Gros cul, t'es foutu, tout Canal est dans la rue !

 

Cette semaine est riche en événements, vous ne trouvez pas ? Non, je ne vous parle pas du truc qui aura lieu dimanche (à ce propos : n'oubliez pas d'aller voter), je vous parle de l'Evénement avec un grand "E" qui est en train de se dérouler sous nos yeux bouffis de téléphages depuis mardi.

Et oui, chers auditeurs, chers internautes, vous n'êtes sans doute pas sans ignorer les bouleversements sans précédent qu'est en train de vivre l'équipe de Canal +.

Bref rappel des faits : en fin de semaine dernière, vendredi très précisément, on apprend que Denis Olivennes se barre. Sachant l'actuelle direction de la chaîne dans son ensemble dans le collimateur de Messier, Olivennes croit sauver les meubles - et surtout la peau de Lescure - en démissionnant de son poste de Directeur général de Canal +. Raté. Non seulement il a perdu son job, mais en plus Lescure ne lui a pas survécu bien longtemps, "débarqué" comme il dit, et remplacé par un pingouin coprogène tout droit sorti de la fausse sceptique de TF 1, par un Messier fourbe et surtout complètement inconscient de ce qu'il était en train de faire… Car dès que la nouvelle est tombée, à la consternation a vite succédé la révolte.

Et c'est là qu'on a assisté à cette "chose" qui restera une première de taille dans l'histoire de l'audiovisuel ; car jusqu'alors, on avait bien vu quelques fous-furieux s'inviter sur des plateaux de direct, que ce soit au JT ou chez Pivot. Mais là, ce sont carrément les salariés de Canal, épaulés par ce qu'on appelle désormais le "Canal historique", qui ont pris possession de l'antenne, pour nous faire assister à cet événement surréaliste : une AG en direct à la télé. Oui, ils sont venus, ils sont tous là comme dirait l'autre : les actuels (Daphné Roullier, Omar et Fred, Bruce Toussaint, Bruno Gaccio - qui est un peu historique aussi…) mais aussi les figures de la chaîne et de sa grande époque : Gildas, de Caunes, Wizman, Bonaldi, Chabat et bien sûr Pierre Lescure, qui nous a livré un discours très émouvant mais aussi très indigné, duquel transpirait la révolte du père fondateur et légitime de cette chaîne aussi atypique.

Après l'allocution de Lescure, les "historiques" ont pris la parole, les uns après les autres, un peu à chaud, un peu dans tous les sens, mais quand même très pro (après tout, la télé c'est leur boulot), emmenés par un Bruno Gaccio pas trop mauvais dans son costard de leader improvisé. C'est d'ailleurs lui qui occupe - c'est le cas de le dire ! - le poste de directeur de cette antenne un peu sauvage jusqu'au 24 avril prochain, date de l'AG des actionnaires de Vivendi-Universal. C'est lui, d'ailleurs, qui a accueilli Xavier Couture ce matin dans les locaux de Canal en lui disant clairement que les salariés de Canal n'avaient pas envie de lui et qu'il serait plus simple qu'il s'en aille. Rien de plus. Personne dans le comité d'accueil qui lui était réservé, à part Gaccio, ne lui a adressé la parole. Les salariés portaient juste scotchée à leurs T-shirts la photo de Lescure, que l'un d'entre eux collait par terre devant chaque pas de Couture, qui n'a rien trouvé d'autre à dire, slalomant entre ces portraits photocopiés : "Je ne voudrais pas marcher sur Pierre". Sans commentaires…

Depuis mardi soir, on attend avec impatience les directs, qu'il s'agisse du Burger Quiz, en direct avec que des vedettes acquises à "la cause", des Guignols, qui, quand ils ont des trucs intéressants à se mettre sous la main, sont moins cons qu'à l'accoutumée, ou du 20 H 20 qui a repris du service pour l'occasion. Tout cela est caustique, acerbe, méchant et révolté ; il n'y a qu'à regarder le zapping pour le comprendre… Eux qui sont déjà en temps normal des as du montage subjectif sans en avoir l'air, là ils atteignent des sommets car ils se lâchent vraiment.

En voyant ce qui est en train de se passer à Canal, on se prend à rêver, à l'instar de l'usine Lipp qui fabriquait des montres, à une espèce d'OVNI audiovisuel autogéré, qui reviendrait aux sources de Canal, à ce qui en a fait son essence pendant des années, jusqu'aux premières incursions de Vivendi - qui s'appelait encore la Générale des Eaux - au milieu des années 90, incursions qui ont amorcé la chute du plus beau portnawak du PAF. Ben non, le mal ne remonte pas à la fusion en 2000, qui nous avait donné l'occasion de découvrir un J2M faussement larmoyant, tant il était ému paraît-il d'entrer dans la grande famille Canal.

