Le film que nous allons
aborder ce soir est nécessairement un film que nous nous devions
d'aborder, puisque, vous le savez cher auditeurs et chers internautes
fidèles de ces chroniques, nous nous intéressons particulièrement
aux films qui ont la politique comme toile de fond. Le cinéma
étant l'art du vivant, il est impensable de penser qu'il peut
se couper de la politique. C'est pourquoi il est bon parfois que certains
réalisateurs, certains films le rappellent. Parmi ceux là,
Costa-Gavras, un réalisateur qui a sévit, après
avoir quitté la Grèce pour des raisons politiques, de
la France aux Etats-Unis, est l'un des plus beaux exemple de ce cinéma
"conscient" comme on dirait pour le rap, De Gavras, on connaît
surtout "l'Aveu", bien sur, fabuleux réquisitoire
contre la bureaucratie stalinienne avec le duo Montand/Signoret, ou
"Missing" film sans concession sur un sujet pourtant tabou,
les exactions ignobles du coup d'état fasciste au Chili.
Costa-Gavras a inventer, dans les années 70 en France, à
la même époque que Cayatte, ou Boisset, un genre cinématographique
qui avait déjà fait ses preuves à Hollywood,
avec Pakula et ses "hommes du président" : le style
du film témoignage, du film fouisseur qui démonte un
pot au rose, d'un film de fiction à la dimension du journalisme,
une sorte de documentaire retourné avec comme seul artifice
le discours. Très populaire, le cinéma de Gavras, par
une mise en scène simple et des sujets chocs, a fait passer,
pour nombre de films, des idées ou des infos, parfois un peut
trop méthodiquement ou mécaniquement, souvent avec un
vieux fond manichéen, mais avec une sincérité
et une documentation érudite qu'on ne saurai lui contester.
Les années 90 avait vu Gavras rester en retrait d'une production
cinématographique trop maintenu par des boîtes de productions
tentaculaires et aux bornes du pouvoir qui l'empêchait de faire
le travail qui lui convenait. Mis à part "Music Box",
uvre mineure sur le passé caché d'un père,
on pensait Gavras très loin du cinéma. C'était
sans compter sur son travail d'historien, de fouisseur et de fouineur
comme ses films, qui l'ont fait prendre à bras le corps, dans
une production "européenne", l'un des sujets les
plus brûlants pour l'Europe occidentale de ces 100 dernières
années : l'attitude du clergé, et plus précisément
du pape dans la dénonciation de la barbarie nazie.
La porte s'ouvrant un peu plus pour la production de telles uvres,
c'est en 2002 que Costa-Gavras réalise enfin "Amen.",
le film qui nous concerne ce soir et qui a fait couler beaucoup d'encre,
comme souvent lorsque un film prend frontalement le clergé.
Racontons succinctement cette histoire que vous devez déjà
tous connaître : L'affiche (les internautes peuvent la détailler
en début de page) représente un amalgame brut entre
la svastika nazie et la crucifixion du christ. Réalisé
par Toscani, l'ancien photographe de Benetton, elle était sûr
d'attirer l'attention. Pari réussi, car le film, alors que
le genre n'est plus vraiment à la mode malheureusement, compte
un nombre d'entrée satisfaisant.
Qu'en est il du film ? Disons que c'est un grand Gavras, et que l'on
est heureux de retrouver son style sur nos écrans. Certes la
réalisation est un peu conventionnelle, on a parfois l'impression
d'un téléfilm dans la mise en scène "cheap"
mais ce ne sont que quelques critiques qu s'effacent bien vite devant
la monumentale construction scénaristique de ce film. Car le
propos n'est altéré en rien par la sensiblerie où
le romantisme : l'estocade est longue, fine retourné dans tous
les sens. Les grenouilles de bénitiers des associations qui
prétendent défendre la religion et qui ont tenté
de faire obstacle au film n'en n'ont strictement rien à battre
de l'affiche : c'est le dévoilement de la vérité,
l'odieuse vérité d'un pape qui a laissé ce perpétrer
la Shoah qui les gène aux entournures.
