Paris Blues : Film noir, Jazz blanc


Petite rareté découverte par hasard sur le câble (Cinétoile : excellente chaïne), Paris Blues est un film que l'on considère mineur dans les grilles de critiques. Sans grande histoire, avec un scénario que l'on pourrait taxer de badin, le film nous emmène pourtant pour une heure et demi de bonheur, tant il reflète avec un exotique réalisme ce qu'était le Saint Germain des années 50, et l'essor fulgurant et sans précédent du jazz en Europe qui se tramait par là bas.
Pur produit de la MGM, le film est d'une facture excellente en terme de cadrage et de plan, la lumière est celle des films noirs, et les deux héros du film, deux jazzmen américains, sont admirablement interprétés par deux stars maisons, deux représentants de la classe incarnée : Sidney Poitier dans le rôle du saxophoniste Eddie Cook et Paul Newman dans le rôle d'un tromboniste talentueux et compositeur ambitieux, Ram Bowen. Le réalisateur, Martin Ritt, est un réalisateur de commande d'Hollywood, à l'époque où cela n'est pas une honte : il réalisera entre autre "L'espion qui venait du froid" et "Long Hot Summer", tiré d'un scénario de William Faulkner.
La vision d'Hollywood du Paris de cette époque est une ville vivante, où l'amour, comme la musique peut s'épanouir en liberté. Mais la musique et l'amour sont ils compatible… La belle Lilian, interprétée par la beauté de l'époque Joanne Woodward, va faire l'apprentissage du contraire, et c'est le beau Paul Newman, au sommet de sa classe qui va le lui apprendre. Mais surtout, pour 1961, le film est précurseur : Sidney Poitier, afro-américain, est traité comme l'égal de Newman, et pas seulement dans la musique. Lui aussi vit son histoire d'amour, avec la belle Diahann Caroll… Le film sous-entend même que le saxophoniste Eddie Cook est à Paris pour des raisons autres que la musique, et qui seraient bien les préjugés raciaux de l'Amérique ! Incroyable ! Les amateurs de Jazz verront également une ressemblance assez incroyable entre Sidney Poitier et John Coltrane, mais là on s'éloigne du thème même…
Il ne faut cependant pas perdre de vue le côté film musical du film, même si c'est l'histoire d'amour, et la virile complicité des deux saxophonistes dans ce Paris de cocagne qui est en avant plan. Le jazz, et le "Jazz Hot" de Saint Germain, romantique, suinte à tous les plans : dans une scène incroyable, on voit même débarquer Louis Armstrong himself pour un caméo. Bœuf improvisé dans les caves à Jazz : et c'est toute la fine fleur de ce Paris qui tape le solo avec Satchmo : Moustache à la batterie, Regianni à la guitare, affublé d'une moustache lui aussi… André Luguet à la basse… que du beau monde ! Si on rajoute la starlette Marie Versini dans le rôle de la petite femme de Paris piquante et mutine, on tombera dans le cliché… Et bien content, encore !
La fin du film est à lui seul un pur bonheur : Newman et Poitier abandonnent leurs amours respectifs sur le quai de la gare Saint Lazare, direction Le Havre… Pas un mot échangés entre les deux, Sidney Poitier remonte le col de son imperméable et ils font demi-tour. Dans le fond, on remplace l'affiche de Louis Armstrong par une publicité Larousse. The End. Hollywood pur beurre, bonheur !