Lena Horne

 

(fond musical : Moon River / old black magic I-14)

Je m'appelle Clyde Johnson. Je suis né en 1914 dans la petite ville provinciale de Newark - Ohio, où chaque jour ressemble à un dimanche sans fin. Je suis le fils cadet d'une famille respectable et respectée : mon père, Alvin Johnson est un riche négociant en bétail qui a su résister à la dépression de 1929. Obtus, austère... il pense que l'être-humain se réalise par le travail honnête et la religion et met un point d'honneur à être dur en affaire. Il oublie que notre famille habitait la Caroline du Sud avant la guerre civile, et qu'elle y prospérait grâce au travail des esclaves noirs. C'est ni très honnête ni très chrétien comme attitude... mais la mémoire des gens respectables est courte et les coups de fouet infligés à autrui s'oublient vite. Après la défaite du général Lee à Gettysburg, voyant le désastre inéluctable, mon grand-père eu la bonne idée de vendre la plantation et les esclaves à un voisin patriotiquement optimiste. Il parti avec femme et enfants dans l'Ohio et y acheta une demeure à Newark. C'est là que quelques années plus tard mon père se maria un jour d'orage avec ma mère - Margaret - une femme effacée et soumise, triste comme un jour de pluie. je ne sais pas quel crétin un jour a dit : mariage pluvieux, mariage heureux ! La sagesse populaire n'est pas toujours fondée. Mon frère aîné est quant à lui la réplique conforme de mon père - c'est certainement pour cela qu'on l'appelle Junior. Il travaille dans l'entreprise familiale. Il succédera tôt ou tard à mon père. (2mn)

Stormy Weather (3'20) Lena Horne n°1

Moi j'ai toujours su que le monde était trop grand pour que je reste à Newark. J'ai donc tout fait pour fuir cette famille et cette ville à l'atmosphère si pesante. Je suis maintenant à New York où je fais mon droit... père espère me voir devenir avocat d'affaire... Pour l'instant je goûte avec gourmandise à la vie new-yorkaise, à ces délices que la fortune familiale me permet de connaître. C'est ainsi qu'avec d'autres étudiants je débarquais un soir de l'été 1934 au Cotton Club, vous savez ce club de Harlem fondé par un gangster où seuls les blancs sont admis
mais dont le spectacle est entièrement réalisé par des noirs. La ségrégation raciale n'est pas morte. C'est dans ce
club que je l'ai vu pour la première fois la resplendissante Lena Horne. (1mn)

Summertime (2'57) Lena Horne n° 2

Depuis je ne puis l'oublier. Elle hante mes rêves d'amour les plus fous jour et nuit. Et chaque soir je vais l'admirer au Cotton Club. J'aimerais lui parler. Lui dire combien son sourire m'a touché au cœur. Comment son regard m'a transpercer. Chaque soir j'y suis résolu. Après sa dernière chanson je me lève et me dirige tout d'abord d'un pas décidé vers les loges. Le monde extérieur disparaît. La musique du spectacle qui continue semble assourdi, lointaine comme venant d'un autre monde. Mais plus je m'avance vers l'objet de tous mes désirs plus ma volonté vacille. Mes jambes se font lourdes. Chaque pas devient un exploit. Mon corps se met à trembler. Et je finis toujours par refluer vers la salle avant d'avoir atteint les coulisses. Je la traverse désespéré, sans un regard ni pour le spectacle ni pour mes contemporains. Je rentre chez moi, en me promettant que demain, oui demain, j'oserai lui parler. (1mn)

Night and Day (2'41) Lena Horne n°10

Dans ma chambre à Manhattan, je passe jusqu'à épuisement sur mon vieux phonographe-valise Edison tous les standarts que Lena enregistrera dans quelques années lorsqu'elle sera l'égale de Billie, Ella ou Sarah : Stormy Weather, Summertime, Moon River, More Than You Know, One For Baby, The Man I Love, From This Moment On, Night and Day, The Lady Is A Tramp, Honeysuckle Rose... Puis le sommeil m'entraîne dans des rêves agités, des moments de folie dans ses bras, noyé dans son regard, ivre de ses baisés.
Ce n'est que la lumière de midi qui m'arrache à ses bras. Hagard et essoufflé par cette nuit d'amour si cruellement interrompu, je me lève et me rend dans un petit cinéma qui s'est fait une spécialité de projeter tous les films dans lesquels Lena jouera... jouera ?! Stormy Weather, Ziegfeld Follies, Two Girls and a Sailor, Cabin in the Sky, ou encore Death of a Gunfighter. (1mn)

