Episode 2 : accouchement
dans la douleur
Black
Satin - Miles Davis (The Essential Miles Davis disque 2 n°7) 5'15''
J'achetais donc la plus grande
des deux boutiques vides de la place centrale de Whiteville dans le
conté de Choctaw, Alabama afin d'y créer une école
de musique afro-américaine au sein même de l'Amérique
blanche, réactionnaire et arrogante. Je n'eus toutefois aucun
problème à l'acheter, bien plus cher que sa valeur réelle
cependant, car le racisme tombe devant la loi du dollar. Or je payais
cash. Ici, comme partout l'important c'est le business. L'idéologie
n'est qu'un papier cadeau. L'existence détermine la conscience
comme aurait dit Marx. Cette phrase que j'avais apprise lors de mes
cours dans les écoles des Black Panthers m'avait marqué.
Elle se révélait une nouvelle fois vraie.
J'étais satisfait de moi
et j'employais les 5 jeunes pour m'aider à rénover la
boutique : Malcom, Bobby, Huey, David et Tommy . Très vite
les ennuies commencèrent. La rumeur qu'un nègre avait
acheté une boutique sur la place centrale fit rapidement le
tour de la ville. La rumeur se transforma en quelques heures en réprobation,
puis en colère silencieuse. Il fallut deux jours pour que la
colère s'exprime. Ce fut d'abord des lettres de menaces accrochées
sur la boutiques. Ces lettres se doublèrent par ma mise en
quarantaine. Plus aucun magasin de blancs ne voulait me servir à
part Will Grant et sa famille - Jenny sa femme et Caroline sa fille
- les propriétaires du bar. Certains afro-américain
me regardaient de travers. Je suppose qu'ils avaient peur du remue-ménage
et des conséquences qu'ils imaginaient sur leur petite vie
précaire : il existe des Oncles Tom partout. Miss Auldridge,
chez qui je logeais, m'intima l'ordre de faire mes bagages. Je fus
recueilli par les parents de Huey dans le quartier afro-américain.
J'eus le plaisir d'avoir la visite
du pasteur Chase qui me tint un discours étonnant. En substance
j'eus le droit à ses excuses au nom de ses ouailles, qui d'ailleurs
ne devaient certainement pas être au courant de ses démarches,
mais il me conseilla pour le bien de tous de renoncer à mon
projet. En bref : c'est pas bien ce qu'on te fait bonhomme, mais subit
et ferme ta gueule car le monde est ainsi et il ne changera pas pour
tes beaux yeux !
Je le remerciais néanmoins
et pris congé de lui pour continuer mes travaux, qui avaient
prit du retard. Le lendemain tout ce qu'il y a de plus réactionnaires
dans cette ville s'était donné rendez-vous devant ma
boutique à hurler leur haine. Des pierres furent jeter, malgré
la grille métallique, la vitrine tomba. Je crus que ma dernière
heure était arrivé. Je me voyais déjà
me balançant au bout d'une corde... je demandais à mon
équipe de fuir par derrière. Ils refusèrent.
Finalement, le shérif arriva, l'air goguenard, imitant d'une
façon désinvolte celui qui essayerait de calmer une
foule en colère. Puis il s'approcha de moi : "dites donc,
j'v'a pas pouvoir assurer vot' sécurité ben longtemps.
Vous croyez pas avoir fait assez de merdier. Si j'étais vous,
j'me tirais d'ici le plus vit' possib'". Il se retourna et d'un
seul geste accompagné d'un : "c'est bon maintenant...
rentrez chez vous. Si j'en vois un roder par ici dans 5 minutes j'l'coffre
!" il fit évacuer la foule.
Le soir, chez les parents de Huey,
nous nous réunîmes afin de discuter ce qu'il y avait
de mieux à faire face aux proportions que prenait cette affaire.
Après une longue discussion nous nous mîmes d'accord
pour reporter notre décision au lendemain. Mais le Ku Ku Klan
nous évita la terrible épreuve du choix. Durant la nuit,
ses nervis incendièrent ma boutique.
Lorsque je découvris les
dégâts le lendemain, le doute m'envahit et je me surpris
à vouloir renoncer. Cela ne faisait que quelques jours que
j'étais ici, et déjà je me voyais fuir cette
ville comme un malpropre. C'était plus que ce que mon orgueil
pouvait supporter. Je devais rester et me battre.
J'allais prendre un café
chez Will Grant. Celui-ci était silencieusement gêné
pour ce que les membres de sa communauté me faisait subir comme
épreuve. Il en oublia d'ailleurs consciemment ou inconsciemment
de me faire payer le café. Peut-être un cadeau de la
maison, une façon de se disculper à mes yeux.
Générique
- Miles Davis (The Essential Miles Davis disque 1 n°9) - 2'45''
suivi de Summertime (The Essential Miles Davis disque 1 n°10)
3'17''
Sa fille, Caroline, une jolie brune aux yeux marron noisette âgée
approximativement de 17 ans, vint me tenir compagnie quelques instants.
Elle m'expliqua qu'elle aimait Miles Davis, surtout au début
de sa carrière, et qu'elle regrettais que les gens de Whiteville
refusent obstinément l'ouverture de mon école de musique.
Nous évoquâmes la
carrière de Miles et sa vie tumultueuse pendant quelques minutes.
Son début de carrière au milieu des années 40
dans les groupes de Benny Carter ou d'Ekstine, au côté
de Charlie Parker, son mentor, et de Dizzie Gillespie. La création
de son propre groupe en 1949. Son invention ou sa ré-invention
du cool-jazz West-coast. Son addiction à l'héroïne
dès le début des années 50. L'envolée
de sa carrière à partir de sa prestation au Newport
Jazz Festival de 1955 et sa signature chez Columbia records. Sa rencontre
avec Coltrane à partir de ce moment. Les nouvelles inovations
qu'il apporta au jazz durant la fin des années 50 et durant
les années 60, ses énormes succès comme l'album
Kind of Blue en 1959, Miles Davis In Person en 1962 ou encore le Miles
Davis At Carnagie Hall, mais aussi sont aversion pour le free-jazz.
