Psychose : l'attirail de la terreur


Lorsque l’on pense à Alfred Hitchcock, il est une scène et une musique, la fantastique musique du fidèle Bernard Hermann qui vient à l’esprit. La stridence des violons et un rideau de douche qui cède, un visage horrifié et un couteau en transe. Une flaque, un filet de sang se mélange au petit tourbillon d’eau qui se forme à la bonde. C’est à la fois extrêmement érotique et d’une froideur assassine. On les voit plan par plan découpe par découpe ces images milles fois revues d’un film mythique. Après la transe, un œil apparaît, magnifique montage qui superpose le siphon où le sang s’écoule et où la vie s’en va et l’œil vide, rasséréné de toute terreur mais éteint à jamais, de Marion jouée par la belle Janet Leigh, qu’Hitchcock avait imposé au producteur malgré une opposition due à son statut de débutante.
Une scène mythique qui compte soixante et onze plans en moins de quarante-cinq secondes que dure le film ! Une scène qui, l’air de rien, le film ayant été tourné en 1960, est d’une modernité époustouflante au regard de l’époque. Certes, le film de Clouzot, « Les Diaboliques », et dont le film reprend quelques idées proposait déjà une scène de meurtre dans une salle de bain, mais jamais le film du français n’arrivait à une telle esthétisation de la mort, à une sensualité de l’horreur où nous pousse Hitchcock, que l’on peut voir, dans ce film, choisir une voiture lors de la scène chez le garagiste, affublé d’un magnifique chapeau Texan.
Dans la filmographie somptueuse d’Alfred Hitchcock, Psychose tien incontestablement une place à part, à la fois parce que jamais Hitchcock ne maîtrisera son sujet d’une manière aussi efficace, mais surtout parce que cette efficacité vient du désir même du maître. On sait qu’Hitchcock se relevait un défi à lui-même dans chacune de ses œuvres. Voulant créer une mécanique musicale de la peur dans « Les oiseaux » par exemple. Ici, comme pour compliquer un peu plus son travail, il avait décidé de tourner « Psycho » avec une équipe limité et un temps très court, juste pour voir s’il était possible de réaliser un grand film de cinéma avec les moyens de la télévision. Le fait est de reconnaître que oui, ce qui a du considérablement ennuyer quelques tâcherons du téléfilm, mais a considérablement changé aussi la façon d’Hitchcock de considérer sa mise en scène, à beaucoup de points de vue : cinéaste à l’efficacité dilué dans l’esthétisme jusqu’à ce film, Hitch accélère la cadence et livre un film extrêmement nerveux, qui base tout, non pas sur sa réalisation, mais sur le montage, fort moins coûteux, et qui va « alourdir » un peu plus l’atmosphère, notamment dans les scènes de confrontation entre Marion et Norman Bates, joué par le subjuguant Anthony Perkins, qui lessiva ensuite son talent dans des suites indignes de ce seul film dans lequel il brilla vraiment. En plus de cette nervosité, le sens de l’horreur dans ce film est magnifié par l’endroit du Motel Bates, où se réfugie la fugitive Marion Crane, voleuse maladroite de 40.000 $ que l’on suit dans ses atermoiements qui finiront par la vendre, mais trop tard pour la sauver de la mort. Un motel jouxtant un faux manoir où la mère de Norman Bates est invisible mais vitupérant. Une maison inquiétante. Ce motel Bates dont Hitchcock livre le secret à Truffaut dans l’interview fleuve publié chez Gallimard : « Hitchcok-Truffaut, édition définitive »… S’inspirant d’un lieu réel de la Californie du Nord, où ce type de maisons existe vraiment et s’appelle le « Gothique Californien ». En commençant à tourner, Hitchcock s’aperçoit que le lieu ressemble à un décor des vieux films d’horreur Universal. Aussitôt, il décida d’adapter sa lumière à cette heureuse coïncidence.
Dans ce film que Truffaut considérait, avec Hitchcock lui-même ne le déniant pas, comme un film expérimental, Hitchcock avoue lui-même : « Dans Psycho, le sujet m’importe peu, les personnages m’importent peu, ce qui m’importe c’est l’assemblages des morceaux du film, la photographie, la bande sonore (…). Je crois que c’est un grand bonheur pour nous d’utiliser l’art cinématographique pour créer une émotion de masse ». Bref, en quelques lignes résumer l’amour du cinéma. Psychose est un film d’une virtuosité inouïe. Un vrai bonheur de cinéma qu’il faut vit se procurer un DVD pour la qualité du travail du maître et pour la bande annonce de ce film présente en bonus, véritable foutage de gueule organisé par un maître-farceur là aussi d’une modernité absolue !