Ce soir, dans la rubrique
Travelling, nous parlerons, à l'occasion de sa sortie en DVD,
d'un des chefs d'uvres du cinéma mondial, rehaussé
par la présence de nombreux bonus, sortie DVD que l'on doit
à l'écurie Marin Karmitz, plus connue sous le nom de
la société MK2, propriétaire de cinémas
sur Paris, producteur fidèle de grands cinéastes comme
Chabrol et grand amateur de cinéma. On lui doit récemment
la ressortie de Fahrenheit 451 de François Truffaut, que nous
ne saurions trop vous conseiller, mais nous reparlerons peut être
une autre fois. Non, le film qui nous concerne aujourd'hui a été
restauré récemment à l'occasion d'une ressortie
en salle : c'est le fabuleux "Great Dictator" de Charles
Chaplin qui revient titiller nos yeux et nos neurones à une
époque où la situation politique actuelle aurait bien
besoin d'un nouveau Charlot.
De Charlie Chaplin, nous reparlerons tout à l'heure, mais revenons
sur le film en lui même.
Inutile de revenir sur un long historique des années 30 pour
bien comprendre la genèse de ce film : années troublées,
et c'est encore un euphémisme, par la situation politique et
la montée du fascisme. Il est dit ici et là que le film
a été inspiré par un livre nazi reçu un
jour de par un ami en voyage, où Chaplin était décrit
comme un "répugnant acrobate juif", lui qui n'est
pas juif (cependant, sa femme, la superbe Paulette Goddard, qui joue
dans le film le rôle d'Annah, la fiancée de Charlie,
a des origines juives, ce qui explique en partie l'acuité de
Chaplin à parler de ces douloureux problèmes). Mais
la réalité est certainement tout autre, même si
cette anecdote a peut être eu son rôle : influencé
par le marxisme, plus sûrement que par les divagations des nazillons,
puisque c'est à l'occasion d'un repas chez King Vidor, collègue
réalisateur auteur lui-même de plusieurs films de gauche
(Notre pain quotidien, Man without a star
) qu'il rencontre avec
Dan James, ancien brigadiste de la guerre d'Espagne et marxiste avoué.
Convaincant le réalisateur de se colleter à la critique
du fascisme, il écrira le script à deux main avec Chaplin.
Pourquoi Chaplin, parce que sa verve politique n'est pas nouvelle.
Déjà apparu dans "Les temps modernes", où
il attaquait frontalement le capitalisme, la critique sociale des
films de Charlie Chaplin, est un moteur capital de l'uvre de
celui qui a inventé tant de chose dans le langage cinématographique
moderne. Mais si l'on regarde plus profondément l'uvre
de "Charlot", il apparaît que de toutes façon
que la critique sociale est présente depuis toujours, dans
son personnage de vagabond, qui illustrait tant le paysage sociale
mondial au sortir de la guerre et dans les tourments de la Grande
Dépression. Il suffit de voir "The Kid", pour s'en
convaincre. L'histoire du vagabond et de l'enfant est une bravade
à l'autorité.
Mais si le Dictateur a marqué l'Histoire du cinéma,
c'est par la volonté inébranlable de Charles Chaplin
de se servir de sa stature pour faire un pied de nez à celui
qui menaçait le monde. Il faut bien comprendre que nonobstant
sa popularité mondiale, Charles Chaplin est finalement le premier
cinéaste indépendant de l'Histoire. Fort de sa popularité,
il crée avec plusieurs collègues du muet la firme United
Artist pour pouvoir produire ses films sans subir le diktat des majors.
Bien lui en fasse car sans cela le film n'aurait jamais vu le jour.
