Le Vélo de Ghislain Lambert

Le vélo de Ghislain Lambert, le film dont nous traiterons aujourd'hui, surprendra certainement quelques-uns de nos auditeurs, habitués à ce que nous descendions en flèche une comédie qu'on a peut être trop vite cataloguée en comédie "à la française", vague conglomérat qui compte en son sein, des films débilitants (les visiteurs), des films antisémites (La vérité si je mens) ou des films homophobes (la liste serait trop longue, mais citons tout de même P édale douce pour l'ensemble de l'œuvre de Gabriel Aghion). En voyant arriver la drôle triste histoire de notre ami Lambert, pauvre petit coureur Belge à la carrière médiocre, on aurait pu craindre le pire. On voyait déjà la mise en scène télé, le format 20h30 durée du film 115 minutes, démarrage du film à 10 minutes et rebondissement tous les quarts d'heures. Vous pouvez vérifier, à de rares exceptions près, toutes les comédies française depuis dix ans sont construites sur ce modèle fait pour le dimanche soir à la télé, "Le goût des autres" compris.

On pouvait déjà imaginer les blagues surlourdes avec l'accent belge, les gadins chronométrés et l'histoire d'amour à la fin parce que ça fait beau. Autant le dire, les premières minutes du film laisse cette idée s'insinuer. Et pourtant, ç'aurait été décevant. Décevant parce que le héros du film, celui qui porte le lourd fardeau de Ghislain, s'appelle Benoît Poelvoorde. Depuis le début des années 90, le belge nous offre des moments comiques des plus jubilatoires. Il y a eu bien sur ce moment grandiose d'humour noir, "C'est arrivé près de chez vous !", et puis il y a eu "Les randonneurs". Ces deux films sont en passe de devenir des films cultes. Tout ne repose pas bien sur sur Poelvoorde, mais sa présence emblématique fait dériver très vite le film de sa voie première, pour en faire un film écorché et rageur, drôle, mais surtout subtilement émouvant. Rappeler vous le magnifique film de Benoît Mariage, les convoyeurs attendent, où Poelvoorde se fendait d'un rôle de beauf persuadé que son fils peut battre un record du monde ridicule. Tout ceux qui l'on vu (et ils ne sont malheureusement pas assez) s'attendait à voir un film poilant… Et le résultat fut parfaitement inverse, triste, désespéré, plein d'une réalité sociale en friche. Poelvoorde est un homme de gauche, voire même plus que ça, ses différents films, il incarne à chaque fois des personnages laminés, en pleine déroute industrielle, comme peut l'être certaines régions de la Belgique. D'ailleurs, sans hésitations, on peut dire que le vélo de Ghislain Lambert est un film belge, malgré le réalisateur français, Philippe Harel. Le scénario de Ghislain Lambert, a été écrit en collaboration entre Harel et Poelvoorde, et le belge a mis dans le scénario tout l'amour qu'il a pour ce pays formidable, à la fois en pleine déroute et d'une chaleur incroyable. Pour tous ceux qui ont eu la chance d'aller voir ce magnifique pays, de voir les courses de kermesses, l'ambiance et la hargne des "petits coureurs", qui rêvent de devenir des dieux de la petite reine, ils auront retrouvé tout ce bonheur dans le film.

