Jacques Prévert, Paroles


Il y a des livres qui nous plaisent, mais tout en étant une relation éphémère. Une fois le livre fini, l'auteur regagne sa place dans la bibliothèque en attendant le prochain désir de redécouverte du lecteur. Et il y a des auteurs dont nous sentons intuitivement qu'ils nous accompagneront quotidiennement toute notre vie, avec qui nous nous sentons sur la même longueur d'onde. Des auteurs élus en quelque sorte, ou plutôt des hommes et des femmes que nous sentons comme autant de frères et de sœurs. Pour moi, ces auteurs sont Albert Camus, Paul Nizan et aussi Jacques Prévert. Je pense ne pas être la seule à être ainsi accompagnée par Prévert. Cet homme a un don pour pénétrer notre mémoire en en oubliant la sortie.

Et mardi dernier, j'ai pensé à Prévert, tant la situation que j'ai vécue lui aurait été, j'en suis certaine, une occasion pour pourfendre la bêtise et la suffisance des gens " bien pensants ". Ah le conformisme du mouton rouennais ! Voilà une bonne vieille recette bien de chez nous !

J'étais ainsi au cinéma rue de la république, voulant entrer dans la salle, quand soudain un molosse femelle m'arrêta pour me fouiller. Bien que sachant que la cause était perdue, je me suis efforcée de combattre le conformisme liberticide au nom des droits démocratiques et de la simple logique. Nous débattions quand soudain j'entendis derrière moi le doux qualificatif " d'emmerdeuse " qui m'était ostensiblement adressé. Je me retournai et me trouvai nez à nez avec une mémé Daxon de la pire espèce : teinture rose, veste verte, foulard à fleurs-fleurs bien comme il faut, rien ne m'était épargné. J'entrepris de sermonner la mégère, qui, n'en doutons pas, n'est pas la dernière à pleurer sur les chères valeurs dénigrées par la jeunesse. Il n'empêche, même si j'avais gagné la joute verbale avec la représentante d'une espèce qui malheureusement n'est pas en voie d'extinction, j'étais en rogne, maugréant un " y'en a marre d'être cerné par les cons ". Puis Prévert a toqué à la porte. Lui, le poète qui peut faire sourire en dénonçant les sinistres et les oppresseurs. Lui qui nous donne la supériorité du rire de l'intelligence.

Aussi, il m'a semblé judicieux, dans ces temps où la règle maîtresse est de bêler un " C'est normaaallll ! " quand le gouvernement et le patronat sont en train de flinguer une à une toutes nos libertés, de vous lire quelques extraits de ce poète anarchiste, dénonciateur de la guerre et du capitalisme.

Autre chose, on présente parfois Prévert comme un homme qui fait des jeux de mots plutôt que comme un poète. On peut leur répondre que Prévert, lui, prend le temps d'écouter ses mots, il ne fait pas qu'utiliser leur sens. Il les observe évoluer, il leur donne tout l'espace nécessaire. C'est sa magie. Et plus globalement, c'est sans doute celle de la poésie qui, au-delà d'un simple répertoire de figures de style ou de sentiments lyriques, est d'abord une approche unique et totale de la dimension à la fois concrète et abstraite de notre langage.

Paroles de Jacques Prévert, folio plus, 28 f.