Episode 1 : Prologue

Star fell on Alabama - Ella Fitzgerald et Louis Armstrong (That Old Black Magic 4 N°18 (compil' personnel) - 3'30'')

Je vais vous raconter l'histoire extraordinaire et ô combien édifiante de Marvin Blackcraft, musicien afro-américain de métier, lorsqu'il arriva dans la petite ville apparemment paisible de Whiteville, Alabama dans le comté de Choctaw, et de ce qui s'y passa par la suite.

Ne cherchez pas cette ville sur une carte. Elle est indiquée nul part. je ne suis pas sûr d'ailleurs qu'elle existe et que quiconque à part Marvin y soit déjà allé. Pourquoi était-il arrivé là ? Nul ne le sais. Lui pas plus qu'un autre. Tout ce dont il se souvient c'est qu'il devait y aller. Il ressentait qu'il avait une mission à remplir là-bas. Il ne savait pas de qui il était l'instrument, mais c'était pour lui comme une évidence.

Alors il pris sa guitare, son saxophone alto et son baluchon, et partant de Chicago, Illinois, il marcha sur les routes des USA, disant à ceux qui voulait bien l'entendre qu'il partait en mission pour l'Alabama. Beaucoup de membre de sa communauté le prenaient pour un fou : ils se demandaient ce qu'il allait faire dans cette galère ? Il ne répondait pas à cette question, assuré de la légitimité de son action par le fait même qu'il y croyait. Il se contentait de sourire. Oh, ce n'était un simple d'esprit, contrairement à ce que vous pensez certainement à ce stade de l'histoire ; s'il avait le cœur de l'agneau pour ses sœurs et frères d'humanité, son regard était celui du berger.

Quand cela se passa-t-il ? aujourd'hui ! et les semaines à venir. L'histoire se déroule dans votre imagination au fur et à mesure que je vous la conte. Il en est toujours ainsi. Les histoire sont intemporelles. C'est ce qui fait leur magie.

Comment savez-vous tout cela, pensez-vous ? Parce que je fus le témoin et l'acteur principal de cette histoire ; Marvin Blackcraft c'est moi, évidemment ! c'est ma vie que je vais vous raconter. Vous y trouverez tout ce que l'on trouve dans la vie : de l'amour, de la haine... des larmes et des rires. La violence et la paix. La naissance et la mort. Et de la musique... beaucoup de musique. Tout vous dis-je ! C'est ma vie... c'est la Vie.

Choctaw Hayride - Alison Krauss and The Union Station (New Favorite N°4 - 3'07'')

Whitetown était une petite ville typique du sud des USA. Une communauté rurale fermé au monde extérieur composé avant tout de paysans blanc suspicieux l'extrême. La ville avait payé un lourd tribut à l'isolement et à la consanguinité.

La minorité afro-américaine faisait ce qu'elle pouvait pour survivre à l'hostilité des blancs. Quelques immigrés latino-américains s'étaient perdu ici. Pauvres parmi les pauvres, ils étaient regardez avec condescendance par les Afro-américains eux-mêmes. Ils travaillaient comme journalier dans les champs. Et il y avait bien des indiens Choctaw de l'autre côté du comté, mais ils ne sortaient pas de leur réserve depuis qu'ils avaient subi la violence de la colonisation ; on les entendait donc jamais.

Le centre de Whiteville est composé de la rue principale, la route qui mène à Butler, la capital du comté, avec en son centre une grande place sur laquelle se trouve la mairie, blanche en style vaguement victorien et d'où partent quelques rues secondaires. Le maire, M. Simon, est membre du parti Républicain. Cela est traditionnel dans cette partie de l'Amérique... presqu'une obligation électorale. Un unique parc, où se rassemble la population pour les fêtes, avec un kiosque à musique, sépare la mairie de l'église protestante construite en bois peint de blanc. Le pasteur Chase est un homme ambiguë : il est déchiré entre sa foi chrétienne et la tradition sudiste.

C'est aussi autour de cette place que l'on trouve la majorité des commerces de Whiteville. On y trouve le bar de Will Grant dans l'ancien saloon rénové. Il y a aussi le drugstore de Gary Smith avec le distributeur de friandise en forme de grand chef sioux impassible à la disparition de sa culture. Ainsi que l'échoppe de Bob Redgrave le barbier, reconnaissable à l'enseigne tournante rouge et blanche ressemblant à berlingot en bâtonnet. C'est sur cette place que l'on trouve la sombre armurie de Bo, ainsi que le Choctaw Ride Hotel. Deux boutiques sont inoccupées. Il y a là aussi une radio locale : la White Wolf Radio tenue et animé par Jack Lair, qui se fait appelé Wolfman Jack. On y entend exclusivement de la country, du bluegrass et de la musique de western. Il organise de temps à autres des radio-crochets. Le gagnant reçoit une bourse pour allez prendre des cours de musique dans une grande ville. Généralement, ils ne reviennent jamais à Whiteville. La musique est entrecoupée d'infos locales et de réclames, mais aussi de messages à caractère raciste.

