Et
c’est ainsi que naquit le cinéma… « Le cuirassé
Potemkine », avant d’être une chanson bêlante
d’un chanteur à moustache fut l’un des actes fondateurs
de ce vieux rêve qui bouge, réalisé par un jeune
soviétique de 29 ans, marqué à jamais par la
révolution de Lénine pas encore spolié par le
maître dudit chanteur.
« Le cuirassé Potemkine » est un film muet magistral,
qui nous offre 72 minutes de pur bonheur, et qui laisse éclater
enfin le cinéma au détriment du cinématographe,
cet art forain du « montreur d’image ». Le film
de Sergueï Eisenstein, le maître du cinéma Soviétique,
est certainement l’un des premiers à avoir utiliser au
cinéma autre chose que la saynète, le jeu d’acteur
et les plans fixes.
Se servant pour la première fois de l’image comme pivot
scénaristique, maniant l’ellipse et la symbolique, «
Le cuirassé Potemkine » est un modèle de modernité
pour un film de 1925, dont il reste, encore aujourd’hui, des
traces dans le cinéma moderne : les symboliques utilisé
par Eisenstein, nourriront à la fois le cinéma de propagande
stalinien et nazi (Riefenstahl notamment) mais aussi des purs poètes
politiques comme le réalisateur de « Zéro de conduite
» Jean Vigo. Eisenstein utilise par exemple, et c’est
une nouveauté, la psychologie de l’image, avec les plongées
et les contre-plongées, les éclairages subjectifs...
L’exemple flagrant, c’est évidemment le pope orthodoxe,
rustre chevelu à la peau sale et à l’œil
torve, qui se sert de son crucifix en or comme d’une masse,
qui assommerait les révoltes populaires
Dans la dichotomie entre les oppresseurs et les oppressés,
en l’occurrence les officiers et les matelots, Eisenstein se
sert d’un point de vue de caméra subjectif tout à
fait nouveau pour exprimer le sens de son histoire.
Et puis, il y a le montage, évidemment effectué par
Eisenstein lui-même même si les staliniens y firent un
sort lors de sa restauration en 1976, et dont les versions précédentes
sont plus ou moins perdues. Un montage très serré, utilisant
des champs contrechamps réguliers, des panoramiques symboliques,
des gros plans subjectifs… Bref, tout l’apport du Réalisme
Soviétique au cinéma moderne, rehaussé par la
magnifique photo d’Edouard Tissé.
Tourné en 1925 pour les 20 ans de la « première
» Révolution Russe, celle qui vit les marins du cuirassé
se rebeller contre l’ordre imbécile des officiers et
la pitance ignoble et grouillante de vers qu’on leur sert à
manger (magnifique scène avec un gros plan sur les vers, suivi
d’un mouvement d’appareil sur le visage empli de mensonge
du médecin) qui se terminera après la mort du leader
de la révolte, le fier Vakoulintchouk, en une révolte
de la population d’Odessa réprimée dans le sang
et le pilonnage par les rebelles du Potemkine des quartiers des généraux.
Considéré par Eisenstein lui-même comme : «
Un hymne » au Socialisme, cette œuvre magistrale qui devait
se terminer par l’arrivée d’une proue de bateau
qui transperçait l’écran du Bolchoï (classe,
non ?) le jour de sa première projection. Le montage fut terminé
juste à temps puisque la dernière bobine fut terminée
de monter pendant la projection ! Le film eut en tous cas un tel succès
que très vite Eisenstein devin le chantre officiel du régime
et eut toute latitude pour des productions plus onéreuses,
comme « la grève » où il reprend l’idée
de la manifestation réprimée dans le sang, scène
la plus connue et la plus impressionnante du « Cuirassé
Potemkine » : la scène dite de « L’escalier
d’Odessa ».
Cette scène est sans doute la plus connue de l’histoire
du cinéma Soviétique, avant tout pour ce symbole du
landau qui dévale l’escalier poussé par sa mère
qui s’affale, emportée par une rafale de l’armée
tsariste. Scène où s’intercale des images terribles
de mort, comme celle célébrissime de la femme à
l’œil transpercée par le verre de ses lunettes après
l’éclat d’une balle, image citée par Jeunet
et Caro dans « le bunker de la dernière rafale »
et tant d’autres…. Quant au landau, c’est De Palma
et son calamiteux « Incorruptibles » ou les Nuls (et oui…)
dans la « Cité de la peur » qui l’ont cité…
Et d’autres pour le meilleur et pour le pire.
D’une intensité incroyable pour du cinéma muet,
elle alterne les plans très serrés sur les visages des
femmes qui défient les cosaques et les plans de foules sensées
représenter la « masse » populaire. Les cosaques,
eux, sont très graphiquement illustrés par leurs bottes
–symbole de l’écrasement- ou leur fusils –symbole
de pouvoir et de répression- jamais, en revanche Eisenstein
ne s’attarde sur les visages, comme pour dire que c’est
la soldatesque qui est en groupe un symbole de répression et
non pas l’individualité « soldat » qui peut
se rebeller et pactiser avec ses camarades… Le cinéma
comme arme politique… C’est là que tout commence
!