Car le film commence un peu comme un documentaire, et ceux qui ne comprenne rien à la stratégie d'une course cycliste, doivent parfois être déstabilisés par les images de la course, qui non content d'être tout à fait réaliste, nous montre le dur calvaire d'un jeune amateur, même affûté, ainsi que la difficulté d'avaler des couleuvres et des rondes de chapeaux pour le bien-être et la victoire de son leader. C'est cette période qu'on pourra juger comme la seule faisant partie d'une partition comique "traditionnelle". Poelvoorde tombe, retombe et transforme sa première saison de pro en une véritable catastrophe. Alors les gags se succèdent comme dans toutes farces convenues, et le Benoît ne s'en sort pas si mal. A noter dans cette période du film, la scène de son premier dopage, et surtout les mimiques burlesques qui s'y rapportent. En quelques secondes, c'est monsieur Manatanne qui revient avec nous. Sans parler de Garcia, son frangin, qui même si on peut regretter amèrement qu'il ne choisisse pas -et c'est un euphémisme- correctement ses films, est certainement un des comiques les plus jubilatoires de sa génération, surtout lorsqu'on rajoute un décorum kitschissime inspiré de la période moumoute seventies, mélangeant Renault 12 orange aux armes d'Europe 1 ou moumoute en velours vert pour le poste télécoms vintage.

Tout ceci posé, et sans parler de la critique si peu dissimulée qu'elle est sibylline du monde du vélo, nous entrons dans la deuxième partie du film, qui est elle beaucoup, mais alors beaucoup moins drôle. On a parlé de l'aise avec laquelle Poelvoorde incarne à lui tout seul la classe populaire belge, toujours très masochiste quand il s'agit de se moquer d'elle même, mais le film prend tout de suite une autre tournure. On le sait, que ce soit pour "C'est arrivé près de chez vous" ou pour "Les convoyeurs attendent", Les compagnons de Poelvoorde sont ceux qui nous ont fait un plaisir fou à nous faire partager les tranches de vies des personnes qu'il mettaient en lumière dans l'excellente émission "Strip-tease". Et bien encore une fois, le personnage de Poelvoorde est un personnage de composition, mais si friable qu'il pourrait être réel. Et si peu caricatural, finalement, qu'il aurait pu avoir sa place dans l'émission.

Ghislain Lambert est si tellement un looser qu'il en louperait même sa mort. On ne croirait pas si bien dire, et pourtant on se trompe. Poelvoorde déclarait récemment dans une émission de télévision que Ghislain n'était pas un looser, puisqu'il tentait toujours. Et ça pour le coup, il tente. Et c'est ce qui sert de métronome au film.

Philippe Harel n'est pas à proprement parler un réalisateur de film drôles. Et pourtant, ses deux films les plus réussis sont deux films comiques, ou plutôt tragi-comiques, que sont les randonneurs et don Ghislain Lambert. Autant sont précédent film, tiré du bouquin de Houellebecq, "Extension du domaine de la lutte" n'était pas une réussite, et avait été voué aux gémonies jusque sur ce plateau, autant les deux films, avec Poelvoorde d'ailleurs, sont vraiment fantastique, pleine d'émotion contenue. Il suffira de voir la scène la plus belle du film, celle tournée pendant l'étape du mont Ventoux, où Ghislain, honoré comme la lanterne rouge du tour, et qui doit, pour les besoins et la gloire de son sponsor (Epedex Tricatel, Harel est un pote de Burgalat) s'effondrer à son sommet. Par fierté, Lambert veut continuer, et dans une scène digne des plus beau film de genre, il continue sa course, non loin de faire penser aux chariots de feux de Hugh Hudson… Jusqu'à sa chute terrible, et son abandon contraint, ce coup ci, mais sans la mort, qu'il rate aussi. Le reste du film est à l'aune d'une histoire de décrépitude. Voir notre Ghislain, qui avait voulu quitter sa morne destinée de garçon de ferme pour devenir Eddy Merckx, vieux et aigri entrain de vendre des soldats de plombs, après moults ratages et désillusions, fend le cœur et ne donne même plus envie de rire. Dans les années 50, 60, on parlait d'un genre cinématographique qu'on déterminait comme la "Comédie à l'Italienne", c'est à dire qui faisait rire, mais qui amenait aussi son cota de larmes. On ne pleure pas dans Ghislain Lambert, les yeux se mouillent parfois, mais entre ce film et "Les convoyeurs attendent", et peut être ceux qui viendront ensuite serait il temps de parler de "Comédie de la belgitude".