Ocean's Eleven : La classe Soderbergh

Sans refaire le panégyrique de Soderbergh que je vous ressers à chaque fois que l'olibrius fait un film, nous allons quand même revenir un peu sur la carrière, qui fut riche et étonnante, je vous l'avais déjà dit l'an passé lors de la sortie de Traffic, mais une fois digéré le film précédent, qui se voulait collant au documentaire, qui offrait des percées vers un travail plus esthétisant à base de filtres et de grande ouverture de focale, il est bon de revenir rapidement sur la carrière du jeune réalisateur, déjà lesté d'une palme d'or pour son premier film.

Vous le savez sans doute, on vous a abreuvé de ça dans toutes les rédactions pénibles des vendeurs de cinéma, Soderbergh est le nouveau chouchou des acteurs d'Hollywood, qui se l'arrachent, aime sa manière de filmer, de construire lui-même ses cadres etc. Mais ce qu'on sait moins, c'est que Steven Soderbergh est un véritable miraculé du cinéma. Si vous êtes abonné à Canal +, ou plus simplement si vous avez un peu de culture cinématographique -où si vous écoutez régulièrement mes péroraisons, ce qui me ferait vraiment plaisir- vous savez après le documentaire sur Las Vegas passé ce mois ci, à l'occasion du film qui nous intéresse ce soir, que la carrière cinématographique de Soderbergh est plus une trajectoire sinueuse qu'un parcours linéaire de petit génie.

Après sa Palme d'Or offerte par Wim Wenders en 1989, à la surprise générale alors que tout le monde attendait Kusturica et son "temps des Gitans", Soderbergh aurait pu faire tout de suite le bonheur d'un grand studio, si celui-ci n'avait pas un parti-pris cinématographique d'auteur. Mais après cet encouragement formulé dans l'une des plus prestigieuses enceintes des récompenses cinématographiques, Soderbergh a voulu faire Kafka, hommage appuyé aux maîtres allemands, puis "King of the hill" partition inquiétante d'un enfant solitaire pendant la grande dépression. Un échec. Hollywood étant une entreprise où l'erreur est bannie, les projets de Soderbergh furent vite réduits à néants. Et il repartit faire des films dans sa Louisiane natale, dont le très intéressant "Schizopolis", qui est passé sur Canal Récemment, donc. Mais depuis plusieurs films, depuis qu'il a retrouvé Hollywood, Soderbergh fait des étincelles. Depuis qu'il s'est affirmé comme un réalisateur de polars, avec "Hors d'atteinte", et Clooney, déjà, un réalisateur de polar qui, non content de tenir des scénarios bien léchés et des ambiances tendues, savait amener des plans sophistiqués et des passages plus esthétiques, voire contemplatifs.

Quintessence : Le fabuleux Erin Brokovitch, avec une Julia Roberts bluffante, et des longues scènes solarisées. Réalisateur d'un film par an, couvert de succès, Soderbergh annonçait lors de la cérémonie des oscars 2001 qu'il allait faire un remake de "L'inconnu de Las Vegas", un film de Lewis Milestone de 1960. Un film tourné par le fameux "Ratpack", la troupe de Sinatra, l'exemple de la classe masculine à l'époque. Un film qui se fera avec la palanquée d'acteur la plus glamour vu depuis longtemps sur les écrans, Jugez plutôt : Clooney, Pitt, Roberts, Damon, Andy Garcia… Et un sérieux deuxième degré, jouant avec le kitsch, mais ça nous y reviendrons tout à l'heure.

Las Vegas offrent deux possibilités aux réalisateurs qui s'y attaquent : Soit de faire une histoire purement crapuleuse (Hold-up, mafia…) ou alors d'en faire une histoire totalement déjantée, comme nous l'avait montré Gilliam en 1997 avec Las Vegas Parano, ou Sidney Pollack en 1979 avec "Le cavalier Electrique"… Et même "Mars Attacks" de Burton, summum du kitsch de l'endroit, avec même la participation de Tom Jones, icône de l'endroit et toujours prêt à s'offrir un petite tranche d'autodérision.

Si Burton, ou même Verhoeven avec "Showgirl" avait rajouter la touche qui fait le kitsch devenir rapidement vulgaire, ce qui permet de mieux le stigmatiser, Soderbergh n'est pas du tout parti sur ces bases. Il y a deux sortes de kitsch en réalité, et le réalisateur d'Ocean's Eleven a décidé justement de montrer des personnages "classe", qui s'opposent forcément au clinquant gratuit et vulgaire, et qui en plus, pour parler vulgairement, vont bien le baiser.

