Episode 8 - L'arrestation
Aretha
Franklin - Respect ( albumI Never Loved a Man the Way I Love You)
(compil perso soul 2 plage 10) 2'24"
Les émeutiers étaient calmés. Les meneurs soit
arrêtés soit en planque dans les marais. La Garde nationale
avait laissé place aux renforts de flics venus de Mobile ou
de Montgomery. Ils avaient pris complètement possession de
la ville et patrouillaient sans cesse avec leurs chiens dont les muselières
avaient été retiré préventivement. Toute
la ville, surtout Blackmud, conservait l'odeur âcre des lacrymos
qui prenait encore à la gorge et qui faisait pleurer les plus
sensible. Les crises d'asthmes se comptaient par dizaine. Doc Harvest
s'affairait toujours d'un bout à l'autre de la ville. Son teint
gris et ses traits tirés trahissaient sa fatigue et son moral
particulièrement bas. Les blancs paradaient fièrement
aux frontières de leurs territoires !
Vae Victis avait dit naguère
Jules César. Le conseil occulte qui dirigeait la ville, dont
la force de frappe était les Chevaliers du KKK, et avec à
sa tête un triumvirat plénipotentiaire préparait
dans le plus grand secret le coup de grâce. Je ne me doutais
de rien. Mais je fus le premier à être informé
de leur plan, bien qu'à ce moment là je ne savais encore
rien de la portée de ce qui se machinait en coulisse, et quelles
forces obscures tiraient les ficelles de ce coup monté visant
à me descendre.
Le lendemain de la nuit
d'émeute, alors que je discutais une nouvelle fois avec Pierre
de la nécessité des révoltes, j'entendis les
sirènes hurlantes de la police. Je n'y prêtais guère
d'attention car depuis 2 jours ce bruit horripilant était devenu
coutumier. Pierre qui était dans un long monologue lyrique
dont seul lui a le secret ne l'entendit pas. Pourtant le bruit des
sirènes se rapprochait toujours plus. Les véhicules
de police étaient dans ma rue maintenant. Pierre fronça
les sourcilles ; unique réaction face à cette odieuse
tentative policière d'interrompre la voix de la révolution
prolétarienne ! Dans un concert de sirènes et de crissements
de freins trois véhicule de police s'arrêtèrent
devant la Clinique. Ils projetaient à l'intérieur de
mon école les lueurs bleues et rouge de leur gyrophare. Pierre
s'arrêta enfin sa tirade par un : "ah non ! c'est trop
fort !" en se retournant vers la porte, qui venait de s'ouvrir
brutalement, laissant entrer plusieurs policier en uniforme et le
shérif de Whiteville et son adjoint, tous les deux en uniforme
brun clair. Trois bleus se jetèrent sur moi, me faisant basculer
à terre, pendant que trois autres plaquaient Pierre contre
le mur qui vociférait des menaces et de jurons en français
que seul lui pouvait comprendre. L'un des flics me passa des menottes.
Je pouvais entendre néanmoins le shérif me rappeler
mes droits sur un ton sarcastique, laissant présager que tout
cela n'était que pur forme pour un nègre tel que moi.
Blues
Brothers - Peter Gunn theme (soundtrack du film les blues brothers
plage 1) 3'45"
Finalement je fus soulevé de sol et tiré vers l'extérieur
du magasin. Dehors plusieurs personnes s'étaient rassemblées.
Je fus installé brutalement dans l'un des véhicules.
Et toujours toutes sirènes hurlantes, ils repartirent avec
moi à leur bord. Je fus emmené aux geôles du shérif.
J'observais un strict silence, car je savais que tout ce que je dirais
pourrait être retenu contre moi et le serait effectivement avec
la plus grande rigueur judiciaire. Je ne demandais même pas
les raisons de mon arrestation de peur que cela soit pris comme un
aveu par ces crétins racistes et nuisibles.
