Zéro de conduite : Enfance et Anarchie

 

Ce moyen métrage de 1933 aurait pu, selon toute vraisemblance, sombrer dans le plus parfait anonymat, sans pour autant que personne ne s'en émeuve. Un film de 45 minutes d'avant la guerre, à la qualité sonore plus que douteuse n'est pas en général gage d'une survie glorieuse. C'était sans compter sur la personnalité, voire le personnage de son réalisateur, le cinéaste maudit adoré par la Nouvelle Vague, le toujours adolescent Jean Vigo.
Zéro de conduite est un monument, que certains vont porter aux nues (Truffaut, qui dira de ce film "à l'émotion esthétique vient se mêler une émotion personnelle et intime") et dont d'autres vont se draper pour se donner un "genre" (Patrick Schullman, dans P.R.O.F.S.). Mais "Zéro de Conduite" est surtout un fantastique film expérimental, où les idées fusent de toutes parts, où le surréalisme formel de ce cinéaste anarchiste s'acoquine d'une passion viscérale pour le cinéma burlesque.
Anarchiste, Vigo l'est quasiment de nature, puisque fils d'un anarchiste espagnol, Miguel Almeyda, mort en prison dans des conditions révoltantes… ce qui ne pouvait engendrer qu'un révolté ! Ce trait se lit tout de suite dans cette histoire de rébellion infantile dans un collège d'Internat. L'affront fait aux autorités scolaires et le drapeau noir brandit par les mutins fut d'ailleurs une raison nécessaire et suffisante pour interdire le film à l'époque, qui ne sortit qu'après-guerre, et qui fut pourtant beaucoup moins séditieux qu'"A propos de Nice" le documentaire romancé du même Vigo.
Le film est passionnant par sa forme. Tourné avec très peu de moyens, il fait surtout appel au véritable talent de monteur de Vigo. Tourné du point de vue de l'enfance, ce film très politique est une critique au vitriol de l'éducation et de ses zélateurs. La charge contre l'autorité, qu'elle fut celle des maîtres "hussards noirs de la République" voleurs et pleutres, sadiques et dégoûtants ou contre l'Etat (Le préfet attaqué à coup de cailloux) est caricaturale mais pas dépassée : elle porte en elle la même révolte pubère et désordonnée, le même enthousiasme de celui qui veut refaire le monde. Pour s'appuyer sur du réel, Vigo est allé chercher des fleurs de pavé du Paname de l'époque, et la gouaille des enfants est un plus magnifié par la présence de Jean Dasté, acteur de l'époque, magnifique en surveillant amoureux et fantasque. Devant nos yeux, s'ouvre le monde que Vigo refait grâce à la dextérité de ses ciseaux. La scène de la fausse cérémonie religieuse après la bataille de polochon témoigne de la maîtrise technique de Jean Vigo, qui mourut très jeune, à 29 ans.
Il ne faut pas se leurrer, il est très difficile pour un spectateur "moderne", du genre de celui qui manie sa souris juste en face de ce texte de se reconnaître, voire même d'adhérer complètement au discours et à la forme. Mais c'est un film indispensable à tous ceux qui portent la flamme du cinéma en eux. Un film que l'on peut trouver magnifiquement restauré dans un double DVD, "L'intégrale Jean Vigo", qui était en 2002 au programme du BAC… récupération, quand tu nous tiens…