CQ : Cinéphile Courrège


Le film qui nous concerne ce soir est une œuvre que nous espérions depuis longtemps, d’abord parce que le film, buzzé depuis 2001 sur toutes les lèvres de ceux qui ont la chance de se rendre dans les projections festivalières n’avait laissé que du bien l’en échapper, mais aussi parce que le sujet –ici les années 60, leurs rêves et leur douceur- est un thème que votre chroniqueur affectionne particulièrement, par la possibilité des couleurs, des atmosphères… Par cette impression de liberté. Mais aussi parce que par son origine le film surfe sur un thème qui avait déjà fait mouche en 2000 avec « Virgin Suicide ».
Attendu, enfin, parce que les rares explications sorti de ce film secret laissait comprendre que le héros du film allait être un monteur de cinéma, soit un rôle dans l’industrie du cinéma aussi stratégique qu’anonyme, à l’époque où l’on glose sur les réalisateurs, ces gens qui, à de bien rare exceptions rabâchée ici, ne serait pas grand-chose sans leur monteur et leur chef-opérateur bien sagement dans l’ombre qui ne récolte que très rarement les fruits de la médiatisation à outrance de leur commanditaire .
Espéré, donc, depuis un passage remarqué au festival de Cannes 2001, où il fut descendu par les critiques repues et remonté par un réalisateur précautionneux et perfectionniste qui le présenta, parait-il quasiment inchangé au mêmes critiques –avant le repas ce coup-ci, à n’en pas douter !- au festival de Deauville 2002 où il fut encensé, le film qui nous concerne aujourd’hui est un pur gâteau à la crème pop issu de la famille la plus prolifique du cinéma mondial, la famille Coppola. Vous l’aurez compris, le film qui nous concerne ce soir est le très groovy « CQ » du dernier rejeton de Francis, Roman Coppola. Francis Coppola qui doit être comblé, car après le succès de sa fille Sofia et son film « Virgin Suicide », c’est au tour du fiston de faire un film, et pas n’importe lequel car on peut dire en préambule que c’est certainement le film le plus frais et le plus enthousiasmant du cinéma anglo-saxon de ces derniers temps.
Roman Coppola, on le connaît pour avoir longtemps été le faire valoir du reste de Zoetrope, sans que cela ne soit d’ailleurs ni une insulte ni un problème pour lui. Plus jeune de la famille, qui compte rappelons le trois cinéastes et deux acteurs (Nicholas Cage, le cousin et son frère Jason Schwartzman qui joue d’ailleurs Felix de Marco dans le film). Et bien le petit Roman a commencé fort jeune. D’abord dans l’observation de son père forcément, qu’il a suivi comme Sofia dans tous les tournages aux quatre coins de la terre, mais aussi comme cinéaste, puisqu’il devient « Deuxième équipe » de son père très très jeune dans « Outsiders », avant de se faire remarquer, alors qu’il n’avait encore jamais mis les pieds dans une école de cinéma, comme « Deuxième équipe » sur le Dracula de son Coppola de père (1 nomination aux oscars techniques). Réalisateur de plusieurs courts métrages, mais aussi des clips (notamment le joli « Praise you » de Fat Boy Slim »), il rejoindra sa sœur sur le tournage de son film lui aussi très nostalgiques, dont on a d’ailleurs envie maintenant CQ sous nos yeux de se demander quels plans sont ses bébés.