Lorsque je fus projeté
sur la chaise devant le bureau du shérif, il reprit enfin la
parole : "Alors, t'as pas l'air surpris par ton arrestation...
tu dis rien... tu hurles pas comme un goret, comme tes semblables,
lorsque pris la mains dans le sac, ils crient à l'injustice
! C'est y pas un aveu ça, Spencer ?" Son andouille d'adjoint
à ses côtés ponctuait les dires de son patron
par un "yep , chef !" et merde, pensais-je en moi même...
j'aurais peut-être mieux fait de l'ouvrir. Il continua : "Alors
comme ça, ça n'fait pas 3 mois qu'on est ici et on fomente
un complot contre la communauté de Whiteville ? " Il s'interrompit
à la recherche d'une réaction de ma part, qui ne vint
pas. Je conservais le même système de défense
: le mutisme. "Bah dis, v'là t'y pas que le beau parleur
est dev'nu muet ! t'as vu ça Spencer ?". "Yep, chef
!". "Avant qu't'arrive, Whiteville était une ville
paisible. Les nèg's, i' savaient s'tenir. I' savaient qu'elle
était leur place et i' bronchaient pas. Quand l'un d'eux s'prenait
un coup sur les doigts i'répondaient : "me'ci monsieu"
en bon nèg' qui sait qui il est ! Mais t'es arrivé et
en moins d'temps qu'i' faut pour l'dire, tu leur a mis des idées
de grandeur dans l'cabochon. I' disent pu "me'ci monsieu"
et i' pensent qu'i'z'ont des droits ! Pas vrai Spencer ?". "Yep,
chef !". "Mais moi j'ai été chargé
de maint'nir l'ord'. T'sais c'que ça veut dire toi l'ord ?
T'es un nèg' cultivé ?! Bah j'va t'l'dire moi c'qu'est
l'ord' ! c'est quand l'blanc est blanc et l'nèg' est nèg
! c'est pas compliqué à comprendre ça pourtant,
même pour un nèg', pas vrai Spencer ? ". "Yep,
chef !" . "Alors, j'me suis dit comme ça : faut crevé
l'abcès ! et l'abcès c'est toi, mon gars ! Donc : police-menottes-prison
du comté! v'là s'qui t'attend. C'est'y pas un beau programme
pour un nèg' cultivé, Spencer ?". Spencer, c'était
déplacer pour aller chercher un verre d'eau. De l'autre côté
des geôles, on l'entendit dire : "yep, chef ! ". "Pour
l'instant tu vas passer une nuit au frais de la princesse : logé,
nourri, blanchi !". Finit-il pas dire en partant dans un grand
éclat de rire entremêlé de "oh p'tain où
j'vais les chercher moi.... blanchi ! ".
Blues
Brothers - She Caught The Katy (soundtrack du film les blues brothers
plage 1) 4'10"
Je fus littéralement
balancer dans une cellule. Je m'y installais le plus confortablement
possible, et décidais d'attendre demain pour réfléchir
à la situation. Peu de temps après j'entendis le mauvais
accent de Pierre. Il demandait au shérif les raisons de mon
arrestation. Ce dernier ne répondit pas immédiatement.
Puis s'adressant à son adjoint : "qui'qu'c'est qu'celui
là encore, Spencer ? d'où qui vient ?". Ce à
quoi Spencer répondit par un "ch'ais pas, chef !".
Pierre leur expliqua qu'il était journaliste français,
pour un magasine musical, et qu'il effectuait un reportage sur moi
- j'étais soit-disant célèbre en Europe - et
qu'il ne comprenait pas les raisons de mon arrestation. Le shérif
O'Brian l'interrompit : "t'as pas vu l'merdier qui nous a mis
?". Pierre lui affirma que je n'y étais pour rien, puisqu'il
avait passé ces derniers jours avec moi. Le shérif haussa
le ton : "Ben merde alors ! V'là t'y pas qu'on est pu
chez nous ?! C'est pu une ville ici, c'est un moulin ! n'importe qui
y entre comme i' veut ?! Un nèg' qui vient d'on sais où
venu foutre le merdier ici, pis maintenant un fouille-merde de froggies
m'expliquant comment j'dois faire mon boulot ! Spencer, fout ce monsieur
dehors !". "pas d'problème, chef !".
Le calme revint lorsque Pierre fut éjecté des geôles.
La journée se passa dans le calme du silence de ma cellule.
Je m'endormis plusieurs fois pour me réveiller en sursaut.
Je cauchemardais. Dans mon rêve, toujours le même, je
voyais trois homme portant la capuche du KKK - l'un habillé
tout de blanc, l'autre tout de noir, le troisième tout de brun
- en train d'allumer une croix sur laquelle j'étais crucifié.
Derrière eux, je ressentais la présence d'une ombre
qui me dardais de son regard haineux...