RUBRIQUE TELENET - 12/10/2001
Vous connaissez tous Thierry Ardisson,
ce type énervant qui nous fait constamment osciller entre admiration
et dégoût ; admiration pour son professionnalisme, dégoût
pour son royalisme affiché et son penchant pour le racolage
facile et suintant le mépris. Mépris aussi bien pour
ses spectateurs que pour ses invités d'ailleurs.
Ne sachant trop de quoi j'allais parler cette semaine - ma mirifique
idée, trouvée samedi matin au beau milieu d'un cours
insipide de culture générale ayant été
reportée à plus tard pour cause que Franpi voulait qu'on
parle d'autre chose - ne sachant donc trop de quoi j'allais parler
cette semaine, et alors que j'étais en plein désarroi
(c'était dégueulasse, y'en avait partout. Je ne sais
pas si vous avez déjà été en plein dans
le désarroi jusqu'au cou, mais je peux vous affirmer que c'est
une sensation extrêmement pénible), alors donc que j'étais
en plein désarroi, ce même Franpi réfléchit
longuement et me lança triomphalement, dans ce cri tripal de
l'énergie du désespoir "bon dieu d'bois ! Mais
si on regardais Ardisson ce soir, y paraît qu'y a Loana qu'est
invitée et pis il va parler des scandales des francs-maçons
aussi !". Bon, d'accord, j'extrapole un peu, Franpi ne dis jamais
"Bon dieu d'bois", c'est une expression bien à moi.
Mais peu importe, finalement, car c'était bien là le
fond de sa pensée. C'est donc en traînant un peu du pied,
toute déçue que j'étais de voir mon idée
à moi que j'ai eu moi-même toute seule reportée
aux calendes grecques, que je me suis collée devant cette ineptie
télévisuelle.
Déjà, rien qu'en voyant le générique,
je me suis dit "tiens, il bosse pour TF1 Ardisson maintenant
?". Vérification faite sur le démodulateur du câble,
non, j'étais bien sur France 2, une chaîne de service
public pour laquelle je paye 750 balles de redevance tous les ans
alors que je paye déjà 400 balles par mois pour recevoir
correctement les 6 chaînes hertziennes (essayez de capter quelque
chose de potable en centre-ville sans antenne de toit
) et surtout
pour avoir accès à des programmes un peu moins débiles
que ce que nous offrent le service public et ses acolytes M6 et TF1.
Le générique est calqué sur ceux de la clique
de "Sans aucun dout" et autre "Y'a pas photo"
: musique bêtifiante, sensée reprendre en version mi-sexy,
mi-techno la "Chanson populaire" de notre ami Cloclo, et
voix racoleuse, qui après quelques minutes de cette mélodie
baveuse nous hurle à l'oreille le menu de cette passionnante
soirée télé : Loana vient nous parler de son
autobiographie (personnellement, je m'interroge toujours sur le "auto",
mais passons
), les scandales des francs-maçons et un
troisième sujet dont j'ai oublié la teneur, mais qui
devait être d'une profondeur tout aussi abyssale que les deux
précédents.
De toute façon, c'est pas grave, car dès le début
de l'émission, j'ai su que je parlerais de Loana.
Le plateau d'Ardisson ressemble à un plateau de TF1 : du volume,
et un grand escalier pour l'arrivée des invités, derrière
lequel on a placé un écran géant, un peu comme
celui sur lequel on passe les morts de l'année pendant les
Césars.
Dès que j'ai vu la couleur et l'agencement des sièges,
et alors que la pauvre Loana n'était même pas encore
arrivée, je me suis dit : c'est sûr, il va se foutre
de sa gueule. Imaginez un peu, une espèce de salon Monsieur
Meuble qui forme un carré, avec une table basse au milieu.
Et quel est la couleur de ce magnifique salon cuir pleine fleur ?
