Chaque
année c’est la même chose le festival du cinéma
nordique vient de se poser sur nos terres rouennaises…
L’occasion pour nous de découvrir un cinéma qu’on
adore, et nous permettre de nous intéresser plus particulièrement
au film qui nous concerne ce soir, un film fantastique qu’il
est vrai et il faut le concéder seul un festival défendant
les films suédois pouvait nous présenter. Le cinéma
suédois a une sale réputation dans nos contrées,
et c’est fort dommage car c’est un cinéma fort
riche, constellé de Sjöström à Bergman en
passant par le cinéaste qui nous concerne aujourd’hui,
Lukas Moodyssonn, et qui nous réserve plus de surprises que
les clichés ont bien voulu nous offrir en pâture. Non,
le cinéma suédois n’est pas un cinéma chiant,
mortel froid et introspectif, comme veulent bien nous l’inculquer
les faiseurs d’opinion, mais une vraie expression culturelle,
une voix différente, une vision très noire de la société
et à la fois un détachement presque badin des choses.
Moodyssonn, le réalisateur du film qui nous concerne ce soir
fait partie de ce cinéma même si il a su se départir
de son appartenance nationale pour faire un film plus anglo-saxon
dans l’esprit et sans un poil, un frêle poil d’humour
ou d’espoir dans son cinéma. Moodyssonn, on le connaît
déjà grâce au festival, où son film, «
Fucking Amal » avait déjà obtenu un prix. «
Fucking Amal », ou l’histoire de deux lesbiennes adolescentes
et de l’ennui profond dans une petite ville de Suède.
On avait pu également le voir en 2000 dans le trop méconnu
« Together », admirable film sur la vie d’une communauté
baba-cool de Malmö, sa ville de prédilection, communauté
qui va se déchirer et dont la vie quotidienne des enfants,
très inspiré de sa propre existence, nous plonge avec
délice entre turpitudes et joie de vivre. La bande-son d’Abba,
groupe suédois mythique rajoutait un côté kitsch
mélancolique vraiment pertinent et le cadrage épaule,
favori du cinéaste, laissant pencher le reste du film vers
le documentaire. Les films de Moodyssonn jusqu’à celui
qui nous concerne ce soir, étaient donc des films très
intimistes, hésitant entre la franche émotion, la densité
psychologique et la douce quiétude de l’amertume. Du
moins les films sortis en France. Les films précédents
Fucking Amal, aux noms suédois dont j’aurais l’obligeance
de vous épargner le massacre ne sont en effet pas visibles
aujourd’hui. Un Moodyssonn tout auréolé d’une
prestation remarquée au festival de Venise de cette année
avec le film dont il est question ici, qui même s’il n’a
pas eu de prix, a fait tout de même remuer les consciences…
C’est ainsi paré que nous allions découvrir le
nouvel opus du suédois, ci-devant présenté en
compétition officielle pour son film, « Lilja 4-ever
», quittant pour un film croyait-on les terres suédoises
pour la morne Russie, dans un port aux barres d’immeubles fatiguées
et aux usines désaffectées.
Environnement sombre donc, où la caméra épaule
est plus proche que jamais du cinéma anglo-saxon ou des techniques
de plans larges du cinéma des frères Dardenne, mais,
on va le voir, pas du tout pour l’approche du gros plan, finalement
peu présent dans le film de Moodyssonn et envahissant dans
les films des belges. Environnement sombre également avec les
personnages de cette histoire sordide : Lilja, jouée par la
jeune et prometteuse Oksana Akinshina, magnifique dans ce rôle
et Atyom Bogucharsky qui signe, pour un premier rôle, un jeune
Volodya à vous faire cracher des larmes… Deux enfants,
l’une plus âgé que l’autre, qui lâché
par les adultes dans un monde en perdition, et qui n’ont comme
point de repère que la cité, la colle à rustine
et la vodka aussi frelatée que volée. J’ai dit
sordide ? Oui, sordide, car cette histoire est un souffle d’horreur,
une vision d’une précision chirurgicale qui fait froid
dans le dos, un cri de désespoir… Et un film majeur.
