Les Branchés sont des cons

 

Rubrique Télénet du 26 janvier 2001


Hasard du calendrier ou simple coïncidence comme dit l'expression consacrée, le petit écran semble aujourd'hui s'intéresser de près à la branchitude parigote : mardi c'était dans NPA midi sur Canal, hier soir dans le très sérieux Envoyé spécial de France 2. Envoyé Spécial d'ailleurs déserté par ses deux pères fondateurs, qui ont dû faire dire aux antisémites de tous poils pendant les onze années où ils ont présenté avec professionnalisme et intelligence cette émission qui n'était pas vouée à faire les excellentes audiences dont elle est régulièrement créditée : " ben vous voyez, j'vous l'disais Mme Michu, y sont partout ces gens-là ". Trêve de plaisanterie, qui pourrait n'avoir que plus d'écho en ces périodes d'Intifada, revenons-en à cette branchitude, à cet art de vivre hype qui questionne et fait sourire.

Mardi, c'était donc chez l'ami Gildas que trois représentants de la branchitude s'exprimait, parfois, souvent devrais-je dire, avec quelques difficultés, la prise de coke n'étant pas vraiment synonyme de cohérence… Sur le banc des accusés ce midi-là : Eric Dahan, personnage branchouille, opportuniste et détestable, accessoirement journaliste, qui ne quitte ses lunettes jaune pisseux que pour sniffer son rail parce qu'il a peur de les salir ; à côté de ce glandeur qui donnerait presque raison à Francis Weber dans l'image de l'homosexualité qu'il véhicule, la vulgairissime Cathy Guetta, taulière des Bains, qui passe si difficilement le cap de la quarantaine qu'elle se croit obligée de s'habiller de T-shirts à frange imprimés dessins animés ; et pour achever dignement cette brochette de parasites mondains, une jeune pouf' dont j'ai oublié le nom - je me rappelle juste qu'elle s'appelait Aurore -, affichant une tronche plastifiée de Barbie, shootée à je ne sais trop quelle substance, de la coke sans doute mais il n'y avait pas que ça. Cette jeune fille incapable d'aligner plus de trois mots de façon cohérente travaille dans le milieu de la comm et de la mode… qu'elle y reste ! C'est grâce à elle que j'ai appris qu'on ne disait pas "branché" mais "tendance", parce que les branchés, ce sont les pauvres prolos qui copient les "tendances" dont bien entendu elle fait partie. Les tendance se retrouvent dans un immeuble du nord de Paris, entièrement habité par les pires représentants de la branche folle droguée du milieu des artistes et stylistes parigots. Les branchés quant a eux vont mélanger leur sueur aux Bains, chez Cathy Guetta, qui est bien gentille mais bon, y'a quand même que des beaufs dans son établissement. Elle opine d'ailleurs du chef quand Aurore annonce cette nouvelle épouvantable. Car en plus d'être vulgaire, d'un mauvais goût certain et d'une intelligence de mollusque, Cathy Guetta méprise sa clientèle. Elle se fait de la thune sur le dos des beaufs qui se croient hype et elle le dit, sans honte, sans peur de perdre cette clientèle peut-être blairotte mais qui la fait bouffer. Mais qui, de la taulière ou du client est le plus beauf ? Je laisse à votre appréciation la réponse à cette question.

Deuxième émission sur la branchitude, Envoyé spécial hier soir. Dans un reportage intitulé "les branchés ringards", les caméras d'Envoyé spécial nous promènent dans un premier temps dans un univers maculé de coke, qui fleure bon la mondanité vulgaire sous couvert de convivialité homosexuelle, qui pourtant n'a rien à voir, si toutefois il existe une convivialité homosexuelle différente de la convivialité tout court, avec ce qu'elle est chez les vrais gens. C'est ainsi qu'on découvre avec hébétude des soirées 100 % chansons françaises et une boîte spécialisée, dans laquelle l'ancien directeur des programmes de NRJ (décidément, quand on produit de la merde, c'est à vie) organise des concerts de chanteurs morts pas encore tout à fait décédés. Grâce à lui Chantal Goya, Rika Zaraï et Marcel Amont, entre autres victimes, se font foutre de leur gueule pour deux ronds par de jeunes parigots qui mélangent poppers et Biactol pour le fun. Plus malsain tu meurs. Le plus atterrant dans tous ça, c'est bien la pauvre Rika, stressée, traqueuse à souhait avant son concert, qu'elle doit donner à 2 heures du matin (est-ce bien une heure raisonnable pour une personne âgée ?). Elle trouve ça bien Rika, non, les jeunes ne se moquent pas d'elle, ils aiment bien ses chansons. Vraie star menteuse ou totale mytho ? Le reportage ne le dit pas.

