Joue là comme Beckham : Samosa et tir brossé


Comme le dirait si bien Djette Klarabel si c'était son tour de causer dans le poste : "Les anglais ne sont vraiment pas comme nous". Et bien, la plupart du temps, c'est vraiment tant mieux, et d'autant plus lorsqu'il s'agit de cinéma. Positif, la célèbre revue de cinéma rappelait il y a peu que les préjugés cinéphiliques envers la Grande-Bretagne sont lourds dans notre triste France : je cite l'éditorial de Michel Ciment : " Lorsque saint François (Truffaut) (…) déclarait à Hitchcock :"On peut se demander s'il n'y a pas incompatibilité entre le mot cinéma et le mot Angleterre", il ne s'imaginait pas que cette ânerie péremptoire serait reprise quarante ans plus tard par des zélateurs aveugles." On ne saurait mieux dire la froideur de certains montreurs de films à passer les bobines d'Outre-Manche correctement dans notre bonne ville rouennaise. Correctement c'est à dire en VO. Il est certain que la saine lecture d'une revue sans partie prix ferait du bien aux exploitants et de par là même à nos mirettes, d'autant plus qu'avec "About a Boy" et "Bend it Like Beckham", le calendrier est propice.
Pourtant, point de films d'outre manche "intermédiaire" à se mettre sous la dent en VO. Et d'ailleurs, toujours le même constat : depuis la disparition de l'UGC de nos rues, plus moyens de voir un film en VO s'il n'a pas été authentifié "de bon goût" par la sainte trinité des critiques syndiqués -inrocks, libé, cahiers- et indéniablement, le film dont nous parlerons ce soir, pourtant bardé de prix comme un samosa de concours, esthétiquement réussi et ayant la bonne idée d'être en sus accessible à tout public n'a pas eu l'heur de convenir à ces gens. Mais la raison est peut être comprise dans la notice.
Joue là comme Beckham, puisque c'est le film qui nous concerne aujourd'hui, est un film anglais. Rappelons que le cinéma anglais est un cinéma courageux, qui après s'être fait casser par les économies culturelles du couple Thatcher Major a relevé la tête seul, ce qu ne réussit toujours pas à faire le cinéma italien. Sans vouloir catégoriser pour ne pas rentrer dans un jeu de nos amis précédemment cités, rappelons également que le cinéma anglais excelle dans trois genres particulièrement distincts que sont :
1/ Le film social (Loach, Leigh)
2/ La Comédie Romantique (Mike Newell)
3/ Le film de pub, bières, foot, et disques de pop, bref ce qui fait qu'il sont quand même putain de supérieurs à nous -mais je m'égare- (Frears)
et les Monthy pythons, bien sur, mais sur lesquels, pour des raisons de convenances personnelles et de bonne tenue de cette chronique, je ne m'étendrai pas.
Joue là comme Beckham, est un cocktail des deux recettes précédentes, et c'est ce qui fait sa force. On aurait pu rajouter un poil de la première, la famille vivant près de l'aéroport et le sujet du racisme étant vivement abordé, mais c'eut été exagéré : bien que sociétal, le film n'a rien d'un critique sociale, comme pouvait l'être "Fish and Chips", le talentueux et mésestimé film de Damian O'Donnel, sur une famille de pakistanais à Londres, même si les deux films ont plus d'un point commun. Là où Fish and Chips partait en vrille sur le décalage entre la culture anglaise et indo-pakistanaise, et la violence des conflits, le film de Gurinder Chadha est beaucoup plus pétillant, plus sucré sans pour autant flancher dans le sirupeux. "Beckham" est une comédie réussie car elle fait rire, mais le rire est léger et énergisant. Et elle peux porter le qualificatif "anglais", parce que contrairement aux inepties proto-racistes d'un Thomas Gilou (La vérité si je mens, Black Mic-Mac), la communauté décrite dans le film -ici une famille panjabi classique- est certes le ressort scénaristique mais en aucun cas le ressort comique. On ne se fout pas gentiment de la gueule du décalage entre la vie occidentale et le poids des traditions. On joue sur les quiproquos, bien sur, mais on ne s'en sert pas comme principe d'hilarité. C'est peut être ce