GoodBye Lenin : See you soon !


Le film qui nous concerne ce soir est un film de Wolfgang Becker, jeune réalisateur allemand qui n’a rien fait qui ne nous fut arrivé jusqu’à nos yeux français, mis à part peut être un épisode de Tatort en 1992, mais nous devions dormir à ce moment là… En quelques mots, le film de Becker est une comédie sarcastique et un peu nostalgique sur la vie derrière le mur de Berlin juste avant sa chute et le dur réveil d’une idéaliste communiste qui littéralement « n’a pas vu » le mur tomber, pétri de son dogme et tombé dans le coma aux premiers jours de la révolte, alors qu’elle voit son fils se faire arrêter par une brigade de gardes civils manu-militari, et qui va se réveiller le mur tombé alors que liberté se traduit par un changement de marque de cornichon et la fuite des médecins.
Film allemand, qui a plus ou moins défrayé la chronique ces derniers mois, (depuis la biennale de Berlin pour tout dire, où le film à obtenu le prix du meilleur film européen après avoir tout raflé aux « équivalents des césars » allemands), à la fois, donc, du côté des cinéphiles, par la manière dont un cinéaste européen initiait une nouvelle page de l’histoire du monde vu par le cinéma, que du côté des médias qui avait le double intérêt de promotionner le film qu’il leur permettait à la fois de faire un parallèle paresseux avec « Le fabuleux destin d’Amélie Poullain » et de faire des sujets de société sur la vie à l’Est 10 ans après la chute du mur. Parallèle paresseux, autant le dire tout de suite, car le contexte du film a quelques similitudes, pas forcément dans le fond, qui offre une réflexion beaucoup plus politique du côté du film allemand, mais sur la forme et le thème du film. Parallèle paresseux aussi parce que là ou la fable de Jeunet se voulait sucre, celle de Wolfgang Becker est dure et un poil vitriolé, comme le bilan d’une réunification qui n’a pas vu la fusion de deux pays en une nation enfin réunie mais d’une soudure manichéenne d’un pays estampillé « mal » au mode de vie d’un pays estampillé « bien », sans que le pays « mal » n’est eu le temps de se retourner.
Témoin de ça, l’une des scènes les plus marquantes du film, où le matin même de l’arrivée du Deutsch Mark, les produits qui avaient fait l’enfance et la vie du personnage principal, à la recherche d’une simple boîte de cornichon ne trouve plus que des produits de l’ouest, comme si toute sa vie, jusqu’à ce jour avait été empreinte de ce mal, jusqu’au dernier cornichon où à la dernière boîte de café. Comme si sa vie passée, au-delà des projets de société et des modes de vie avait été tellement de la merde qu’il fallait en faire un bannissement curatif définitif et sans appel.
En effet, dans cette histoire de jeune homme qui veut aider sa mère à se soigner plus vite en ne lui disant rien des mutations impressionnantes de la société de la chambre vite réadapté à la vie de l’est, sans le confort futile dont la RFA les a inondé, on reconnaît quelques idées qui avait fait le succès de l’Amélie : le monde utopiste et riche en échanges sociaux dont la nostalgie empreint toutes les images du film d’abord. Les trésors d’ingéniosité déployée par Alex pour garder le secret de la mutation qui s’est déroulé au dehors de la cellule familiale ensuite, et qui ressemble à cette volonté de faire le bonheur de chacun qu’avait l’héroïne de Jeunet ensuite. Mais disons-le plutôt, la principale raison qui pousse le pisse-copie de base à rapprocher les deux films, c’est la présence de l’intouchable Yann Tiersen, auteur des deux bandes originales.
