Avant de réaliser
les sentiers de la gloire, le film qui le fit reconnaître comme
le génie qu’il était, Stanley Kubrick a fait ses
armes avec deux films étiquetés –à tort
?- série B…
Pour son deuxième film, Stanley Kubrick choisit un thème
qui ne reste pourtant pas un de ses thèmes favoris pour le
reste de ses films ; et l’on est bien en peine de dire que c’est
un grosse perte pour le cinéma de genre, car ici en prenant
le thème du polar, Kubrick nous sert en une petite heure (le
film dure une heure cinq) une œuvre dense rendant hommage à
un style que le maître déclarait pourtant ne pas affectionner.
Mais il est bien évident que le film noir en tant que tel n’est
qu’un exercice de style pour le jeune cinéaste. Lorsqu’il
réalise ce film pour la MGM en 1955, Kubrick surfe sur une
vague qui a le vent en poupe, et c’est pour montrer son talent
intrinsèque, pour se vendre en réalité, que l’auteur
se lance dans le film de genre et ses codes pré-établis.
A l’origine photographe, Kubrick collectionne dans ce film éclairé
de main de maître par le réalisateur lui-même,
les plans hors du commun et les essais : ainsi cette caméra
fort basse sur le plan initial à la gare : devant Davy Gordon,
joué par Frank Silvera, des pieds de voyageurs déambulent.
Où cette autre trouvaille, absolument gratuite, lorsqu’il
regarde les poissons, son visage déformé par l’eau
du bocal. Pari gagné pour Kubrick, puisque c’est «
Le baiser du tueur » qui va faire connaître au monde entier
le talentueux cinéaste, d’abord par la maîtrise
des plans et du scénario, mais aussi par l’omnipotence
du maître, déjà présente : scénariste,
chef-op, producteur et metteur en scène, et qui de plus insiste
au générique avec un pompeux : « Monté,
photographié et Mis en scène par Kubrick » !
Dans cette petite histoire de boxeur raté qui veut rentrer
chez lui, et qui va se retrouver entraîné dans une spirale
qui va l’amener à commettre un meurtre, on retrouve quelques
obsessions du réalisateur, d’abord les prémisses
d’une histoire « démontable », comme dans
Eyes Wide Shut, finalement le film le plus proche de celui-ci, puisque
dans les deux cas, un homme en prise à ses pulsions et sa curiosité
va payer cash en quelques minutes. Aussi parce qu’on retrouve
la mysoginie de Kubrick dans le personnage de cette blonde vénéneuse
et paumée qui va draguer notre boxeur et le lâcher quand
elle verra qu’il n’a plus le dessus. L’intrigue,
qui se déroule à Manhattan dans une atmosphère
très clinquante pour faire ressortir les contrastes de l’image,
seule véritable obsession kubrickienne, met en scène
ce boxeur, donc, mais aussi un patron sans scrupule qui va assassiner
son manager… Et la confrontation entre les deux hommes va donner
quelques trouvailles qui là aussi vont donner une image à
Kubrick et qu’ils réutilisera plus tard. Ainsi, la bagarre
dans l’entrepôt de modèle est très significative
: dans un univers rempli de poupées en plastiques qui servent
à exposer les vêtements féminins, les deux machos
se battent à la hache et au pic comme deux gladiateurs d’opérette
: on pensera bien sur à l’arme de Torrance dans Shining,
mais aussi à un vision de cinéma qui a du beaucoup plaire
à Kubrick : pendant cette bagarre les corps en plastique sont
explosés à coup de Hache… trash pour l’époque
et qui annonçait déjà pas mal de choses dans
l’œuvre du cinéaste.
Le « Baiser du tueur » ? Incontestablement pas le meilleur
film de Kubrick, mais un film d’école à découvrir
pour entrevoir les bases de la grammaire du cinéma selon Kubrick…
Le tout dans un coffret DVD réunissant les premiers pas du
maître : L’ultime Razzia, Le Baiser du tueur et Les sentiers
de la gloire. Indispensable…