De cette histoire de monteur de film Z qui se rêve artiste de la nouvelle vague, Coppola a mis sans doute beaucoup de lui, et de son univers résolument cinéphile. On reconnaît à chaque détour de plans des citations et des hommages ; Lorgnant beaucoup autour de Truffaud –période « domicile conjugual »- notamment dans toutes ses relations avec Elodie Bouchez, qui tient un rôle sympathique dans ce film. Mais c’est le cas de tous les films de cinéma qui contienne un film dans le film, de faire une grande place à la passion des auteurs pour le cinéma. Sans qu’il y ait comparaison possible, puisqu’il s’agit là de chefs-d’œuvre ce que CQ n’est pas, juste un bon film nostalgique et agréable, enthousiasmant et prometteur, c’est le cas de 81/2 de Fellini et de « La Nuit Américaine » de Truffaut auxquels Coppola sait aussi rendre un chaleureux hommage. Mais la réussite de Coppola, c’est bien d’avoir su investir le style de ce que certains appellent la « Nouvelle Vague Américaine », la bande de sa sœur et de son mari Spike Jonze, de Fincher et consorts, tous ces manieurs de caméras issus du clip : c'est-à-dire utiliser le rythme, le cadre, l’artefact même de la pellicule comme ustensile de narration. Ainsi, une des grandes trouvaille du réalisateur est sans nul doute ce passage régulier entre 35 millimètre (Dragonfly) couleur et le 16 millimètres (le film « Nouvelle Vague ») Noir et Blanc. Réduisant l’image d’un coup, il fait la séparation entre deux mondes et porte en quelques astuces visuelles un jugement sur la vie du héros. Mais ce qui reste, c’est le jeu que le réalisateur fait jouer à son héros interprété par Jeremy Davis : avec son travail de monteur, il permet à Coppola de jouer sans en abuser sur les accélérés et les ralentis, les rewind et les cuts à la massue… Ce qui donne à Dragonfly un petit côté expérimental, presque plus, finalement que le film noir et blanc.
CQ est une réussite, autant scénaristique que graphique, de ces réussites mineures que savaient remplir le cinéma auquel Roman Coppola rend hommage, de Bava et son « Opération Diabolik » à Roger Corman et ses film fantastique aussi kitsch qu’admirablement réalisé, de « Chute de la maison Usher » à la « Dernière femme du monde », bref à tous ces cinéastes émérites mais sacrifié, parce que considérés comme mineurs par des critiques qui allait s'ahurir devant le 2001 de Kubrick, laissant la porte ouverte à des gens comme Friedkin ou De Palma pour reprendre çà leur compte, le style ayant été enfin digéré par la pop-culture…
Pop culture qui, 40 ans après, sous les coups de boutoirs de la mode kitsh et des réalisateurs comme Tim Burton reécouvre le foisonnement musical et visuel de ce cinéma là. Le film de Coppola en est une séquelle, mais il y a dans ce film un petit truc en plus que les autres ne peuvent avoir : l’histoire même du réalisateur, qui l’a fait vivre certes enfant, ce foisonnement créatif : en effet, Roger Corman dont le rôle de Francis De Marco est inspiré, fut, dans les années 70, le premier producteur de son père, que Jacques Demy venait à la maison quand il était petit, et que finalement toute la vie de Roman n’a toujours été que le cinéma.
On a d’ailleurs un peu l’impression de cela lorsqu’on voit débarquer à l’écran la silhouette de Paul, le héros du film, qui ne vit lui que pour le cinéma et travaille sur un film style Barbarella comme monteur. Ce film, Dragonfly, est, on l’a déjà dit, est inspiré de « Opération Diabolik » de Mario Bava, que l’on croit reconnaître sous les traits de Depardieu, étonnement digne et émouvant en cinéaste aigri dont le talent s’effrite et qui donne ce conseil ultime à Paul, lorsque celui-ci après de rocambolesques aventures reprend à la fois son bien –la septième bobine- et la réalisation. : « Reste toujours à côté de la caméra, l’acteur croira qu’il joue pour toi ».
On restera en admiration à la fois sur la qualité du travail de l’image, comme pour les scènes de l’Agent Dragonfly, joué par la Barbarellesque Angela Lindvall, où la caméra de Coppola semble flotter, mais aussi sur la qualité d’écriture qui aurait pu tomber dans un malstrom uniquement allusif, piège très bien évité par un Roman Coppola dont on dit qu’il écrit ce film depuis l’adolescence. Et enfin, on ne pourra que féliciter le groupe « Mellow », proche du travail de « Air » qui eux avaient bossé avec Sofia sue « Virgin Suicides »… L’importance que la série Z apportait à la musique du film est bien souligné par la BOF défrisante de CQ.
Un film à voir, avec un vrai plaisir, et qui donne surtout envie de revoir tous les Bava.