, conte de fée moderne, le film a eu un succès que le cocktail composé par Burton et sa scénariste, également présente dans "L'étrange Noël de Mr. Jack", Caroline Thompson n'ont eu que retranscrire. Mais c'est avant tout en allant puiser dans les ramifications des contes de fées, des histoires, des cauchemars et des peurs de notre enfance que le film fonctionne. Une descente en eaux troubles qui est magnifié par le travail sonore du fidèle Danny Elfman, le compositeur de la BOF, qui grâce aux sonorité éthérées d'un groupe de jeunes enfants de chœur renforce la lourde ambiance gothique de l'ensemble, empruntant ou même citant des vieux thème de la "Hammer" ou de toutes ces musiques des films d'horreur d'avant-guerre.
Dans cette histoire de "créature", mythe de Frankenstein dont Burton est obnubilé, aux mains placées comme des ciseaux parce que son créateur, le regretté Vincent Price, est mort avant de lui faire des mains, et même en les lui donnant, on devine un travail, une idée fixe qui hante les auteurs depuis plusieurs années. Edward est recueilli par une bonne âme de l'American Way of life. C'est avant tout l'atmosphère et les entêtements de Burton qui sont mis en avant. Absence du père, incompréhension de la société, inadaptation à son mode de vie extrêmement codifié, émotion à fleur de peau, obsession des rouages et des engrenages, tout ce qui fera les autres films de Burton, de Batman à Sleepy Hollow est déjà dans ce film. Et l'interprétation romantique et là aussi extrêmement codifié de Burton et Ryder, ainsi que des autres villageois ne sous-tend que les obsessions de l'auteur.
Burton qui s'amuse littéralement à soigner, à lécher ses plans, contre-plongées significatives, plans d'ensemble extrêmement saturés de la ville, empruntés à Jacques Tati et aux cartes postales Kitsch…
Le propos de Burton est de montrer que ce qui fait peur n'est pas forcément l'évident château gothique où le pauvre Edward est reclus, mais bien plus sûrement le village conformiste de sa famille d'accueil, empli de vulgarité et de sous-entendus, de méchanceté et d'œillères, d'ignorance et de sentimentalisme, la face perverse de l'amour. Car ce qui est terrifiant, c'est bien ce décor qui n'est malheureusement pas de carton-pâte, où Edward, en usant de ses talents d'horticulteur, ne fait que renforcer l'incongruité de sa différence. Et bien sur, l'inévitable référence à Noël, autre hantise de l'auteur, n'est là que pour permettre à Burton d'en finir avec son cinéma codifié, et pour en rajouter sur cette fête où les bons sentiments ne sont que façade, et où derrière la bonhomie se cache à coup sur la laideur.
Longue métaphore filée des déboires d'un inadapté au milieu d'un petit village américain, Edward aux mains d'argent est le bilan de ce qu'à du être la vie de Burton dans la tourmente des années 80. Abandonné de tous parce que jugé trop "noir", trop habité de monstres et de chauves-souris, reconnu cependant comme perclus de talent malgré cela, Il est recueilli par des bonnes âmes qui lui tape sur l'épaule, mais ne veulent et ne peuvent l'aider.

On verse un petite larme...