A la sortie nord de la ville, le bar routier-garage-pompe à essence est tenu par la famille Oldfield. C'est certainement la famille la plus sale, vulgaire et mesquine qu'il me fut donné de rencontrer. On trouve aussi un vétérinaire, Mr. James Harvest et un médecin libéral dans tous les sens du terme - c'est une véritable humaniste teinté d'aigreur qui n'est pas uniquement du à sa trop grande consommation de whisky : Mr. Rafferty, il effectue aussi de menus travaux dentaires.

Un lycée a été bâti non loin de la place centrale. C'est le Whiteville Highschool. Il est privé et théoriquement mixte. Mais les droits d'inscription sont prohibitifs pour la plupart des membres de la communauté afro-américaine, ainsi que pour les Latinos. Pour eux, il existe un établissement public, sans moyen et sans projet pour la majorité des élèves qui passent dans ses murs. Cet état de fait comble les racistes de la ville, une sacrée tripotée, qui voit dans l'échec scolaire de l'établissement public à la fois la preuve de la supériorité des blancs, la nécessité de la ségrégation et la supériorité du privé sur le public.

Le shérif, O'Brian, dont l'office se trouve dans une rue secondaire partant de la place centrale, était un homme grand et musclé. Son regard inquisiteur à l'excès, certainement pour entré dans le rôle qui lui a été dévolu, lui donne aspect sombre et méchant. Il tourne chaque jour dans la ville dans son véhicule, briqué de neuf, blanc avec l'écusson du conté. Ils a une tendance à suspecter principalement les citoyens à la peaux sombres. Les délits sont peu nombreux à Whiteville et les crimes quasiment inexistant. Mais les geôles servent uniquement ou peu s'en faut à la communauté afro-américaine et latinos ; c'est certainement le seul service public de qualité auquel ont le droit ces deux communautés. Les seuls blancs à y faire un tour sont les ivrognes, qui passent une nuit en cellule de dégrisements. Son adjoint, le gros Spencer à l'œil aussi éveillé que ceux des vaches de sa famille en fait autant. Enfin, ici, le Ku Kux Klan n'est pas une association folklorique de cinglés. Ici les lynchages ont encore lieu de temps à autres. Mais les enquêtes à leur encontre n'aboutissent jamais... étrange !

Cette ville ne semble pas avoir évolué depuis les années 50.

That Old Black Magic - Sarah Vaughan (That Old Black Magic 4 N°20 - 2'50'')

Je pris une chambre au Choctaw Ride Hotel. Pour que Miss Auldridge, la tenancière, une vieille fille sèche comme le Nouveau Mexique et acariâtre comme un pitbull, me loue la chambre, je dus répondre à un véritable interrogatoire en règle, montrer patte blanche et payer rubis sur ongle les 50 dollars hebdomadaire pour la demi-pension. En me remettant les clefs, elle pris soin de ne pas me toucher, de peur certainement que la mélanine soit une maladie contagieuse. Elle me conduisit jusqu'à ma chambre en me récitant le règlement intérieur agrémenté de remarques faussement anodines concernant ma négritude et les pratiques douteuses de mes semblables quant à l'hygiène, le bruit et les pratiques sexuelles.

Je pris une douche et me laissait tomber sur le lit. La route avait été longue et la fatigue du chemin se faisait enfin sentir. Je sombrais rapidement dans un sommeil agité, sans savoir quel était mon rôle ici.

Je me réveillais, aux aurores d'une journées qui promettait d'être radieuse, mais toujours dans l'expectative. La nuit ne m'avait pas porté conseil. Je reprenais une douche et m'habillais d'un costume de lin : veste, chemise, gilet et pantalon. Je descendais les escaliers et me dirigeais vers le bar de Will Grant, car je savais que je pourrais y prendre un déjeuné.

Je passais devant l'une des boutiques vides. Elle était à louer. Je la dépassais et entrais dans le bar. J'étais le seul client. Will Grant était là. Un petit homme agité, le regard fuyant, mais qui ne semblait pas posséder un sous de méchanceté. C'était un homme semble-t-il peureux, brisé peut-être, mais sans malice et sans haine. Il me demanda ce qu'il pouvait me servir. Je lui réclamais des œufs, du bacon, des toasts et un verre de jus d'orange. Peu de temps après j'étais servis. Je commençais mon repas. Un homme, grand, apparemment un paysan, entra dans le bar, me dévisagea d'une façon insistante et expressément inamicale. Il alla s'assoire au bar et me tourna le dos. Je pris mon temps pour déguster ce petit-déjeuner. Je commandais ensuite un café.

