Les Oiseaux : L'épreuve de la peur


Grand classique du cinéma américain, "Les Oiseaux" est l'un des films les plus marquants de la carrière d'Hitchcock, car il s'aventure réellement dans des contrées que le cinéma "officiel" n'avait pas explorées jusqu'à lors celui de la peur et de la mystification, celui de l'inexplicable.
"Les oiseaux" est un chef d'œuvre de terreur. D'autant plus que rien n'indique, au début, que le film va tourner en un tel délicieux carnage.
Lorsque au début, Mitch, joué par le séduisant Rod Taylor, rattrape un canari chez un oiseleur après avoir joué un tour à Mélanie, joué par la ravissante Tippi Hedren, en disant "je vous replace dans votre cage, Mélanie Daniels", il ne croit pas si bien dire… Ce qu'on croit n'être que le début d'une joute amoureuse n'est qu'en réalité une triste prémonition de l'orage qui se prépare et qui verra la belle Mélanie attaquée sauvagement par des mouettes dans un grenier éventré en une symbolique qui n'est pas loin de ressembler au viol.
Car Hitchcock se sert de cette attaque improbable de la baie de Bodega par des hordes d'oiseaux pour à la fois jeter les bases d'une grammaire du cinéma de la terreur, mais aussi pour camper des personnages et en ressortir leur profondeur psychologique.
Utilisant à merveille les règles de la tragédie classique (unité de temps, 2 jours, unité de lieu, Bodega Bay, et unité d'action, la violence accrue et répétée des pioupious), il se permet donc de forcer sur les personnages, et sur leurs ressorts psychologiques. Ainsi, lorsque Tippi Hedren vient apporter les inséparables, les petits serins nommés Lovebirds dans la VO, à la sœur de Rod Taylor, nous faisons la connaissance de plusieurs personnages hauts en couleurs. La mère de Mitch, d'abord, jouée par Jessica Tandy, symbole de la mère fragile et possessive ou l'institutrice Annie Hayworth, interprété par la belle Suzanne Pleshette, énigmatique amoureuse éconduite. Mais surtout, grâce à cette mouture classique, adaptée à des événements surnaturels, il montre la psychologie de groupe, l'épreuve du feu de Mélanie, qui grâce à son courage et à son sacrifice final se fait accepter par la mère de l'homme qu'elle aime. Mais aussi qui apprend, elle le petit oiseau en cage dorée, à se confronté à la dureté de la vie, ici symbolisé par des attaques de moineaux.
Dans les entretiens que Hitchcock avait accordé à Truffaut*, Hitchcock rappelle ainsi : "Quand Mélanie Daniels se réfugie dans la cabine téléphonique vitrée, mon intention est de montrer qu'elle est comme dans une cage. Il ne s'agit plus d'une cage dorée, mais d'une cage de malheur. Et cela marque aussi le début de son épreuve par le feu. On, assiste au renversement du vieux conflit entre les hommes et les oiseaux. Et cette fois, les oiseaux sont au dehors." Tout est dit.
Ainsi, Hitch nous offrira des scènes d'une terrifiante beauté. La scène de la première attaque dans la maison, où l'on plus terrifié par l'oiseau mort qui tombe, après la bataille, du tableau du père décédé que par l'attaque elle-même. La scène de la découverte par Jessica Tandy du fermier mort, les yeux bouffés par les oiseaux, elle aussi, terrifiante parce que tout nous dit, à l'avance, ce qui s'est passé… Mais la vision d'horreur, au détour d'un montage nerveux, nous fait tout de même sursauter.
La grammaire du cinéma, Hitch la porte aux nues avec la scène des corbeaux, devant l'école, lorsque Tippi Hedren fume sa cigarette. Le montage est maîtrisé, tendu pour nous rendre nous-même anxieux, et la plupart des scènes tournent souvent à l'exercice de style, comme la scène de l'incendie de Bodega, qui est filmé du point de vue des mouettes. Et aussi, il serait fou de ne pas en parler, du silence utilisé dans ce film. Rare sont les films qui se passent de musique. Ici, Hitchcock a décidé de ne garder que les bruitages, pour renforcer l'angoisse, et de jouer sur ces bruitages, de les déformer parfois avec l'aide du fidèle compositeur Bernard Hermann pour créer une musicalité de l'horreur. Il le dit lui-même* : " Nous faisions vraiment quelque chose d'expérimental avec tous ces sons authentiques que nous stylisions ensuite afin d'en extraire plus de drame."
Mais surtout, la vraie réussite, c'est de ne pas donner de raison à l'attaque des oiseaux. De presque tronquer la fin. Pour nous laisser dans l'expectative… Et nous méfier des becs.

* Hitchcock-Truffaut, édition définitive, Gallimard.