Le film dont nous
allons parler ce soir est un fait rare dans l'histoire du cinéma
français, puisqu'il permet de se retourner sur une époque
noire de l'histoire de France. On aurait pu parler de La question
de Laurent Heynneman, un film de 1976 actuellement ressorti dans les
salles, qui traite de la Guerre d'Algérie, mais on ne nous
permet pas de le voir dans l'agglomération Rouennaise, certains
gérants de salles n'ayant que faire du cinéma et se
comportant comme de simples banquiers.
Qu'importe, puisqu'un autre grand film est sur nos écrans,
et qui traite cependant d'un sujet qui gène la République
aux entournures, celles des gueules cassées, ces soldats de
la guerre de 14 envoyé au front et qui sont revenu avec des
blessures terribles au visage, due aux obus. Ces soldats qu'on a laissé
souvent tout seul face à leur propre laideur, sans que la France
ne les aide à se gérer eux même. Un sujet suffisamment
tabou pour que le seul film qui aie traité de ce problème
pourtant chargé en romanesque soit le pamphlétaire "J'accuse"
d'Abel Gance, tourné en
1919 !
Ce film, c'est la "Chambre des officiers" de François
Dupeyron, jeune réalisateur à qui l'on doit déjà
"C'est quoi la vie ?", ou l'on retrouvait déjà
l'acteur sur qui repose une grande partie de l'émotion contenue
du film, Eric Caravaca. Car de l'émotion, le film en donne
tant et plus, mais pas de l'émotion suintante, présente,
grassouille comme peuvent en donner la plupart des productions historique
française. Non, ici, Dupeyron et ses acteurs ont su offrir
un film au spectateur dont on sort à la fois mal à l'aise
et heureux, estomaqué et plein d'espoir. Pour une fois dans
le cinéma français, on a su faire un film sur son histoire
qui ne soit pas un film d'autosatisfaction ou d'auto flagellation.
Mais un vrai film de guerre, antimilitariste et qui reprend à
son compte les canons du genre.
Un film de guerre qui ne montre pas la guerre, sauf en deux scènes
magnifiques, mais qui montre ses ravages et la reconstruction. Pas
la reconstruction des villes, mais la reconstruction des âmes.
On pense tout de suite à un chef d'uvre du genre, Johnny
got his gun de Donald Trumbo. Dupeyron en reprend d'ailleurs plusieurs
artifices, notamment cette voix off omniprésente dans la première
partie du film, et l'enfermement, le confinement des plans dans cette
chambre des officiers qu'Adrien, le héros du film, va hanter
pendant cinq ans.
Cinq ans que nous allons balayer comme un champs par les obus. Cinq
ans qu'on commence par une ellipse, puisque la première scène
est une remise de médaille grise comme le temps, épaisse
comme le grain de la pellicule. Une remise de médaille où
l'on découvre le visage d'Adrien qui nous fige et qui reste
tout le temps de la séance. Un visage qui nous faudra du temps
avant de revoir. La scène suivante est la première scène
de guerre, une scène d'avant l'apocalypse, le temps est beau
et les robes légères, les femmes embrassent leur mari.
Dans le train, la fleur est au fusil et l'enthousiasme est rouge baiser.
Parmi eux, Clémence, drôle de nom pour une guerre dira
plus tard Adrien, dit au revoir à son homme. Dans une heure
elle sera dans le lit d'Adrien, qu'elle rencontre sur le quai de la
gare. Ils sont les deux seuls à avoir peur de la guerre, et
dans leur étreinte, on sent sourdre déjà le tonnerre
du feu. Clémence, honteuse déjà de tromper son
poilu, cache le visage d'Adrien avec un foulard. Aveu prémonitoire.
