Pour tous les fidèles
auditeurs de l'émission, Qu'elle s'appelât Habillé
pour l'hiver ou bien avant Les arêtes dans la friture, il est
inutile de rappeler à quel point nous portons dans notre cur
le réalisateur Pedro Almodovar, phare d'un nouveau cinéma
espagnol, acteur de la Movida, créateur cru et multiforme,
à la technique irréprochable et à l'humour grinçant
et sans concessions. Pour les plus fidèles d'entre vous, nous
ne vous rappellerons donc pas cette défiance que nous avions
opposé au succès de Lars Von Trier lors de la fournée
du festival de Cannes 1999, au vu de la performance du dernier film
de l'Ibère, "Tout sur ma mère". Ce film, c'était
beaucoup de choses à la fois.
D'abord un magnifique hommage aux femmes, mais pas seulement, aussi
un magnifique hommage au cinéma, avec des plans choisis, des
envolées magnifiques, mais aussi la maîtrise contenue
d'un genre cinématographique à part entière,
parfois un peu lourdingues lorsqu'il est mal dominé, le Mélo.
Qu'avons nous pu dire de mal du mélo, qui de Love Story à
Titanic, n'attire en général que les plus bas instincts
pleurnichards des consommateurs Universaliens à Pop-Corn des
salles de cinéma franchisés par des cuistres sans amour
particulier pour le 35 millimètres.
Qu'avons-nous pu dire de mal de cette violence faite à la pudeur
du cinéphile lambda venu s'abreuver d'une histoire et se retrouvant
soudain devant un scénario tortueux et souvent prévomi,
où la mièvrerie du propos n'est que le seul échappatoire,
au scénario du film si l'on exclue évidemment le ridicule,
terme pas si rare dans ce type de cinéma.
Bien sur, certains ont magnifié le genre, lui ont donné
des lettres de noblesse, comme le très médiatisé
réalisateur hollywoodien des années 50, Douglas Sirk;
à la page récemment lors de la sortie du film de François
Ozon, "8 femmes". Douglas Sirk qui utilisait le mélo,
non pas pour flatter les bas-instincts d'un spectateur qui voulait
renouveler le contenu de ses glandes lacrymales, mais pour raconter
une vraie histoire, se servir du mélo dans un peinture sociale,
faire de l'histoire tortueuse de ses personnages une vraie peinture
sans tomber dans le pathos, ce mot indigeste au cinéma.
Lorsque Pedro Almodovar avait réalisé "Tout sur
ma mère", il avait réussi à rendre hommage
à Douglas Sirk, et c'est d'autant plus notable que les racines
de deux cinéastes chéris se recoupent au sein d'un même
background. Car si Ozon se réclame de Sirk, il se réclame
également d'Almodovar, peut être même est-ce le
cinéaste le plus proche du jeune prodige français.
Avant même que la nouvelle bobine d'Almodovar ne tombe dans
nos salles préférées, plusieurs médias
sont venus pour crier au génie : ceux qui ont eu l'occasion
de voir donc le film qui nous intéresse ce soir à l'occasion
du festival du film de Paris, l'un des festival les plus intéressant
de l'hexagone, en on fait un panégyrique tout à fait
remarquable, sur le mode de cette phrase qui revenait dans toutes
les bouches : "Jusqu'où Almodovar va-t-il bien pouvoir
aller ?" Et bien jusqu'à "Parle avec Elle",
c'est au moins évident.
Cette phrase, nous l'avions déjà entendu au mitan des
années 80, au sujet de l'uvre d'un autre réalisateur
français, lui aussi célébré pour la crudité
de son langage et le côté "un peu trash" de
ses histoires : Bertrand Blier
Qui lui aussi après le
feu d'artifice de "Un, deux, trois
Soleil" était
attendu au tournant de chacun de ses films. Et si Blier -qui lui aussi
maniait et détournait finalement le mélo à sa
sauce, plus cruelle et surréaliste- a mis plusieurs films avant
de se tarir, et de nous servir un bien piètre film, "les
Acteurs", il aura fallu beaucoup moins de temps finalement au
réalisateur de "Talons Aiguilles". Moins d'un film
pour tout dire?