Nous évoquâmes l'arrivée d'herbie Hancock et de
nouveaux musiciens au milieu des années 60 et l'entrée
des instruments électriques dans son jazz qui le conduisit
vers un style plus jazz-rock. Sa baisse d'activité durant les
années 70 à cause d'un accident de voiture, son retour
au début des années 80 et enfin sa mort en 1991 d'une
pneumonie après avoir enregistré son dernier disque
avec le rapper Easy Mo bee. Pour finir nous nous mîmes d'accord
sur le fait que son approche écclectique du jazz avait fait
de Miles Davis non seulement l'un des plus grand musicien de ce siècle
mais aussi l'un de ceux qui avait fait le plus évoluer le jazz.
Je me rendis compte qu'elle en
savait beaucoup sur le jazz. Où avait-elle bien pu apprendre
tout cela ici. Je lui fis remarquer qu'avec sa culture musicale, elle
pourrait venir donner des cours dans mon école. Elle souria
et me remercia. Elle envisageait cette idée avec beaucoup d'intérêt.
Et imaginait la tête des vieux cons de la ville lorsqu'ils sauraient.
Mais avant il fallait que mon projet aboutissent et que son père
accepte.
Elle s'interrompit lorsqu'un jeune
athlète entra dans le bar. Celui-ci me jeta un regard rempli
de haine. Je devais apprendre qu'il était le copain de Caroline,
le capitaine de l'équipe locale de football américain,
et le fils d'un dignitaire présumé du Ku Kux Klan. Comment
une fille aussi belle et intelligente que Caroline avait pu s'amouracher
d'un tel crétin. L'amour est-il si aveugle que cela ?
Ils partirent ensemble. Un sentiment
de désespoir et de solitude m'envahit lorsque je regardais
s'éloigner les deux adolescents. Caroline était la première
blanche de cette foutue ville à m'avoir souri d'une façon
franche et à m'avoir exprimer son intérêt pour
mon projet. Mais cela n'expliquait pas ce léger pincement au
cur ! Etrange de ressentir cela pour une fille que je connaissais
à peine. Je mis ça sur le compte de l'émotion
dû aux événements d'hier et de cette nuit.
Now's
The Time (The Essential Miles Davis disque 1 n°1) - 3'15''
Peu de temps après leur
départ, un quinquagénaire entra dans le bar ; d'allure
nonchalante, les yeux encore voilés des vapeurs d'alcool, il
portait un costume clair de bonne qualité mais qui avait néanmoins
vieilli. Il vint directement à ma table et n'attendit pas mon
invitation pour s'asseoir.
"Alors c'est vous le héros
qui a enfin réveiller cette putain de ville ! Bah voilà
jeune homme vous vous êtes mis dans le merdier jusqu'au cou
! Mais j'oublie toute mes leçon de politesse, que feu mon père
m'avait inculqué à coup de ceinturon. Je me présente
: Harvest, James Harvest. Je suis le carabin du coin. Je soigne les
petits et les grand maux... je suis l'autre confident de la ville.
Le premier étant mon adversaire, le Pasteur Chase. Je dois
avouer que si vous vous présentez à la mairie au prochaine
élection vous aurez ma voix. En quelques jours de présence
et la belle endormie est réveillée et excitée
comme une puce. C'est toujours aussi rock'n'roll votre vie ou c'est
une faveur que vous nous faites ?"
J'étais perplexe devant
ce discours ambigu qui sentait la préparation, mais je décidais
d'attendre la fin de son monologue pour le juger et choisir une attitude
vis-à-vis ce personnage déconcertant. Finalement il
m'apprit qu'il trouvait mon projet très intéressant,
mais qu'il pensait que je m'y prenais en dépit du bon sens.
Il me conseilla d'abandonner l'idée de construire mon école
en centre ville, à moins d'être suicidaire. Ma mort n'apporterait
rien à la communauté afro-américaine de cette
ville et ne ferait pas bouger d'un iota la mentalité des "toubabs"
selon sa propre expression. Puis il pris congé.
En fin d'après midi, je
retrouvais mes musiciens en herbe, qui avaient décidé
que leur groupe s'appellerait désormais Black Panthers, en
référence à l'organisation afro-américaine
radicale que l'Etat américain avait combattu si violemment.
Je discutait une nouvelle fois des événements et de
l'attitude que nous devions adopter. Après leur avoir rapporté
mes quelques discussions de la journée, nous décidâmes
de construire finalement l'école dans le quartier afro-américain.
Je revendais la boutique du centre
ville, à un prix dérisoire. Mais cela me suffit pour
acheter un local dans le quartier noir. Les travaux avancèrent
sans plus aucun problème. Les toubabs racistes, comme je devais
les appelé désormais, crûrent m'avoir soumis.
Mais je savais que sur le long terme, c'est moi qui les vaincrai.
Je revoyais souvent le docteur Harvest, qui était lui aussi
un puits de science ès-jazz. Il mis à ma disposition
tout ses disques. Et je convainquais Will Grant de laisser sa fille
venir prendre des cours de chant jazz et en donner, en ce qui concerne
l'histoire du jazz et son écoute, pour les plus jeunes étudiants
inscrits. Le fait que je devais la payer pour son concours ne fut
certainement pas pour rien dans son acceptation. Sa participation
n'allait pas être sans conséquence sur sa propre vie...
ainsi que sur la mienne.