La guerre les sépare. Elle restera belle, il la reverra plus
tard, et lui sera laid. Il deviendra la guerre. Une Clémence
jouée par une délicieuse Géraldine Pailhas. La
premières des femmes qui rythmera le film. Car à chaque
étape nouvelle, une nouvelle femme apparaitra : L'amante, l'infirmière,
la pute, la compagnonne d'infortune
Dés lors, la plus belle scène du film, ce bombardement
dont sera victime Adrien, n'est plus qu'un lent compte à rebours
; Cinq jours de guerre pour un visage défait. La mise en scène
de Dupeyron devient extrêmement tendue. Il utilise un traitement
numérique un peu jaunâtre, sépia pour tout dire,
qui renforce le soleil et souligne le visage poupin de Caravaca. A
chaque fois qu'un chamboulement arrive, ce traitement sépia
revient, comme pour nous donner l'impression d'un cliché écorné
de la guerre. L'obus éclate, et la caméra de Dupeyron
qui se figeait sur un visage va prendre un autre chemin, celui des
mains et des pieds d'Adrien, celui des contres plongées vers
les infirmiers et les autres patients. Le film devient le regard de
la Souffrance. Une astuce de réalisation qui aurait pu être
surfaite avec beaucoup de réalisateurs et qui est simple ici,
grâce à la sobriété de la réalisation.
Un artifice que Dupeyron sait, comme un métronome arrêter
quand il le faut, juste au moment où cela devient insupportable.
Une astuce de réalisation qui révèle également
le talent d'Eric Caravaca, car il "joue" sans son visage,
mais avec la main, le pied, le torse. Et avec cette voix off pesante,
souligné par un gargouillis obsédant. La nouvelle voix
d'Adrien. Le garçon a le palais arraché, et c'est le
seul son qui sort de sa bouche, ou ce qu'il en reste. Il ne voit pas
son visage non plus, mais il le devine. Il est conscient, il raisonne,
et se voit dans le regard des autres. Ou plutôt, dans le regard
des autres qui se détourne. Les deux seuls qui arrivent à
le regarder avec compassion (et professionnalisme ?), c'est Anaïs,
son infirmière attitrée, jouée par une Sabine
Azéma, toujours aussi fantastique, toujours aussi belle. Et
puis le médecin, joué par un Dussolier très crédible,
dont on se dit qu'il va jouer beaucoup de rôle dans le corps
médical dorénavant. Et puis Clémence, en rêve,
qui est la seule à le regarder avec amour. Clémence
qui deviendra Démence, sur l'ardoise avec laquelle il communique,
et dont la craie crisse, comme sa voix et lui répond.
Cette demi heure de fantaisie narrative achevée, elle laisse
place à la reconstruction. Avec les autres blessés d'abord
et les plans que nous sert Dupeyron sont souvent emprunté au
peintre Allemand Otto Dix, qui peigna beaucoup de défiguré
après la guerre de 14-18. Les amis d'Adrien ? d'autres officiers.
Car on ne mélange pas les torchons et les serviettes
Et l'étage du bas, dédié au simple troufion,
s'entasse plus rapidement de cadavres. On ri parfois, on se moque
des difficulté pour Adrien à réapprendre à
parler, après qu'on lui aie greffé une nouvelle langue.
Le premier mot qu'il dit, "Patiente", est un moment de pur
burlesque, dont la réplique donné par un Bruno Podalydes
vraiment aussi bon devant que derrière la caméra, dégoupille
la tension du film et montre la dignité gardé par la
réalisation. Pas un instant il chiale. Pas un instant le film
devient geignard. Et pourtant le précipice est grand ou des
centaines d'auteurs auraient plongé. Viennent les premières
sorties, notamment dans un bordel, où même les putes
ont du mal à vouloir de ces monstres. On pense à Eléphant
man de Lynch, mais là encore, la réalisation plus sobre
laisse moins de place à la compassion.
On sort du film, lessivé, essoré, ravagé nous
même par les horreurs de la guerre. On se dit que ça
n'a pu se passer, et c'est une histoire vraie. Certaines scènes
vous poursuivent comme un fracas lointain. Pourtant pas un instant
on pleure. Pourtant pas un instant on est pris de compassion pour
le visage labouré d'Adrien. Juste on se dit que la guerre est
vraiment la chose la plus dégueulasse qui soit. Et puis on
reste interloqué que le film n'aie rien eu à Cannes.
Il faut toujours que la vie reprenne le dessus.