Un film qui ne cadre pas du tout, pense-t-on avec le réalisateur
de « Together » qui s’amusait de son propre gauchisme
dans des répliques nonsensique telles que « la vaisselle
c’est bourgeois ». Mais un film qui ne se passe pas en
ex-URSS juste pour les beauté du paysage mais pour montrer
qu’à l’instar du temps le capitalisme détruit
tout, à commencer par le corps et les âmes, et que tout
se vend pour un Mac-do et des paires de Nike, des innocences, des
rêves, des horizons… Et même la musique, minable
et passe partout, comme pour nous rappeler que ce n’est même
plus, comme le No Future ! punk une forme d’échappatoire,
où les rêves des gamins sont des pubs de la télévision,
où le paradis de Volodya c’est d’avoir un ballon
de Basket comme Michaël Jordan et de pouvoir jouer toute la journée,
ce qu’il fait avec une boîte de conserve ! . Le message
de ce film : tout se taylorise, y compris le sexe, ravalé dans
ce film où l’acte est filmé de la façon
la moins glamour qu’il soit.
Dans ce film, où tout commence et finit mal, puisque les scènes
inaugurales et terminales sont les mêmes mais sans jamais pêcher
dans le mélo, qui reste, on l’a déjà dit,
dans une précision chirurgicale, on suit les tribulations de
Lilja, belle et rayonnante jeune fille, qui clame partout que sa mère,
heureuse élue d’un yankee à la recherche d’une
compagne va l’emmener aux USA, pays de rêve, puisqu’il
y a des Nike à tous les coins de rue.
Aussi, la déception sera d’autant plus grande lorsque
celle-ci la laissera sur le carreau, filant aux USA en laissant bien
le soin aux services sociaux de la prévenir que sa mère
se désengageait de ses devoirs maternels.
Lilja seule, ravalée dans un appartement miteux par sa tante
qui profite de l’aubaine pour récupérer le moins
miteux laissé vacant, va changer totalement de vie, perdant
cette fraîcheur juvénile pour une désespérance
qu’elle tentait jusqu’alors de cacher par des espoirs
de petite fille. Elle est seule dans une cité perdue. Face
à elle, le monde, le grand monde qui n’est pas un compte
de fée. Les études sont déjà loin et personne
ne se soucie de son frais minois sauf les vautours qui tourne pour
éjaculer dans quelque chose contre quelques roubles. La vérité
toute cru sans l’utilisation calibrée du cinéma-vérité.
Elle l’a choisi dira le législateur machiste… qu’aurait
elle pu faire d’autre dira le spectateur bien évidemment
mal à l’aise sur son fauteuil d’assister à
la destruction d’une fillette de 16 ans symbole d’un monde
en perdition qui se fait ramoner par des porcs avides.
Car la petite combine de Lilja, heureuse au début et ravalant
sa haine, sa honte et son mépris offre un ballon de basket
à son pote Volodya, le seul qui l’aime et avec qui elle
aurait du connaître l’Amour, le grand A s’il vous
plaît, si les babas-cool de Malmö avait gagné pour
de vrai et que leur « jouir sans entrave » ne s’était
pas métamorphosé en argument marketing, avec main d’œuvre
fournie. Mais elle va tomber en boîte sur le beau Andreï,
Pavel Ponomaryov, qui va faire miroiter tant de chose à la
pauvre Lilya… De l’emmener vivre en Suède, de lui
trouver du travail… La suite est limpide. Andreï est un
sale petit maquereau, il la largue à l’aéroport
de Malmö et la voilà dans une « filière »
comme l’on dit place Beauvau, une filière où elle
est enfermée dans un appartement, dans un HLM impersonnel,
si impersonnel qu’il fait froid dans le dos car il ressemble
à tout les autres, à ceux qu’il y a dehors, à
ceux où on habite… Et Lilya, quand on la sort c’est
pour qu’elle serve de poupée gonflable incarnée
pour des gens dont la misère sexuelle ; cette pénurie
qui génère de la demande comme dans tout bon système
capitaliste, amène à toutes les bassesses.
Le génie de Moodyssonn est rendre les scènes de sexe
par un procédé de fish-eye sur le nombril du mec. C’est
déshumanisant, sale, dégueulasse. C’est la vision
de Lylia, et ça en met un sale coup dans la gueule des machos.
On laissera la fin se décanter devant les yeux des spectateurs.
On notera simplement le caractère désespéré
de ce film où Volodya mort apparaissant en ange –hommage
appuyé à Wenders- lui dit que le paradis n’est
pas mieux. Et on restera sur cette image d’une tristesse absolue,
cette tête de Lénine dans l’usine désaffectée
où les enfants s’abandonnent aux paradis artificiels
les plus cheap… Seule touche de couleur du film elle laisse
un goût de désespoir amer… Comme si le monde des
illusions s’en était allé.
Un film d’une dureté que certains auront du mal à
supporter… Mais un film d’une incroyable justesse et d’une
intégrité étonnante, qui place Moodyssonn définitivement
parmi les plus grands.