Reines d'un jour

Ce soir dans Travelling, nous reviendrons sur le film de Marion Vernoux, Reine d'un jour, qui a défrayé les chroniques cinématographiques depuis quelques semaines. Marion Vernoux qui rencontre enfin un public populaire, voici une nouvelle assez réjouissante pour ne pas en faire le sujet de notre rubrique cinéma cette semaine.

Marion Vernoux, nous l'avions vu déjà dans un petit film étonnant, en 1999, Rien à faire, un film sur la rencontre improbable entre un cadre supérieur et une caissière, tous les deux au chômage. On se souvient surtout d'un rôle sur mesure pour Valeria Bruni-Tedeschi, et une réalisation certes assez conventionnelle, mais qui laissait poindre une inventivité, une maîtrise scénaristique tout à fait encourageante. Vernoux fait partie de cette génération de réalisatrice, avec Catherine Corsini, ou Anne Fontaine, qui s'intéresse avant tout à dépeindre des histoires sociétales, qu'on a très vite catalogué, nous les premiers, dans la catégorie film de femme, puisque réalisé par une jeune femme, fille de la génération féministe, qui intègre a ses films une vision propre de la femme. Mais au fil des films, on s'aperçoit que cette peinture s'intègre parfaitement dans une description du monde dans lequel nous vivons. Loin de se contenter, comme ses collègues de la FEMIS, de filmer un univers parisianiste et petit-bourgeois (ce qu'on appelle aujourd'hui les bobos), c'est à dire de se filmer le trou du cul, Vernoux et ses copines, à qui on pourrait ajouter le réalisateur (masculin) de la Parenthèse enchantée, Michel Spinoza, décide de témoigner du déroulement d'un époque, et de confronter les mœurs et les pensées d'un groupe de personnages.

Dans le film qui nous concerne aujourd'hui, plutôt que de prendre l'histoire exemplaire d'un couple mis en lumière, comme Vernoux avait décidé de le faire dans Rien à Faire, elle utilise une forme cinématographique qui avait été expérimenté avec succès par Robert Altman, il y a plus de 10 ans, avec son mythique Short Cuts, et qui a été revu et corrigé par Thomas Anderson, dans le fantabuleux Magnolia qui nous avait tant enchanté l'année dernière. Cette forme, c'est le film Choral, exercice réputé casse-gueule, qui consiste à présenter plusieurs personnages totalement différents qui se rencontrent au détour du film, où dont on apprend peu à peu le rapport entre tous. Tout le film tient donc sur un montage rigoureux. Exemple de ce type de film réussi, c'est la palme d'or de Quentin Tarantino, Pulp Fiction. Exemple de ce type de film raté en revanche, c'est le calamiteux Black and White de James Toback, qu'on nous avait servi l'an dernier et qui réunissait Mike Tyson et Claudia Schiffer. La différence entre les deux tient dans une vérité bien simple : le montage bien entendu, qui se doit tonique et n'oubliant pas l'histoire d'un personnage au profit d'un autre ; et puis la direction d'acteur, ainsi que le choix des acteurs eux même, qui se doit d'être suffisant stricte et professionnel pour ne pas tomber dans le bavardage.