Que dit le film ? il raconte l'histoire de Gerstein, Protestant rigoriste
et très croyant, joué par Ulrich Tukur, et. impliqué
dans le génocide massif des juifs, puisque scientifique et
spécialiste des poisons. Ce scientifique voit un jour -et c'est
une scène terrible, nous y reviendrons- le génocide
des camps de concentration. Il décide d'en référer
à ses chefs religieux, qui ne l'écoute pas et feignent
de ne pas le croire. Il s'adresse alors à l'église catholique
romaine, mais il n'obtient pas plus d'écho, sauf chez l'un
deux, jeune curé idéaliste, et fils d'un ambassadeur
du Vatican. Tous deux vont essayer de faire éclater la vérité.
La vraie réussite du film de Gavras, c'est d'avoir réussi
à faire de ce personnage, l'anti Schindler du film de Spielberg;
Pourquoi l'anti ? Parce que le personnage de Spielberg n'était
qu'un sauvage esclavagiste, que l'ignorance américaine a drapé
du linceul du juste. Le personnage de Gavras est d'une ambivalence
angoissante, à la fois juste, et chrétien, lorsqu'il
tente de dire toute l'horreur qu'il a vu, et tente maladroitement
de ralentir les cadences, mais aussi sourd et implacable, dans sa
volonté de rester servir la Waffen SS, de ne pas dénoncer
le régime en place, de continuer son parcours semé de
morts !
On sait que le vrai Gerstein était du même tonneau. On
sait également qu'il rédigea, en cellule, un rapport
qui entérine historiquement l'existence des chambres à
gaz. En ce qui concerne Fontana, le petit curé idéaliste
joué par Kassovitz, il n'a pas existé, mais représente
une synthèse de tous les curés que Gerstein a rencontré.
D'ailleurs, le film est d'un réalisme clinique. Bien sur, on
pourra regretter que leVatican n'est pas ouvert ses portes pour tourner
le film (mais comment aurait-il pu en être autrement ?) et que
le Matte-Painting en arrière plan des scènes papales
ne soient pas des plus réussies, mais ce serait beaucoup trop
en demander. L'histoire de Gerstein est terrible parce que l'on s'aperçoit
que tous les dirigeants des pays dits "libres" savait tout
des génocides. Elle est terrible aussi par le choix délibéré
de Costa-Gavras de filmer les visages de très près comme
pour sonder les âmes, terrible par ce balai incessant, digne
et suggestif de trains, pleins puis vides, vides puis pleins qui passent
et rythment le film.
Terrible aussi parce qu'il ne montre jamais l'horreur de face, comme
dans "La vità e bella" de Roberto Begnigni, et terrible
parce qu'il n'y a aucun doute, parce que cette scène presque
inaugurale, ou l'on invite les SS a regarder dans un illeton
le terrible drame que le gaz est en train de propager : les mâchoires
des nazis se serrent, les regards deviennent hagards
L'horreur
est là, palpable, mais n'est pas à la portée
de nos yeux. Mais le regards des bourreaux est mille fois plus éloquent.
Et en quelques secondes, on sait le violent réquisitoire contre
la barbarie que va nous livrer Gavras. On vous laissera découvrir
les tenants et les aboutissants de ce film indispensable, et l'on
remerciera encore une fois le grand talent de Costa-Gavras, qui a
encore une fois réussi à mélanger l'épique
d'une intrigue politique a une dénonciation méthodique
d'une des histoires les plus honteuses de l'histoire européenne.
On notera également
le grand talent des représentant du pape, à commencer
par Michel Duchaussoy, parfait en cardinal de salon. Et l'on pourra
que vous inviter - mais vous devriez le faire à chaque film
- à rester jusqu'à la fin du générique
pour apprécier la bibliographie que Gavras ne manque pas de
citer. Implacable, on vous l'a déjà dit.