Dans ce reportage, on rencontre aussi un jeune homme survolté, amoureux de la chanson française, qui s'éclate dans les soirées 100 % chanson française. Il nous montre avec fierté sa discothèque ; il y a en effet de quoi être fier, il est l'heureux (l'unique ?) propriétaire de la discographie complète d'Hervé Vilard, Michèle Torr et Pierre Bachelet. Et là, on apprend que ce mec est enseignant. Oui, c'est entre les mains de ce type, à vue de nez complètement maniaco-dépressif et avec certitude shooté au Guronzan, que les futures forces vives de la nation sont censées s'instruire. J'ai pas hâte de voir le résultat…

Tout cela se déroule dans une ambiance parisianiste à souhait, parce que, c'est bien connu, y'a qu'à Paris qu'on sait être à fond dans la déconne supra-décalée. Ben non, nous dit le reportage. Ben non, bande de cons nombrilistes. P't'êt' qu'à Paris ça fait deux ans qu'on s'adonne à ce genre de débauche méprisante et méprisable, mais n'empêche qu'en province, ça fait quelques années qu'on le fait. Ca fait même 20 ans que c'est comme ça au Chalet, une boîte gigantesque de Strasbourg. Au chalet, comme dans des tonnes de boîtes de province d'ailleurs, et le patron le sait, on passe de U2 à Carlos, ou bien encore de Brandy et Monica à la Danse des canards. Et ça ne choque personne, ça amuse plutôt. Là d'accord, je veux bien qu'on me parle de convivialité et de deuxième degré, j'y crois, j'y adhère même totalement. On est bien loin des soirées hype où Cantal Goya, visiblement devenue alcoolique, entonne le lapin, revêtue de son costume poussiéreux de Marie-Rose qu'on a dû retoucher aux entournures pour pouvoir contenir sans trop de disgrâce la barrique qu'elle est devenue.

Retour à Paris, dans une ambiance plus proche de mon état d'esprit : encore une boîte spécialisée, mais une tout autre ambiance. Les gens y viennent d'univers très différents, parfois en famille. Et on s'éclate sur les Bêtises de Sabine Paturel ou sur Village People. Voilà qui est plus sain, et plus festif. Ouf, on respire, je commençais à croire que ce reportage allait me dégoûter à jamais des années 80 ! Une satisfaction tout de même : aussi bien ce reportage que NPA midi de mardi ont eu une attitude plutôt claire et rassurante, qu'on peut résumer par "foutons-nous de leur gueule, ils sont tellement dans leur truc qu'ils ne verront rien". Et du coup, ces jeunes cons croyant montrer à la face du monde à quel point ils sont beaux et intelligents n'ont fait que se donner une image plus ridicule encore que celle qu'ils véhiculaient. Ce qu'il serait temps qu'ils comprennent néanmoins, c'est qu'on ne les a pas attendus pour aimer les années 80 et la chanson de mauvaise qualité ; ça fait des années que j'aime les années 80. Alors qu'à peine adolescents en 1984 ils crachaient sur leur époque, j'aimais déjà la production musicale si fertile qu'elle nous offrait. En fait, depuis les années 80 j'aime les années 80. Et puis j'en connais des qui, dans ce studio, pourtant pourfendeurs de la platitude musicale, organisaient des boums au milieu des années 90… Et puis Monsieur Sagawa lui-même, qu'on ne peut pas taxer de médiocrité dans ses choix musicaux, n'a-t-il pas passé une partie de son samedi après-midi à regarder des clips fleurant bon la boîte à rythme sur le câble, sous prétexte de procéder à des échanges de CD ? En bref, tout le monde, à des degrés divers, j'en conviens, est touché mais merde, on n'en fait pas un plat !