Un Samedi soir sur la terre

 

Rubrique TéléNet
Les Arêtes du 24 novembre 2000

Qu'avez vous fait samedi soir ? Moi, rien. En fait, j'étais partie me reposer à la campagne chez mes parents, histoire d'échapper à la tyrannie quotidienne de mon mari ou je ne sais pas quoi, pour reprendre les termes de mon charmant voisin du dessus, amateur de hard rock le samedi après-midi.
Je ne sais pas si vous avez souvent l'occasion d'aller passer des week-ends entiers en pleine cambrousse, mais je peux vous dire que chez mes parents, c'est calme. Très calme. Tellement calme, que passé 20h00, on s'emmerde déjà un peu. Et comme, justement, je commençais à m'emmerder un peu samedi soir, je me suis scotchée devant la télé.

La campagne profonde où résident mes vénérés géniteurs ayant - mais pour combien de temps encore ? - échappé à l'intrusion des techniques modernes de télédiffusion, mon choix télévisuel s'est avéré plutôt restreint : 6 chaînes, toutes plus médiocres les unes que les autres. Mais il a bien fallu choisir. Après mûre réflexion, mon frère - qui avait quitté le Nord et ses corons pour lui aussi respirer l'air frais empli des odeurs de lisier encore fumant - après mûre réflexion donc, mon frère et moi avons opté pour la simplicité : TF1.
Je vous passerai la description de l'affligeante mascarade trash de Jean-Pierre Foucault, tout le monde connaît et l'inculture de ses candidats qui n'a d'égale que la médiocrité du présentateur n'est un secret pour personne. Non, je ne viens pas ici ce soir pour vous parler de ce Question pour un champion à la sauce Télé 7 jours, mais pour m'exprimer sur l'émission qui suit : la Fureur.

Alors la Fureur, qu'est-ce que c'est ? C'est une espèce de karaoké géant à l'occasion duquel on a invité des vedettes - chanteurs si possible - qui vont donc chanter à ta place, joyeux téléspectateur. Mais toi aussi, tu peux chanter, car, comme dans un karaoké, les paroles s'affichent sur ta télé. Mais bon, ça ne se résume pas qu'à ça non plus, parce que sinon, on ne voit pas bien l'intérêt de l'émission. Alors pour rendre le truc intéressant, Arthur, heureux créateur de ce divertissement, il a trouvé une super idée : deux équipes, les filles et les garçons, vont s'affronter au cours de petits jeux, tous basés sur le principe du karaoké. Voilà, c'est tout con.

Que s'est-il donc passé samedi dernier pour que je prenne la peine d'en parler ? Arthur avait disparu !!!! Envolé ! Volatilisé ! Ne vous inquiétez pas, il n'a pas été séquestré par un quelconque collectif d'artistes à bonnet péruvien. Non, il ajuste vachement réfléchi à un nouveau concept : il a mobilisé ses 3 neurones et il s'est dit : " Tiens, et si je continuais à m'en foutre plein les poches en travaillant encore moins ?!" Résultat de l'opération : il a accouché d'une nouvelle formule présentée par… Véronique CLOUTIER !!!! Et oui, Véronique Cloutier… grande vedette de renommée internationale ! Quoi ? Vous ne savez pas qui est Véronique Cloutier ? Mais c'est la présentatrice de la version québécoise de la Fureur (remarquez, avec un nom pareil, elle ne pouvait être que québécoise…). C'est une espèce de blonde fadasse, à qui on aurait collé sur la tête en guise de perruque la pilosité axillaire d'une portugaise décolorée à l'eau oxygénée.
Mais passons le cas de la présentatrice, elle vaudrait à elle seule une chronique tant sa finesse d'esprit atteint des sommets jusqu'alors inégalés par Patrick Sébastien.