qui a valu à Chadha ses prix (festival de Locarno, festival anglais de Dinard…) mais c'est surtout son histoire cousue du fil d'or du sari de Pinki aka Archie Panjabi, la sœur de l'héroïne qui attend son mariage comme une libération patriarcale et l'occasion de faire sa pétasse dans les magasins. Jess, la benjamine de la famille Bhamra, est une fan de Beckham, et se lance dans une succes-story dans le foot féminin au nez et à la barbe sikh de son père, qui préfèrerait la voir mariée comme sa sœur. Sur ce pitch, la réalisatrice va composer un magnifique cocktail enchanteur à base de danses Bollywoodiennes, de film de fille -les relations entre les joueuses sont géniales-, de film de sport et de comédie anglaise pur malt, le tout arrosé par une bande son digne du mix des cultures, mélangeant allègrement la pop anglaise à Basement Jaxx, et Basement Jaxx à la musique Banghra et la musique Banghra à Bollywood
Jess, jouée par la jeune Paminder Nagra est très forte dans son rôle, où elle n'est pas loin de Michelle Rodriguez, la boxeuse de Girlfight, mais là aussi en plus douce. On peut d'ailleurs féliciter Gurinder Chadah pour le difficile exercice de réalisation que constituent les scènes de foot, véritable exercice de genre, sur lesquels beaucoup, Loach y compris, se sont cassés les dents. C'est Jess qui mène le film, explore la comédie romantique par la bluette avec son entraîneur, le beau Jonathan Rhys Meyers, qui jouait Bale (Bowie) dans Velvet Goldmine, joue la complicité de fille avec Jules, la jolie Keira Knightley, repérée dans Starwars I (elle jouait Cordé) qui la fait rentrer dans l'équipe… Mais le personnage le plus émouvant est certainement le père de Jess, joué par le vénérable Anupam Kher, célébrité Bollywoodienne aux 512 films ! En père perclus de traditions et de rancœur contre les racistes, il est fantastique, et préserve sans doute le film d'un goût trop sirupeux. La nouveauté, c'est aussi l'utilisation d'un inversement des préjugés : à ce titre, la maman de Jules -quel nom-, bonne anglaise de la green belt pense n'avoir aucun préjugé sur les panjabi… Mais demande à Jess si "on" lui a trouvé un mari et s'extasie devant le goût du poulet au curry. Mais surtout, le parallèle entre les deux mères, l'occidentale et l'indienne est succulente : car toutes deux rêvent d'une vie bien normée pour leurs filles : si la possibilité de lesbianisme est incongrue aux yeux de madame Bhamra, au point de n'en pas connaître la signification, madame Paxton craint que sa fille footballeuse le soit, ce qui n'est pas. Ca donne des répliques hilarantes : "Mais je n'ai rien contre ces gens là, j'ai moi-même beaucoup aimé Navratilova à l'époque. C'était la plus forte". Le machisme est également battu en brèche d'un large coup de ballon dans les couilles, et pas seulement dans le présupposé d'une société panjabi patriarcale. Voir la réaction des petits jeunots lors du match de foot féminin est particulièrement parlant de la vision des femmes dans la société des sluts, l'équivalent de nos beaufs anglais.
Le propos de Chadha n'est pas un propos indien, ni un propos anglais, mais bien un propos Banghra, du nom de la communauté indienne vivant à Londres, une talentueuse réalisatrice Banghra qui veut monter que la culture commune -ici le foot- fait fi des antériorités culturelles et des préjugés, et que le mix des cultures est possible si l'on trouve un terrain d'entente minimal qui nous permet de visiter la maison de l'autre… Et cela sans tomber dans le nouille
Et l'on se dit que le foot est vraiment un beau sujet de cinéma de "coup de tête" à "My name is Joe", de "Un dérangement considérable" à Shaolin Soccer", il permet d'exprimer et de dénoncer, par le rire ou la sueur les sentiments humains. Et je finirai sur une phrase de Gary Lineker, ancien international anglais qu'on voit commenter le match de début de film : "le football est un sport qui se joue à onze contre onze et où c'est le Brésil qui gagne". Et si c'était le cinéma, pour une fois ?