Soderbergh, toujours dans sa veine "polar", plus légère que dans Traffic, et plus proche d'"Hors d'atteinte" va en réalité s'offrir un exercice imposé, celui du hold-up mirifique, avec ses passages obligés, et la comparaison avec les canons du genre (Du rififi chez les hommes de Jules Dassin, par exemple). Quels sont ils ? Eh bien, sans détailler on pourra dire que la collection des talents se regroupent, qu'ils préparent le coup, et qu'enfin, même si l'action a proprement parler connaît quelques retards ou dysfonctionnement fâcheux pour les nerfs du spectateur.

Ici, le cerveau du projet, c'est bien sur George Clooney, au faîte de sa gloire, beau comme jamais, et dont la mise toujours tiré à quatre épingle, ainsi que l'usage de l'œillade et du sourire carnassier n'est pas sans rappeler les poses de Tony Curtis dans des films comme "Le dernier de la liste" de John Huston ou "Des ennuis à la pelle" de Norman Jewison. A sa sortie de prison, le mec le plus "Classe" du monde, il faut bien lui reconnaître ça, va voir son pote de toujours, un autre truand, reconverti dans l'apprentissage du Poker aux acteurs d'Hollywood, pour lui proposer un casse sans précédent, celui de 3 casinos de Las Vegas en même temps . Le passage de la prison jusqu'à Hollywood, l'arrivée à Vegas est là pour montrer aussi que les longs paysages désertiques sont le péché mignon de Soderbergh. Bien sur, son pote, son ancien receleur joué par Brad Pitt.

Il est noté que le couple fonctionne à merveille, et que ces deux purs produits de l'Actor's Studio ne font pas rougir leur formation. A cette bande, se joint Matt Damon, dans le rôle du meilleur pickpocket du monde, pour ne parler que des célébrités. On pense bien sur à Mission : Impossible de De Palma dans la manière de constituer l'équipe, mais c'est une manière pour Soderbergh de mystifier les codes. Car en effet, et c'est surtout très patent dans une scène magnifique qui se déroule dans un paddock de lévrier, avant une course… Soderbergh se sert de ces poncifs pour à la fois s'offrir des scènes très contemplatives, mais aussi pour y introduire une forme d'humour. Dès le début du film, il est patent que les héros, des voleurs, ne l'oublions pas, sont les véritables héros du film, et sont trop beau et trop sympathiques pour échouer.

De ce constat, le film ne va pas déroger de ses codes de départ, mais va s'en amuser, va dérouter un peu plus le spectateur, d'abord par l'emploi de véritables truffes, dont le côté burlesque et exotique n'est pas sans rappeler les truands à la manque dans les films des frères Coen, mais aussi par des constats plus sous-jacents. Bien vite, Rusty Ryan, le personnage joué par Pitt, s'aperçoit que le patron des trois casinos, interprété par un Andy Garcia qui n'a presque plus besoin de se forcer pour faire le méchant est le nouveau compagnon de Tess (Julia Roberts) l'ex de George Clooney, et flaire le coup foireux. Oui, Clooney veut reconquérir sa belle, et c'est dans ce casse romantique que réside le côté le plus glamoureux du film. Ainsi, également, les compagnons de Danny Ocean sont dix, et même pourra-t-on dire douze, je vous laisse la surprise…

Dès le début, toute la lumière étant mise sur ce fameux Danny, on se demande qui va bien pouvoir être le Judas dans cette Cène de Barrabas… On porte bien son attention, on cherche, on s'étonne de voir une foule entière se retourner à l'exception de deux éléments, scène très graphique… Le film est basé sur ce postulat : ils vont y arriver, oui, mais comment ? La scène de la sortie du casse, esthétique et chargé de sens réjouira les plus cinéphiles d'entre nous… Et attention, le film n'est pas terminé.

On ne pourra pas terminer cette chronique sans parler de la musique du film, un vrai bonheur composé par un David Holmes inspiré, proche d'un univers à la Lalo Schiffrin. Et l'on ne saura que trop vous conseiller de voir ce film, qui offre à la fois un divertissement excellent, et la réussite et l'efficacité d'un auteur de cinéma.