Intéressons-nous donc maintenant aux invités. Première angoisse : leurs noms défilent pendant le générique et, panique à bord, tous me sont totalement inconnus. Mais vraiment inconnus. Je me suis dit, y'a pas 36 possibilités : soit je suis totalement inculte, soit on m'a cryogénisée il y a 5 ans, soit ces individus beuglent une telle merde que même moi je suis passée au travers. J'opte pour la réponse 3 et c'est mon dernier mot… Citons pêle-mêle parmi ces invités prestigieux (dites-moi au passage si vous les connaissez) :Assia, qui est un peu la Brandy sans Monica française, Isabelle Boulay, Pablo Villafranca, Damien Sargue (une espèce de faux Léonardo di Caprio : mine d'ado glabre, cheveux gras longs et noirs, tout à fait formaté pour titiller les hormones des gamines de 10 à 12 ans), Ginnie Line et Sonia Lacen. Du beau monde, hein ?! Ca laisse rêveur… Autant dire qu'il s'agit d'une tripotée de vedettes dont j'ai appris en cours d'émission les raisons pour lesquelles je n'en avais jamais entendu parler : au moins 8 sur 10 d'entre eux avait pour principale activité de beugler dans des comédies dites musicales à la mode. Parmi ces invités prestigieux, notons l'apparence des filles, toutes lookées pouf' de la tête aux pieds. Leur façon de chanter se rattache aux deux écoles actuelles : soit elles se prennent pour des chanteuses de soul et naturellement c'est raté (c'est ce que nous appellerons la tendance Larusso), soit elles beuglent en se prenant pour des cantatrices d'jeunes (c'est ce que nous appellerons la tendance Céline Dion). J'ai été impressionnée par une séquence karaoké au cours de laquelle ces jeunes gourdes devaient continuer à chanter alors que le son de la chanson était coupé tout en restant raccord quand le son était remis. La chanson en question faisait partie de l'œuvre incommensurable de notre amie Larusso. C'était fascinant de voir à quel point premièrement elles connaissaient par cœur, à l'onomatopée près, cette chanson et deuxièmement elles chantaient exactement comme elle.

Venons-en à la composition du public si vous le voulez bien. Le public de la Fureur est composé d'hommes et de femmes, pardon, de garçons et de filles, ça fait plus d'jeunes, qui ont été posé derrière les représentants de leurs sexes respectifs. On reconnaît aisément le public de la Fureur à sa façon se s'habiller comme les invités, mais en bas de gamme et en encore plus vulgaire. Les filles sont naturellement à moitié à poil et se déhanchent comme des starlettes de peep-show dès qu'un bel hidalgo vient pousser la chansonnette au milieu du plateau. Les garçons, quant à eux, ressemblent tous à des créateurs de start-up à cravate Betty Boop, apôtres intégristes du téléphone portable dernier cri qui fait vibromasseur et fervents promoteurs de ce nouveau moyen de locomotion qu'est la trottinette en métal. Pour donner un peu plus de mouvement à ce public acquis d'avance par toutes ces vedettes de foires aux vine, Arthur a pensé à tout et a posé, ça et là, sur des cubes en plastique lumineux quelques greluches attifées de jupes en vinyle mauve, qui se dandinent langoureusement à chaque miaulement de vedette acnéique.

Arrêtons de rigoler 5 minutes : cette émission est sexiste, vulgaire, et déculturante. La Fureur est sexiste dans sa façon de séparer hommes et femmes, à la fois dans le public et parmi les invités. Sous couvert d'un affrontement gentillet, les vannes machistes fusent et tout le monde trouve ça drôle. Elle est sexiste aussi dans sa façon de remettre au goût du jour la femme-objet qui n'a pour unique occupation que celle de faire onduler soit disant sensuellement son corps au rythme d'une musique affligeante dans sa composition et dans les paroles qu'on a collé dessus. La manière dont sont vêtus public et invité et sexiste : on a d'un côté des hommes vêtus sobrement, très classieux, et de l'autre des radasses un peu tartes et faussement provocantes, tant par leur attitude que par leurs vêtements ou leur maquillage Avi 3000.
Tout en étant sexiste, La Fureur présente une vision vulgaire de la femme.

Enfin, la Fureur est déculturante, puisque ce qu'elle présente comme étant des classiques de la chanson - c'est l'objet d'un karaoké, proposer standards que tout le monde connaît - n'est que ramassis de textes niaiseux, vides, agrémentés d'une musique d'ascenseur sur laquelle on a rajouté une vague boîte à rythme technoïde. Ben si c'est ça la culture française du XXIè siècle, c'était pas la peine de nous faire chier avec l'an 2000 et ses progrès depuis si longtemps…