Incontestablement, le film de Marion Vernoux appartient plus au choral réussi qu'au choral raté. Dans cette histoire de journée ratée, ou tous les protagonistes aurait mieux fait de rester couchés (du moins c'est ce qu'il pensent), il n'y a pas de temps morts et les ingrédients sont réunis pour un bon film. Tout d'abord par le choix des acteurs, et notamment de celle qui parait être celle que Vernoux a décidé de mettre en exergue, Karin Viard. Dans le rôle d'une orthophoniste un peu paumée, entre un mari effacé et des relation extra-conjugales sans lendemain, Karin Viard excelle vraiment, même s'il est un peu dommage qu'elle retrouve ici un rôle qui même s'il lui colle à la peau, est presque le même que celui qu'elle tenait dans "La nouvelle Eve" de Catherine Corsini. Espérons que ce qui a nuit à la carrière de Valéria Bruni ne soit pas infligé au talent de Karin Viard ! Elle a prouvé à maintes reprises, comme dans la parenthèse enchanté, qu'elle était capable d'autres types d'interprétation, alors offrons lui d'autres rôles ! La vraie surprise du film, c'est sans aucun doute Hélène Fillières, dans le rôle d'un photographe dont la journée de merde reste quand même la pire. Son jeu, tout à fait adapté à ce type de saynètes, est toujours juste, et rajoute de la dynamique au scénario. Quand aux autres acteurs, que ce soit Sergi Lopez, toujours juste, ou même Victor Lanoux, qui revient au cinéma après plus de dix ans d'absence, sont de vrai morceaux de choix. Et comme il n'y a pas que les acteurs principaux, il faut aussi cité plusieurs artistes venus agrémenter le film de leur présence pour de petits rôles, primordiaux dans ce genre de films, puisque ce sont souvent eux qui font le lien et le squelette des rencontres des acteurs principaux. Citons alors : Melvil Poupault, Jane Birkin, Christian Van Listenborgh ou Atmen Kelif, tous des guest stars comme beaucoup de réalisateurs en rêvent et qui se font visiblement un jubilatoire plaisir de venir faire les seconds couteaux ici.

Le postulat de Marion Vernoux, pour la construction de son film, en habitué des films "de femme" est de s'intéresser principalement à la journée de ses deux héroïnes, alors que les deux personnages masculins sont plus utilisé, même si leur histoire est placé sur le même plan, comme faire valoir, comme contre champs, comme liant à l'histoire des deux filles. Ainsi, le personnage central, et l'affiche nous le montre, c'est notre orthophoniste, qui se débat, jusqu'à presque se noyer, dans des histoires de cul plus ou moins valables, avec des gros cons machos. Histoire de maris trompés, d'amant dans le placard, le ton du film est très clairement placé sous le signe du Vaudeville. Est-ce ça qui a fait fuir les critiques des inrocks ? Si c'est le cas tant mieux, car ces ânes qui, rappelons-le avaient détesté Amélie Poullain, ont agoni ce film qui se voulait trop populaire. C'est en train de se confirmer, chaque fois qu'un film porté par une volonté artistique obtient un succès commercial, les loups de la presse pour bobos se mettent à hurler avec une régularité de métronome.

Oui, le film de Vernoux est léger et tourne très vite au Vaudeville, mais il y a plus de consistance dans un seul mot de Karine Viard que dans toute l'œuvre cinématographique de Matthieu Amalric ! Oui, le film de Vernoux est un film populaire, mais ça tombe bien , elle voulait de son propre aveux faire un film pop, et elle y arrive ! Marion Vernoux n'est pas Stanley Kubrick, elle le reconnaît elle même, mais elle sait faire des films de bonne facture, en n'y mettant en plus, des efforts de réalisations tout à fait louables. Ainsi, entre les scènes qui se chevauchent, nous avons le droit, avec deux des personnages, Celui joué par Hélène Fillières et celui joué par Victor Lanoux, à des scènes oniriques vraiment très jolies. Ainsi, ce figé sur Fillières qui laisse se dérouler le temps à vitesse grand V est esthétique, même s'il est utilisé peut être un peu trop. La scène la plus réussie du film consiste en un rêve de Victor Lanoux à propos de son amour de toujours. Cette scène tourné en voix-off, se fige parfois en des positions ridicules de romans-photos vraiment très drôles, surtout avec le décalage réussi avec le reste du film. Ce genre de procédé ressemble au cinéma de François Ozon, surtout dans son chef-d'œuvre "Goutte d'eau sur pierre brûlantes", qui était lui aussi, une vraie réussite dans une tentative de faire un film Pop.

Jusqu'au bout, le film se tient, les personnages sont tout à fait crédibles et la réalisation ne souffre d'aucun vrai défaut. Cerise sur le gâteau, le film est vraiment très drôle, et concilie à la fois l'exigence du cinéma d'auteur et le film grand public. Ca s'appelle du cinéma intermédiaire. Et c'est ce qu'on défend toutes les semaines.