Couleur piscine, avec les reflets de l'eau et tout. Alors de deux
choses l'une : soit ce décor a toujours été comme
ça, au quel cas je suis vraiment mauvaise langue, soit il l'a
fait exprès pour qu'on se souvienne bien des ébats aquatiques
de Loana et de sa blondasse peroxydée la première semaine
du Loft. Je ne vous cache pas qu'étant très médisante
et d'une mauvaise foi à toute épreuve, j'opte pour la
réponse n° 2
Soyons francs, Ardisson est un excellent animateur, un pro du Talk
Show. Ca me fait mal de dire du bien de lui mais il faut être
réaliste, à part Gildas, j'en vois pas beaucoup qui
sont capable d'assurer de la sorte. Certes, il doit être entouré
d'excellents collaborateurs et de documentalistes brillantes qui lui
rédigent des fiches d'une précision hallucinante, mais
ne lui enlevons pas la plus grande de ses rares qualités :
il sait mener une interview. Trois quarts d'heure il se l'est colletée
la Loana ! Et pendant trois quarts d'heure, j'ai eu pitié d'elle.
Non pas pour ce qu'elle est, mais pour ce qu'Ardisson lui a fait subir,
sans qu'elle s'en rende compte, et sans que le spectateur moyen de
ce genre de divertissement poisseux ne soupçonne un seul instant
la bassesse du procédé.
En fait, il lui a pourri la sortie de son bouquin : en trois quart
d'heure, il lui a fait tout dire. On connais le plan, et même
les détails. Elle raconte tout la Loana, piégée
qu'elle est par Ardisson. On sent d'ailleurs qu'elle a besoin de raconter.
Elle dit d'ailleurs que d'écrire ce livre - si toutefois elle
l'a vraiment écrit - ça lui a fait du bien, c'était
comme une sorte de thérapie. Mais elle a encore besoin de parler.
Quand on y pense, c'est incroyable ce qui lui arrive : elle a eu une
vie de merde, la même que celle de tas de gens dont on entend
jamais parler. C'est bien simple, c'est du Zola sa vie ! On la croirait
descendante des Rougon-Maquart. Sérieux, en l'écoutant
raconter sa vie, j'ai eu l'impression d'entendre un croisement entre
Cosette et Nana ! Je résume brièvement : son père
était alcoolique et battait sa mère en la traitant de
pute. Il en faisait de même avec Loana. Un jour, il est allé
trop loin, il s'est fait virer de la maison. Alors du coup, elle sont
un peu pauvres. Et puis un jour, Loana tombe gravement malade, elle
a des phlegmons. Ah !!! voilà qui ferait un joli mot sur lequel
disserter en deuxième heure ! Pour faire court et éviter
les détails glaireux, disons que c'est une maladie ORL. Et
Loana, elle a eu tellement de phlegmons qu'elle était au bord
de la septicémie quand même ! Après, elle est
rentrée chez elle, mais elle s'est fâchée avec
sa mère. Alors elle est partie vivre chez Yvette, la mère
de son chéri de l'époque, sosie de Catherine Allégret
dans Navarro. On a même eu droit à un superbe reportage,
tout en finesse, qui puait le foutage de gueule à plein nez,
surtout quand le caméraman a filmé l'appart de cette
brave Yvette, dont l'intérieur fait inévitablement penser
à "la mère à Titi" de Renaud : c'est
bourré de babioles à trois francs six sous, sur fond
de poster de Johnny Halliday et de maximes gravées sur bois.
Elle a essayé de se suicider deux fois, chez Yvette. Pourtant,
comme le dit fort judicieusement Edouard Baër dans "Dieu
est grand et je suis toute petite" : "Ca ne se fait pas
de se suicider chez les gens, surtout quand on vient pour la première
fois". Un jour, son chéri s'en va temporairement dans
un autre département, tout au nord de la France. Alors Loana,
cur d'artichaut, s'éprend d'un autre, qui la colle enceinte
et la jette. Comme la jettera son "régulier", quand
il apprend la nouvelle à son retour. Elle décide de
partir se faire avorter en Espagne, car elle a dépassé
les délais. Mais arrivée là-bas, elle hésite,
puis finalement décide de garder son enfant. Elle n'a pas un
rond, sa mère non plus, et c'est l'histoire qu'on connaît
: elle laisse sa fille à des parents d'accueil. Pour bouffer,
elle fait gogo danseuse. Ca paye pas trop mal, mais on la prend pour
une pute. C'est pour ça qu'on la prise à Loft Story
d'ailleurs. Enfin je crois.
