Revoir ses classiques, c'est déjà un peu créer.
Et comme Fincher, le réalisateur
de The game, le film qui nous concerne aujourd'hui est déjà
devenu, par la maestria de sa réalisation un des classiques
des années 90-00, il est bon parfois de se poser et d'observer
à tête reposé ce que le jeune homme a dans le
ventre. C'est souvent grâce aux films mineurs que ce genre d'étude
est possible ; intercalé entre deux films qui vont asseoir
sa réputation, "Se7en" d'abord, le film à
l'académisme éclaté, et surtout "Fight Club",
sombre analyse de la société capitaliste et étendard
de toute une génération désabusée, The
Game étonne par sa précision au scalpel.
Marchant dans la tradition
du polar américain sobre, efficace et à la noirceur
esthétique digne de ses pairs, Fincher commence The Game en
se servant avec astuce du personnage de Michael Douglas, abonné
à l'époque aux rôle de monstres froids et cynique
("Chute Libre"..). Il incarne un rôle de businessman
richissime, mais où déjà l'on sent la faille
: les courts flash-backs contemplatifs de son enfance, le suicide
d'un homme, les images jaunies... l'homme est un monstre malheureux
et cynique par nécessité. Il est avide de pouvoir parce
qu'il est détruit. A preuve : son frère Conrad (magnifique
Sean Penn) est un paumé, et lui a pris une voie sérieuse.
Pour son anniversaire,
Conrad lui offre un cadeau : un jeu, sorte de jeu de rôle pour
milliardaire, dont on ne sait rien, organisé par une mystérieuse
entreprise. Prétexte hitchcockien, puisque tourné sur
le suspens des faux-semblants, le film de Fincher esquisse alors un
haletant questionnement sur la distenciation entre la réalité
et ce jeu qui tourne de plus en plus au cauchemar. Annonçant
la condamnation sans limite du capitalisme que Fincher instille dans
"Fight Club", Le jeu de "The Game" n'est qu'un
prétexte pour illustrer l'incapacité des puissants à
se débrouiller dans la vie quotidienne, lorsqu'on leurs retire
leurs instruments de pouvoir. C'est aussi l'occasion d'une jouissive
partie de plaisir qui met en scène des éléments
de suspens qui plonge le spectateur dans le même type de doute
que le héros, et qui, ne tombe pas dans l'apitoiement sur le
sort de ce pauvre milliardaire en détresse. Foin de commisération,
c'est dans le registre du pathétisme qu'il vaut mieux chercher.
Insistant sur des
citations plus qu'évidentes empruntées à plusieurs
grands réalisateurs de films noirs, marchant plus que résolument
dans les brisures de Kubrick, notamment en une scène où
un travelling échevelé à la "Orange"'
laisse place à un fish-eye type "2001" Fincher nous
emmène dans un cinéma où l'on doute jusqu'au
bout de ce que l'on est censé croire. A rapprocher du fantastique
"Ouvre les yeux" du réalisateur espagnol alejandro
Amenabar, où les deux réalisateurs -de la même
génération- prennent un malin plaisir à dérouter
le spectateur, principalement en partant du principe d'une culture
commune. Un bon chemin de cinema, à la fois "auteur"
et efficace.