Au risque
de passer pour un membre zélé du Club des amis de Jacques
Chirac, je voudrais aujourd'hui aller un peu à contre courant
de ce qui se dit dans les salons pour pousser un coup de gueule contre
les Guignols.
Je le reconnais, leur
traitement de l'information économique et internationale (pléonasme
!) est plutôt correct et fait froid dans le dos tant ils arrivent
à toucher du doigt une réalité terrifiante en
jouant la carte de l'humour. Qu'ils se foutent de la gueule du PSG
et de Christophe Lambert, je m'en moque. Que Richard Virenque soit
leur souffre-douleur en période de Tour de France, franchement,
ça m'amuse. Seulement quand ils commencent à s'en prendre
à Amélie Mauresmo, qu'ils ont affublée d'un physique
de cheval et d'une voix tout en testostérone, là je
ris nettement moins.
Le voilà, le problème
des Guignols. Autant ils sont bons sur des tas de trucs, autant ils
me font gerber dès qu'il est question d'homosexualité
et de féminité. Je ne sais pas quel est le problème
des auteurs, quels sont leurs blocages avec les femmes et les homos,
mais franchement, ils serait grand temps qu'ils arrêtent la
casse.
Déjà, ils
avaient fait du bruit à cause de Bernadette Chirac et de son
sac à main. Vous vous souvenez sans doute qu'à l'époque
où Bernadette c'était "Maman" et non pas "Mobylette"
ou "Courgette" comme aujourd'hui, elle était constamment
flanquée d'un sac à main qu'elle tenait serré
dans ses mains à la manière de Raymonde Bidochon avec
son cabas quand elle doit prendre l'avion dans Les Bidochon en voyage
organisé. Une fois, c'est drôle, deux fois, ça
l'est un peu moins, et quand pour couronner le tout ils la mettent
en scène en train de se tripoter avec son sac, ça devient
carrément vulgaire et dégradant. Comme ça a jasé
un peu, ils lui ont foutu la paix quelques temps, pour revenir à
la charge ces derniers temps, en lui inventant une sorte de liaison
platonique avec David Douillet. Ca aussi, c'était plutôt
marrant la première fois, maintenant ça commence à
devenir lourd, de voir cette femme montrée comme une idiote
qui s'est prise de passion pour un judoka avec qui elle collecte des
sous pour son association. Certains sketches la présente comme
une adolescente prépubère imbécile s'imaginant
embrasser sur la bouche le beau gosse de 3ème au fond du car
de ramassage scolaire, sauf que là c'est en train. Même
si je ne me sens pas d'affinité particulière avec la
Première dame, je trouve qu'il faudrait quand même voir
à ne pas trop exagérer quand même…
Dans un autre registre,
je trouve leurs attaques envers Mary Pierce et surtout Amélie
Mauresmo complètement déplacées, scandaleuses,
machistes et homophobes. Mais je ne vais pas m'attarder là-dessus
parce que je vais me fâcher tout rouge.
En fait, ce qui m'a poussé
à écrire cette chronique, c'est le traitement de la
campagne électorale et de l'action des femmes qui s'y impliquent.
Si vous suivez un peu les Guignols, vous aurez sans doute compris
que je parle plus précisément d'Arlette Laguiller et
de Sylviane Agacinski, la femme de Lionel Jospin.
Dans le premier cas, on
a affaire à une espèce de gourde pas futé et
mal fagotée, qui ne pense qu'à "faire la révolution",
chevauchant fièrement sa mobylette. On l'a vue pas plus tard
que mercredi, suite à ses déclarations dans Gala, amoureuse
d'un Lénine empaillé et verdâtre. Pourquoi cette
femme, engagée en politique depuis de nombreuses années
maintenant, devrait-elle être nécessairement vieille
fille, limite masculine, et sans autre préoccupation que "faire
la révolution" ? Et bien tout est dit dans cette simple
phrase, parce que c'est une femme.
Continuons le catalogue
avec Sylviane Agacinski. Assez effacée jusqu'alors, elle a
pris une place, minime, certes, dans la campagne électorale
en accompagnant son mari dans cette campagne. On ne peut pas l'en
blâmer, c'est assez fréquent. Sylviane Agacinski n'est
pas une femme politique. Elle est universitaire, philosophe et s'intéresse
à ce que fait son mari. Rien d'anormal là-dedans. Dans
la mesure où elle ne pèse pas sur la campagne, où
elle est présente mais ne prend pas position, comment se fait-il
qu'il soit autant question d'elle chez les Guignols ? Et surtout de
cette manière ! Si l'on en croit leurs conneries, cette femme,
qui plus est philosophe - elle porte donc toutes les tares de la terre
! - ne peut être que chiante, austère et, c'est là
que c'est grave, tenue pour responsable de l'austérité
de son mari, si tant est qu'elle existe ! On est là dans le
registre de la femme maléfique, ensorceleuse, qui possède
un homme, pourtant bon bougre, mais dont elle a fait quasiment un
monstre. C'est la femme intelligente et posée qui fait peur
et qu'on ridiculise comme pour conjurer le mauvais sort. C'est aussi
la rabat-joie de service, celle qui, parce qu'elle est intelligente,
ne sait pas s'amuser. En somme, et pour parler crûment, c'est
la coincée qu'on ne baise pas.
Car finalement, tout tourne
autour de ça chez des êtres aussi frustes que Bruno Gaccio,
chez qui la beaufitude faussement de gauche est élevée
au rang d'art de vivre. Tout se résume dans la question de
savoir si on la baise ou si on la baise pas. Sylviane Agacinski, on
la baise pas parce que c'est une intello, Arlette on la baise pas
parce qu'elle milite "comme un homme"… et accessoirement
parce qu'elle est communiste, Amélie Mauresmo on la baise pas
parce qu'elle est lesbienne. La liste pourrait s'étendre encore,
car si l'on fait l'effort de considérer les autres personnalités
politiques présentes dans les Guignols, on se rend compte que
seule les femmes sont systématiquement ridiculisées
au travers de vannes de mauvais goût : Bernadette on la baise
pas parce que c'est une vieille aristo, Christine Boutin on la baise
pas parce qu'elle est moche et catho, etc…
Je suis de ceux qui pensent
qu'on peut rire d'absolument tout, mais dans certaines limites, qui
sont celles du respect et de la dignité. Aucune femme ne mérite
ces humiliations répétées, surtout pas par un
média qui a le poids qu'on sait…
Car il faut être
bien conscient d'une chose : les Guignols ont acquis - on l'a bien
vu en 95 - un tel poids dans la société qu'il serait
temps pour eux de réfléchir à la portée
de leurs propos. Si Chirac Super-Menteur et Bayrou en adolescent en
pleine crise font rire, il faut savoir un jour s'arrêter, car
tout le monde n'a pas forcément les outils ni le recul nécessaire
pour comprendre la politique. Pour beaucoup, les Guignols sont la
seule fenêtre ouverte, et surtout accessible, qu'ils ont sur
l'actualité. Sauf que ça ne suffit pas. On ne devient
pas citoyen - quel mot à la mode ! - en regardant 5 minutes
de marionnettes en latex 5 soirs par semaine, surtout quand on connaît
leur patron et le Berlusconi puissance 10 qui sommeille en lui…
Gaccio et ses compères se rendent-ils compte qu'ils sont au
cœur d'une manipulation orchestrée par celui qui pourrait
devenir le plus grand dictateur de tous les temps ?
Alors réveillez-vous,
Camarades ! Continuez de regarder les Guignols si ça vous amuse,
mais ne croyez pas tout ce qu'ils disent…