Il est de bon ton dans la presse d'encenser "Parle avec Elle"
comme le meilleur film d'Almodovar, comme le nouveau tournant d'un
réalisateur d'exception. Ce n'est pas pour aller à contre
courant, mais ma position est radicalement différente : "Parle
avec Elle" est un film d'une banalité décevante,
certes bien maîtrisé techniquement, mais sans le petit
vent de folie, sans le côté un peu "déviant"
qui faisait d'un film d'Almodovar un film d'Almodovar. En voulant
utiliser le mélo pour utiliser le mélo, Almodovar a
perdu en route l'âme de ses films, hanté par l'humour,
habité par l'homosexualité ou plus globalement par le
sexe. De tout ça, il ne reste rien dans "Parle avec Elle,
ou si peu que ce n'est quantifiable que sous forme de clin d'il.
Clin d'il poisseux d'ailleurs le plus souvent, car si Almodovar
s'en est servi, ce n'est bien souvent que pour surfer sur la vague
incroyable de "Tout sur ma mère", comme si les récompenses
mondiales lui avait en quelque sorte tari la pompe à idée.
Clin d'il poisseux quasiment comme ceux utilisé par l'industrie
d'entertainmant américaine, c'est à dire qui appuie
bien lourdement sur l'épaule de son voisin, comme pour lui
dire : "eh, tu te rappelles, le film que tu avais bien aimé,
eh ben regarde ducon, je t'ai remis, au débotté d'un
plan, les acteurs de mon autre film"
Ici, Marisa Paredes
et Cecilia Roth, en train de pleurer comme n'importe quelle Meryl
Streep de bazar
Rappelons nous de l'oscar d'Almodovar pour "Tout sur ma mère".
L'acteur de la Movida qu'il était se retrouvait ainsi propulsé
vers une célébrité qui lui tendait maintes fois
les bras mais qui se refusait à lui, à part en France,
et surtout, comble des combles, en Espagne, où il était
une sorte d'inconnu devenu icône par la grâce de la reconnaissance
Hollywoodienne. Alors, a-t-il voulu faire consensuel en faisant un
film flatte-couillon dramatisant grotesquement la vacuité de
son intrigue par une scène de corrida maniérée
au possible ? Et la corrida, ça fait chier, ainsi que toutes
les espagnolades qui s'y rapportent.
Alors le film prend clairement un mauvais pli, les acteurs, plus lisses,
moins heurtés que les acteurs habituels d'Almodovar, glissent
sans âmes dans cette histoire où les rares moments enlevés
sont des hommages directs et appuyés au cinéma. Exemple,
dans cette histoire où deux femmes sont dans le coma et où
deux hommes les veillent, sujet d'ailleurs tout à fait intéressant
et qui aurait mérité mieux que cette mélasse
pleurnicharde, exemple donc, ce petit film muet en noir et blanc,
hommage à "l'homme qui rétrécit" de
Jack Arnold, où Almodovar retrouve de sa superbe passée,
en usant d'une magnifique parabole d'un homme entrant en entier dans
le vagin de sa bien-aimée endormi
Seul moment du film qui soit à la fois plein d'émotion
et d'une dignité remarquable. L'histoire en elle même
-deux femmes dans le coma aimées par deux hommes prévenants
et amoureux, l'acte d'amour de l'un d'entre eux qui provoque à
la fois sa mort à lui et le réveil de sa bien aimé
comme si elle était une sorte de mante religieuse réduite
au statut de méduse- paraît être le fruit d'une
réflexion scénaristique louable, sonne comme du Almodovar
pur sucre, par ce sucre n'est en fait que de l'Aspartam, et le résultat,
pas grand chose de mieux que du Almodovar Light
Et comme si le réalisateur était tout à fait
conscient de la médiocrité scénaristique, il
en rajoute comme pour envelopper l'andouille, dans l'imagerie culturelle
bien en vogue et qui marche dans les milieux et les publics visés.
Alors vas-y que je te met un tantinet de ballet de Pina Baush pour
montrer l'incommunicabilité des êtres, vas-y que j'appuie
bien fort sur mon identité ibérique, avec sa cohorte
de corrida et de chanteur de charme. Le pompon du film : une chanson
pseudo lascive et il de velours du crooner brésilien
Caetano Veloso, Couroucoucou Paloma, aussi indigeste qu'inutile
Et voilà Almodovar surfant sur la mode de la culture latine,
un peu comme un Manu Chao de la péloche.
A voir tout ce qui ont aimé et encensé le film, il n'y
a qu'une explication : Avec ces références culturelles,
Almodovar vient d'inventer un nouveau concept : Le mélo Camif
Un lointain voisin du "Goût des autres", qui était,
quant à lui, une comédie Camif. Permettez qu'on s'en
abstienne.