The Man I Love (3'16) Lena Horne n°6

Si je vous raconte tout cela, c'est que ce soir je n'ai plus le choix... je dois lui dire que je l'aime. J'ai appris que Lena allait quitter le Cotton Club. Elle rejoint l'orchestre de Noble Sissle qui à l'habitude des longues tournées, même en Europe. Non, je ne peux pas la laisser partir sans lui avoir déclarer ma flamme. Elle ne dois pas partir... je la suivrais jusqu'au bout du monde.
Pour le moment, elle est là en face de moi chantant la dernière chanson de son récital. Dans la lumière des spotlights elle est radieuse. Et je vois pour la première fois le regard concupiscent des hommes blancs autour de moi. Ces mêmes hommes qui refuseraient qu'une noire s'assoit à côté d'eux dans un bus ou qui iraient volontiers lyncher un pauvre noir juste parce qu'il est noir et parce que cela fait un exemple. Ils la violent, elle qui n'a jamais connu que l'humiliation d'être noir dans ce pays raciste. Est-ce pour cela que dans quelques années elle militera, comme sa grand-mère l'avez fait avant elle, pour les droits civiques et l'égalité des droits. Est-ce pour cela que ses hommes qui pensaient pouvoir la faire pliez à leur exigence de blancs qui ne savent pas que l'esclavage est aboli lui feront payer son talent et son engagement en l'isolant à Hollywood, puis en la dénonçant à la commission Mc Carty qui pourchassera les communistes. Leurs regards la salissent et me blessent. C'est plus que je ne puis en supporter. (1mn30)

Ill Wind (2'30) Lena Horne n°7

Je finis d'une traite mon bourbon, me lève et me dirige d'un pas décidé vers les coulisses. J'aperçois un gaillard en costume trop petit pour lui qui interdit le passage. Je m'approche et lui dit : "Melle Horne m'attend, puis-je passer". Ses yeux étrangement vide pour un être-humain me fixent quelques seconde, certainement le temps que ma phrase soit décodée, puis me répond avec l'accent irlandais : "personne entre dans les coulisses ! je vous prie de retourner à votre place". Prenant un air supérieur et sûr de moi, je réitère ma demande : "je crois que vous n'avez pas bien compris. Je suis M. Clyde Johnson, de la Clyde Johnson Company, et Melle Horne m'attend dans sa loge", étonné moi-même de l'assurance avec laquelle je puis mentir. Son regard me toise à nouveau avant de m'assener : "j'ai des consignes, personne entre dans les coulisses, et je vais vous demander de retourner dans la salle sans faire de scandale, sinon je me verrais dans l'obligation de vous sortir." Je prend conscience que les négociations sont impossibles. Je fais semblant d'obtempérer et avant qu'il n'est pu réagir, je lui assène un coup de genou à l'entre-jambe. Il s'écroule à terre dans un cri étouffé par la douleur et par le spectacle : "ooooh!"
Je l'enjambe et entre dans les coulisses. (1mn30)

One For My Baby (3'18) Lena Horne n°5

Je me dirige au hasard dans ce lieu inconnu que j'ai tant de fois imaginé. Des artistes et des techniciens passent autour de moi sans me prêter la moindre attention. J'interpelle un vieil homme à la peau fripé comme un vieux parchemin et lui demande la direction des loges. Son geste désinvolte m'indique un escalier. Je descend. Et me retrouve face à sa loge. Mes mains sont moites (mes pieds sont poites), je me les essuie avec mon mouchoir et frappe à sa porte. Une douce voix m'enjoint d'entrer. Je m'aperçois que je n'ai même pas un bouquet de fleurs à lui offrir ! Je décide d'entrer quand même, je clenche la porte, je fais un pas un l'intérieur. Elle est là dans un peignoir noir. Elle me regarde. Elle n'a pas l'air étonnée. "et bien, cela fait longtemps que je vous attendais. Je vous est remarquez, savez-vous. Cela fait deux mois que vous venez chaque soir..." Mon cœur bat la chamade, sa voix résonne comme le chœurs des anges. Je n'ose y croire, elle m'a remarquer, elle me demande d'entrer et de fermer la porte... et c'est à ce moment précis que j'entend un "rhaaaaaaaaaaaaaaaa !" derrière moi. Je me retourne juste à temps pour voir le poing du videur s'abattre sur mon visage. Je tombe à la renverse, le monde devient flou, les mots n'ont plus de sens... et je sombre dans l'inconscience après avoir vu une dernière fois le visage attristé de Lena.
Et chaque fois c'est ainsi que ce termine mon rêve, depuis 2 mois que j'ai découvert Lena Horne (1mn30)

The Lady Is A Tramp (3'03) Lena Horne n°11