Je ne préjugerai en aucun cas du style, car je n'ai pas lu
ce bouquin. J'en connais l'histoire parce qu'Ardisson a eu l'indécence
de tout dévoiler pour faire de l'audience. A aucun auteur on
n'aurait fait ça. Même à Sulitzer, qui lui, pour
le coup, n'écrit vraiment pas ses bouquins, on n'aurait jamais
osé faire un truc pareil. C'est bien la preuve qu'il s'en cogne,
de Loana. Ce qui intéresse Ardisson, c'est que la thune rentre,
en ayant visiblement l'exclu sur le bouquin.
Il y a un côté répugnant dans sa façon
d'extraire des petits bouts de vie, sous forme d'aphorismes à
deux francs qu'on dirait sorti du journal intime de Pascal Bataille.
Ah c'est facile de citer, d'un air très sérieux "J'ai
été battue et j'ai dû me battre, comme tout ceux
qui ne sont pas nés du côté ensoleillé
de la rue". Ardisson avait ce faux air de Pivot citant Soljenitsine
avec gravité. Sauf que Pivot ne se foutait pas de la gueule
de Soljenitsine. Sauf que Pivot respectait Soljenitsine.
A écouter Ardisson, le bouquin de Loana n'est qu'un carnet
d'aphorismes bêtasses, qu'aurait consignés une pauvre
fille sans une once d'intelligence dans un journal intime à
couverture de Boys Band.
Le paroxysme de la bêtise est atteint lorsqu'Ardisson, sur fond
de BO de Godzilla, fait entrer, les unes après les autres,
la mère de Loana, Yvette et Marjorie, une copine d'école
qu'elle n'avait pas vu depuis dix ans. Cette fois, ça y est,
c'est Sacré Soirée qui recommence ! Et pour couronner
le tout, Ardisson demande à Loana, puis à sa mère,
si elles pourraient pardonner ce père et mari violent, si elle
seraient prête à le revoir. La réponse est sans
appel, c'est non, un non ferme, qui fera conclure Ardisson par un
timide "Voilà". 100 balles que le père était
dans les coulisses, prêt à faire une entrée triomphale
dans cette réunion familiale de pacotille ! On sent Ardisson
déçu, déçu de ne pas avoir fait pleurer
Loana, déçu, peut-être aussi, de ne pas avoir
été à l'origine d'une mémorable scène
de retrouvailles pincées où l'on sent chacun des protagonistes
prêt à claquer l'autre à la moindre incartade.
Mais c'est toi, Ardisson, qui aurait dû la prendre la baffe
!
Je ne me prononcerai pas sur la question de savoir si Loana est une
pauvre fille, si elle est oui ou non intelligente, si elle est oui
ou non au bord du suicide. Pour tout dire, je m'en fous, autant que
j'ai pu m'en foutre de Loft Story. Ce qui me chiffonne dans cette
histoire, c'est la façon dont on considère cette fille,
qui en a chié, comme beaucoup d'autres. Car hormis sa célébrité,
vraisemblablement éphémère, que raconte-t-elle,
si ce n'est l'histoire de milliers d'autres filles, qui ne sont pas
née au bon endroit ? Son bouquin, quelle qu'en soit la qualité
littéraire et la richesse intellectuelle de son contenu, n'est-il
pas l'expression du malaise que vivent de nombreuses ados aujourd'hui
? Loin de moi l'idée que cet opus a valeur sociologique. Mais
ne soyons ni élitiste, ni voyeur. Je ne me permettrais pas
de juger de la qualité de son bouquin ; je ne me permettrait
pas de le lire non plus. Laissons cette curiosité malsaine
aux gobeurs de trash TV, ceux-là même qui se repaissent
des émissions d'Ardisson et de TF1.
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