Depuis longtemps, Hollywood a baissé son pantalon devant le
Reich. L'Angleterre, la mère patrie de Charlot a déjà
décidé d'interdire le film, ainsi que le Danemark ou
l'Italie de Mussolini, qui censurait tous ses films (il faut y voir
sans doute le côté séditieux des pitreries du
vagabond relevé par la censure). Mais Charlot étant
responsable de ses propres deniers, et disposant d'une fortune colossale
due à son succès, le réalisateur peut tout se
permettre. Le tournage durera plus de 500 jours ! L'histoire allant
toujours plus vite que le reste, lorsque le film sort, la Guerre Mondiale
a débuté. Et Charlie Chaplin, réprouvé
par son projet au début de celui-ci, lorsqu'il se répandait
dans la presse de vouloir singer Hitler, est accueilli par le monde
entier comme un courageux Hérault de la paix.
Quant au film, il est fantastique à bien des points. D'abord,
c'est le premier film réellement parlant de Charlot, puisque
dans "les temps modernes" n'utilise que les borborygmes.
Le passage du muet au parlant n'a été qu'une formalité
pour Chaplin. Et des les premières scènes du "Dictateur",
même si l'archétype du burlesque muet est toujours présent,
on entend la voix de Charlie Chaplin. Victime d'un accident d'avion
durant la première guerre mondiale, le personnage du vagabond,
puisqu'il s'agit bien de lui, devient amnésique et ne se rappelle
plus qu'il est barbier dans le ghetto juif. Il ignore aussi l'arrivée
au pouvoir du sinistre Hynkel, qui lui ressemble comme deux gouttes
d'eau. Bien sur, l'amnésie du petit barbier est un ressort
comique évident. Ne sachant rien de la situation, il va braver
courageusement la milice de Hynkel. Et l'on retrouve dans ces scènes
les pantomimes du vagabond qui se frotte à la police, avec
cette science du rythme qui ne se dément pas. Pendant ce temps,
le Dictateur éructe ses discours dans un verbiage inconnu ressemblant
fort à l'allemand. Les trouvailles de Charles Chaplin pour
représenter Hitler sont restées célèbres.
Les éructations trouvées par le réalisateur,
excellent imitateur, le jeux avec les micros sont splendides. Les
plans choisis ne sont d'ailleurs pas innocents et révèlent
une grande modernité. En 1935, la cinéaste Leni Riefenstahl
usait et abusait de l'utilisation de grue pour filmer le congrès
du parti nazi. C'est pour se moquer de ce sinistre génie du
cinéma que Chaplin à son tour utilise ce procédé.
Le choix de Jack Oakie pour jouer Napaloni, dictateur d'un état
voisin est excellent. Et le duo Chaplin/Oakie, tout en exagération
et en burlesque, est également une manière excellente
de se moquer de ces baudruches. La scène où les deux
tyrans se disputent l'annexion de l'Osterlïch est un monument,
à la fois burlesque et incroyablement visionnaire. Avec l'humour
et le décalage, Chaplin fait passer tant de choses ! La barbarie
nazie dans le martyr des juifs, la violence des contrôles policiers,
le cynisme de Hynkel, prêt à emprunter de l'argent à
un banquier juif
Et puis il y a cette scène, célèbre
parmi toutes, où le dictateur s'amuse d'un planisphère
léger comme un ballon de plage. Il joue avec comme un jouet
charnel à l'idée de devenir le maître du monde,
le nouveau César. A force de le lancer, le ballon éclate
et c'est comme si la terre défaillait sous le joug de Hynkel.
Le dictateur est un film drôle, mais Charles Chaplin sait comme
à son habitude y instiller une dose progressive d'émotion
plus brute. La scène de fin, où ce n'est ni le petit
barbier déguisé en Hynkel, ni bien sur Hynkel lui-même
qui parle mais bel et bien Charles Chaplin est un climax certes dépassé
cinématographiquement mais d'une authenticité et d'une
justesse politique sans grand égal. Un véritable monument.
De plus, le DVD est assortie de plusieurs compléments qui en
font un objet indispensable : Un documentaire sur le destin croisé
de Chaplin et d'Hitler, un "court" muet, et un document
inestimable : un "making-of" (si l'on peut dire) en couleur
du "Dictateur", tourné par le frère de Charlot.
A avoir absolument dans sa dévédothèque .