Je restais ici la plus grande partie de la matinée, à écrire mon journal. Je l'avais commencé le premier jour de mon périple. Des habitants entraient régulièrement, d'autres sortaient, après avoir bu leur café ou leur bière. Ceux qui entraient me dévisageaient comme l'avait fait avant eux le premier client à être entrer ici. Un étranger, un afro-américain qui plus est, était une chose nouvelle semble-t-il pour eux.

Vers 11 heure, mon attention fut attirée par une altercation de l'autre côté de la place, à l'entrée de la WWR. Ainsi l'atmosphère de paix n'était qu'un vernis superficiel. Je payais au comptoir et sortais pour m'approcher. Cinq jeunes noires insultaient un homme habillé en costume blanc de cow-boy ainsi qu'un homme massif avec un berger allemand dont la muselière avait été retiré. L'un des jeunes était plus énervé que les autres. Ces amis le retenaient. De là où j'étais je pouvais voir la rue dans laquelle se trouvait la le bureau du shérif. Lui et son adjoint étaient sortis attiré comme moi par le bruit. Je m'aperçus aussi que le garde de la radio était de plus en plus nerveux, et qu'il ne manquerait pas de lâcher son chien sur les jeunes. Je décidais de m'approcher encore et de venir leur parler. Je m'excusais au près du cow-boy d'opérette et d'une façon autoritaire j'intimais aux jeunes l'ordre de me suivre s'ils ne voulaient pas d'ennui. Mon intervention, tant par le fait de mon statut d'inconnu que par celui d'aîné de leur communauté, les calma immédiatement. La colère avait fait place à la perplexité.

Je les emmenais vers le centre de la place. Je m'asseyais sur les marches du kiosque, en leur faisant face. Je pouvais lire dans leurs yeux leurs interrogations. Je n'attendais pas que leurs questions soient formulées pour y répondre. Je commençais par me présenter : "Je suis Marvin Blackcraft, saxophoniste et guitariste". A ces mots les derniers restes de tension se dissipèrent, pour laisser place à un sentiment renouvelé de perplexité mêlé de curiosité. Je continuais donc : " Je viens de Chicago et je suis arrivé à Whiteville hier. C'est une bien belle région par ici. Je compte m'y installer". Le plus énervé des jeunes m'interrompit pour me demander les raisons de mon intervention dans leurs affaires. "Ne sais-tu pas jeune homme, lui répondis-je, que lorsque l'on ne peut pas être le fier chêne qui résiste à la tempête, mieux vaut être le souple roseau qui plis mais ne rompt jamais ? Ne sais-tu pas qu'ici, dans votre ville, comme partout aux USA, nous n'avons pas la loi pour nous ? vous alliez vous mettre dans le pétrin. Cela m'aurait ennuyé de voir des jeunes membres fougueux de ma communauté avoir ennuies sans que j'essaye d'éviter cela : il faut savoir regarder jeune homme, et analyser les situations avec raison. Le shérif était sorti de son bureau. Vous ne pouviez pas le voir, certes. Mais le garde que vous aviez en face de vous était à deux doigts de lâcher son chien policier. Cela était pourtant simple à voir, mais votre colère vous obscurcissait la vue. Quelles étaient les raisons de vôtre différent qui vaillent de risquer la morsure du chien et les geôles du shérif ?"

J'appris qu'ils avaient essayer de s'inscrire au prochain radio-crochet et que le Wolfman Jack avait refusé. Il leur avait affirmer qu'ils étaient mauvais alors qu'il ne les avait même pas écouter. C'était sans aucun doute un cas de discrimination avérée, et la première dans ce cadre puisque ces jeunes afro-américain étaient les premiers à ce présenter à un radio-crochet. Mais je devais m'apercevoir par la suite que le jugement a priori du Wolfman Jack était confirmé à posteriori. Ce n'était pas malgré tout ni une raison ni la raison de son refus. J'appris aussi qu'il n'y avait pas réellement de groupe de musique afro-américaine. Ni jazz, ni soul, ni blues ni rap... un véritable désert artistique pour ma communauté soumise à la culture des blancs rétrogrades.

La raison de ma venue ici devint claire : je devais apporter la musique noir américaine dans ce lieu perdu. Aidez les membres de ma communauté à retrouver leur musique tant d'un point de vue de l'écoute que de la pratique. Je décidais immédiatement d'acheter la plus grande des deux boutique vide grâce à mes économies et d'y fonder une école de musique afro-américaine : "La Clinique de la Musique Noire".