Autant le dire, et en finir là avec les choses désagréables, la musique de Yann Tiersen est une honte absolu, tant le musicien n’a presque pas changé d’une note son travail, au point de reprendre « la valse des monstres » dans les deux films en un effet tout à fait désagréable de déjà-vu pour les pauvres spectateurs. Le reste est à l’encan, et on regrette que l’équipe n’aie pas eu le nez d’aller chercher un peu plus loin. Une équipe qui a su en revanche choisir avec goût ses acteurs dont ne s’extirpe pas seulement par la grâce la belle Chulpan Khamatova qu’on connaissait depuis « Luna Papa » le film de l’Uzbek Bakthyar Khudojnazarov.
Good Bye Lenin est, en Allemagne, un succès sans précédent, sans doute parce qu’il est le témoignage artistique d’une lame de fond de nostalgie de la DDR dans la jeunesse perdue par le chômage et le manque de solidarité. En effet, ce mouvement qu’on appelle Ostalgie témoigne, comme le fait le film, d’une perte des valeurs et des oppositions qui légitime la question de l’unilatéralisme. Wolfgang Becker est le premier à parler de ce phénomène de cette façon. En effet, il y avait déjà eu plusieurs films sur la chute du mur, sur la réunification ou sur la fascination de l’ultragauche pour la RDA. Parmi ceux-là, on pense aux « trois vies de Rita Voigt » de Völker Schloendorff, mais aussi à plusieurs films produit par ARTE, et passé l’année dernière. Mais personne n’avait traité ça comme le fait le réalisateur de Good Bye Lenin.
Car le cinéma est souvent l’art le plus rapide en matière de témoignage des souffrances collectives : on sait quel exutoire fut le cinéma pour les rescapés du Vietnam ou pour les résistants français. C’est en général d’abord par l’humour que passe en premier le message et les brûlures s’effacent souvent au vitriol. On sait qu’il aura fallu plusieurs « Babette s’en va t’en guerre » et de « Mash » avant d’en arriver à « Lacombe Lucien » et « Apocalypse Now ! ». Wolfgang Becker réussi, avec la simplicité et la discrétion de réalisation qui caractérise le cinéma allemand depuis qu’il est sous le poumon d’acier de la chaîne ARTE, si l’on excepte ici les rares clins d’œil à Kubrick, une fable où l’humour ne cache pas et ne cherche pas à cacher un message que l’on peut expliciter comme ceci : « Certes, le stalinisme d’Honecker, ce n’était pas la panacée, mais comme c’est presque pire maintenant et qu’on avait grandi là dedans, qu’on avait du boulot et que les gens se parlait… C’était presque mieux » Alors certes, on pourra dire qu’il oublie la Stasi, qu’il ne fait guère de cas des fusillades qui balayaient les rares fuyards qui tentaient, c’est le cas de le dire, de faire le mur, mais ce n’est pas son propos. Si Alex regrette la DDR, même s’il n’a pas eu le bonheur de voir « 2001, l’odyssée de l’espace » comme le suggère une scène hilarante avec son pote cinéaste amateur, ce n’est pas que pour des raisons purement psychologisante de l’idéologie de sa mère disparue avec elle. C’est pourquoi il se démène tant pour l’épargner de la dure réalité et en vient à tourner des faux journaux hilarants reprenant le discours officiel. C’est pourquoi il court tant après ses souvenirs.
La cause est entendue : en sauvant sa mère et le jeune Alex le dit de façon très glasnost, il veut sauver sa patrie, puisque sa mère est « mariée au socialisme » depuis la fuite de son père, balourd embourgeoisé de Berlin-Ouest. Métaphore digne d’une fable et dont le mimétisme ira même jusqu’à la faire mourir le jour de la réunification allemande dont on aura compris que selon le réalisateur, la seule avancée positive aura été la victoire en coupe du monde de foot en juillet 1990. On l’aura compris, le jeune Alex n’est autre que le réalisateur lui-même, nourri au cornichon Blevaal et aux animations de poupée de l’école russe comme le petit marchand de sable. Et on regrette un peu avec lui les jours où des gens ne voyaient pas Lénine flotter en l’air dépourvu de ses jambes et où Katarina Witt montrait les siennes dans des petites jupettes.