Et oui, comme le rappelait Libération mercredi, tout a commencé en 1994, lorsque La Générale des Eaux entre dans le capital de Canal. Messier n'en est pas encore PDG, il n'est que n° 2… mais c'est lui qui pilote la manœuvre de A à Z… Premier clash : le départ tonitruant et politique - souvenez-vous du "Balladur m'a tuer" - d'André Rousselet, patron de Canal depuis sa création en 1984. C'est à la fin des années 90, aussi, que le déclin qualitatif de la chaîne s'est, à mon humble avis, amorcé. Car mis à part quelques bizarreries du genre L'œil du cyclone ou A la rencontre de divers aspects du monde contemporain ayant en commun leur illustration sur support audiovisuel des compères de Nova Baër et Wizman, tout se pète un peu la gueule et l'audience avec. Même si La Grande Famille résiste un peu, c'est la cata pour NPA, émission-phare de Canal, pour ne pas dire pilier de la chaîne. Après de Caunes, c'est Gildas qui quitte le navire, navire qui coulera définitivement après trois saisons insatisfaisantes. Il faut dire que la connerie abyssale de Durand et Nagui - ridiculisé à mainte reprise, notamment par Umberto Eco et Philippe Noiret - n'est pas étrangère à ce naufrage annoncé. La dernière saison quant à elle, présentée par le fabuleux Thierry Dugeon, n'était pas aussi catastrophique qu'on veut bien le dire. Au contraire, même si les animateurs n'étaient pas les mêmes, je pense que c'est celle qui se rapprochait le plus de l'émission initiale, tant dans la diversité des sujets abordés que dans la qualité des interviews et dans l'affligeante connerie des intervenants qu'étaient les Robin des Bois, Omar et Fred ou encore Axelle Lafont.

Devant les dégringolades de sa chaîne, et caressant toujours un petit peu le rêve américain, Lescure ne peu que se jeter à fond dans la fusion avec Vivendi il y a bientôt deux ans. Messier lui offre la direction du pôle cinéma et télévision de Vivendi-Universal. Un an plus tard, le même Messier lui retire les studios Universal. Aujourd'hui, c'est carrément son bébé qu'on lui vole. Alors même si, depuis 1994, il y a eu des désaccords entre Lescure et ses salariés, même si certains ont été virés par Lescure lui-même, comprenez tout de même que cette chaîne et les gens qui y travaillent se sentent orphelins. Et j'irais même plus loin, en disant, sans trop prendre le risque de me tromper je crois, que c'est toute une génération, et sans doute même deux, abonnée ou non, qui perd aujourd'hui un petit quelque chose. Un petit peu comme quand les radios libres de 81 et même d'avant sont devenues de la merde en barre. Un petit peu comme quand RVS a disparu au profit d'une bouse qui trouve que Bigard c'est drôle et que Joe Dassin c'est fun…

Aujourd'hui, l'avenir de Canal et de sa ligne éditoriale sont entre les mains du CSA, a priori plutôt favorable à Lescure. Et au-delà de la simple survie de la chaîne, c'est de celle du cinéma français et européen de qualité dont il est question. Et l'exemple que rapportait Libé hier est assez frappant, et surtout inquiétant, puisqu'il était question du prochain film de Raul Ruiz - qu'on ne peut décemment pas qualifier de réalisateur inconnu. En effet, Raul Ruiz a dû renoncer à son dernier projet en raison du désengagement subit et inexpliqué de StudioCanal. C'est pourquoi dès l'annonce du départ de Lescure, un groupe de soutien assez impressionnant s'est constitué. Et je ne peux que vous appeler à vous y joindre, en participant notamment au rassemblement qui aura lieu demain après-midi dans le parc André Citroën dans le 15ème à Paris.

Pour vous faire une idée, sachez que cette liste de soutien regroupe aussi bien des sportifs (une bonne partie de l'équipe de France de foot, Nicolas Escudé, les frères Cantona, Arsène Wenger, Platoche himself…), des professionnels de l'audiovisuel (la famille de Caunes au grand complet, Pascale Clark, Edouard Baër, Albert Algoud, Ariel Wizman, Marc-Olivier Fogiel, Alexandre Devoise…), des musiciens (M, Sinclair - quand je vous disais que la famille de Caunes était au grand complet… - Françoise Hardy, Kool Chen, Stephan Eicher, Dave Stewart, Supertramp - carrément ! - Noir Désir bien entendu…), des acteurs et des réalisateurs de renom (Bertrand Blier, Bernie Bonvoisin, Claude Chabrol, la famille Trintignant elle aussi au complet, Isabelle Adjani, Bertrand Tavernier, les Deschiens et les Robin des Bois, André Dussolier, Catherine Deneuve, François Ozon, Dominik Moll, Patrice Chéreau…), et même des acteurs et réalisateurs étrangers pas piqués des vers : Youssef Chahine, les frères Dardenne, Johnny Depp, Amos Gitaï, Terry Jones, Emir Kusturica, Ken Loach, Pavel Lounguine, John Malkovitch et Benoît Poelvoorde, rien que ça !
La liste est très longue, elle était dans le Libé d'hier ; je pense d'ailleurs qu'elle a dû encore se rallonger depuis.

Même s'il est aujourd'hui encore difficile d'avoir du recul sur ce qui se passe à Canal, je pense qu'il était bon qu'on en parle, quitte à revenir dessus un peu plus à froid d'ici quelques temps, dans une prochaine rubrique Télénet.