Episode 7 - Vivre
Debout !
Janis
Joplin - Summertime (Compil personnelle plage 1) 4'01"
Etonnante arrivée que celle
de ce Français communiste venue apprendre la culture américaine
peu de temps après le meurtre de membres de la communauté
noire dans cette ville d'Alabama en cette fin d'été
orageuse. Il logeait gratuitement au premier étage de la Clinique
de la Musique Noire. J'apprenais à le connaître rapidement
: passionné et désespéré. C'est ainsi
qu'il était. On sentait en lui une blessure profonde. Cette
blessure n'était pas uniquement du aux coups que la vie lui
avait personnellement infligée. Non, elle résultait
tout autant de la déchirure du monde. Pour s'en protéger,
il s'était construit une carapace d'humour le plus noir possible.
Un blanc à l'humour noir parmi les afro-américains...
c'est pas banal disait-il à ce propos.
Je lui avais fait rencontrer rapidement
les membres éminents de ma communauté afin qu'il ne
soit pas ennuyé. D'ailleurs, il savait se faire apprécier,
et fut très rapidement intégré. Pour les afro-américains,
c'est rare un blancs qui se comporte avec nous sans donner l'impression
de voir notre couleur. Même les blancs américains les
plus progressistes déterminent leurs comportements d'après
la couleur - un sentiment de culpabilité envers nous !
Le docteur Harvest et Caroline
l'avait rencontré. Harvest l'avait aimé immédiatement
: leurs humours étaient identiques, bien qu'ils ne plante pas
leurs racines dans le même terreau : passion pour l'un, aigreur
blasée pour l'autre. Leur âge était différent.
Cela explique peut-être cela. Peut-être en regardant Doc
Harvest pouvais-je voir Pierre - le Français - dans quelques
années.
Quant à Caroline, elle voyait
là le premier non-américain de son histoire. Pour elle,
qui n'était jamais sorti de sa petite ville provinciale - peut-on
parler de province aux USA qui ne sont qu'une juxtaposition de provinces
- c'était comme une fenêtre ouverte sur le vaste monde.
Elle touchait enfin du doigt le fait que le monde ne ressemblait pas
aux States ; qu'il y a autant de façon de voir, comprendre,
aimer, agir le monde qu'il y a de cultures.
Janis
Joplin - Ball and Chain - Live au Winterland -
Cette arrivée n'avait absolument
pas apaiser les tensions, et blancs et noirs se regardait en chien
de faïence (si j'ose dire). Et si le calme régnait ce
n'était du qu'au fait que les deux communautés ne se
rencontraient plus, sauf à de très rares exceptions.
Ce silence, troublé que par les notes sortant de la Clinique,
appelais le bruit, et la stase l'action, comme le vide appelle l'air.
Chaque communauté intériorisait les nouvelles données
en se recroquevillant sur elle-même avant l'explosion.
Ce furent de jeunes afro-américains
qui déclenchèrent la réaction en chaîne.
Cela faisait quelques jours qu'ils se réunissaient secrètement
afin de préparer leur action. Une nuit, ils allèrent
mettre le feu aux commerces du centre ville. Le shérif se trouva
bien isolé devant cette action de guérilla. Il utilisa
évidemment son arme mais sans succès. Dès le
lendemain, il faisait appelle à la garde nationale, qui arriva
le surlendemain, après que d'autres incendies fussent allumés
et que des affrontements violents opposent les milices d'autodéfenses
et jeunes émeutiers.
Il y avait déjà des
blessés de part et d'autres. Doc Harvest ne chômait pas
d'un côté et de l'autre de la ligne de front. Pendant
qu'il professait au chevet des blessés, il inondait l'auditoire
inquiet d'un flot ininterrompu de blagues aigres et amères,
laissant entrevoir par là qu'il était atteint lui-même
par les événements et par les attaques contre lui dont
il faisait l'objet dans les deux communautés. Finalement, il
pouvait être encore blessé par la vie, et plus les événements
s'amplifiaient, plus le whisky lui servait d'anesthésiant émotionnel.
La garde nationale pris vite position
dans les quartiers blancs, y apportant un paix précaires, et
déporta les affrontements d'abord aux limites de Blackmud,
puis de plus en plus profondément dans notre quartier. Il semblait
qu'ils ne voulaient pas s'arrêter avant d'avoir "pacifier"
complètement la place. Ils n'avaient pas mégoté
sur les moyens, et notre quartier était enfoui sous un nuage
de gaz asphyxiants. Les chiens policiers attaquaient tout ce qui passait
à leur portée : femmes, vieillards, enfants. A cela,
les jeunes blacks répondaient par des des jets de pierres et
de cocktails molotov improvisés. Parfois des corps à
corps avaient lieu, finissant inévitablement par l'arrestation
du jeune noir.
Personnellement je ne participais
pas directement aux affrontements, malgré certains désir
refouler depuis ma jeunesse qui me taraudait l'esprit, les jambes
et les bras. En revanche, à chaque fois que je le pouvais,
ma clinique servait de refuge à des jeunes en difficulté.
Pierre, lui allait prendre des photos , des affrontements. Il ne participait
pas non plus directement aux affrontements, mais l'air de rien, il
donnait des informations aux jeunes combattants sur les mouvements
des gardes nationaux ainsi que des conseils avisés en tactique.
J'essayais de lui expliquer mon
point de vue sur l'inutilité de telles actions. Au lendemain
des émeutes, tout recommencerait comme avant, mais de nombreux
blessés et arrestation aura endeuiller notre communauté.
Rien ne changerait. Il me répétait à chaque fois,
qu'il me comprenait, et m'approuvait, sachant bien que seul la mobilisation
de masse aurait un véritable impact sur la société,
mais que d'un autre côté, l'autodéfense était
un droit que les jeunes était en train d'exercer dont il pourrait
ressortir plus tard des fruits inatenndus et qu'il fallait mieux mourir
debout que vivre à genou. Personnellement, répondis-je,
je préfère vivre debout que mourir à genou, me
semble-t-il. Je n'étais pas bien sûr moi-même du
sens qu'il fallait donner à cette sentence.
Les combats durèrent toutes
la journée et la nuit d'après. Rue après rue,
assaut après contre-assaut, comme la mer se retire, les jeunes
noires perdaient du terrain. Leurs désorganisations et leur
manque de moyens induisaient nécessairement cette défaite,
malgré leur plus grand nombre et l'exaltation qui les animaient
tous. Ceci fit dire à Pierre qu'une fois encore qu'il manquait
un parti qui représente les intérêts de tous les
opprimés !
Finalement le calme revint au petit
matin. Les leaders parmi les jeunes afro-américains, ne rentrèrent
pas chez eux, de peur d'être arrêter en étant isolés,
mais allèrent se réfugier dans les marais. L'odeur de
fumée et de gaz imprégnaient tout. Même la nourriture
avait un goût désagréable.
Et après ? Et bien après
la vie sembla continuer en apparence telle qu'elle était avant
les meurtres, avec des rancunes neuves entre les deux communautés.
Mais même si ce sentiment était en adéquation
avec ce nous pouvions tous voir ici à Whiteville, il n'était
que le reflet que de ce la réalité nous donnait à
connaître - l'apparence - car ailleurs, partout ailleurs, au
plus profond de l'être un mouvement d'ampleur, tel que celui
que nous avions connu ici, était à l'uvre et il
changerait un jour la face du monde. Du moins c'est ce dont voulait
m'assurer Pierre.