Episode 6 - Le Frenchy
Miles
Davis : Générique (BO Ascenseur pour l'échafaud
de Louis Malle 1957) [The Essential Miles Davis disque n° 1 Plage
9] 2'45"
Les funérailles se divisent
en deux temps tant temporel et spatial que émotionnel. Lors
de l'office religieux, le défunt est encore parmi nous. Ca
présence est réel et l'on peut s'y raccrocher pour se
donner l'illusion qu'il vit comme auparavant, comme toujours. Il est
seulement là, allongé, immobile, au milieu. Le temps
de l'inhumation est différent car lorsque le cercueil est mis
en terre, que les première poignées de terre sont lancées
avec les fleurs et que finalement l'on doit partir, alors l'on prend
conscience réellement du changement : de la solitude et du
manque. Il est temps de dire adieu et de commencer son deuil.
Je quittais les membres de la famille de Malcom peu après l'inhumation
; je ne suis pas avide des réunions de famille qui suivent
les funérailles, où les proches sont invités
ainsi que les proches des proches et où viennent tous ceux
qui pensent être concernés à la fois compatissants
et vaguement détachés. Je n'avais pas envi de me sentir
obliger de regarder avec les hommes réunis ensemble le dernier
match de base-ball en tenant des propos anodins sur le dernier home
run de Jackie Robinson, pendant que les femmes dans une autre pièce
tiendrait une tout autre conversation tout aussi anodine. Je présentais
une nouvelle fois mes condoléances, et je m'en allais non sans
être allé voir Caroline, qui s'enquit de savoir si je
voulais qu'elle m'accompagne. J'étais déchiré
entre le souhait d'être seul afin de réfléchir
à tous ce qui se passaient autour de moi et en moi et être
avec elle, près d'elle. Après quelques secondes d'hésitations,
je lui affirmais que je voulais être seul, puis m'en allais.
Je marchais quelques pas sentant son regard qui me fixait. Je fis
volte-face.
"tu sais que ce que tu as fait ne sera pas sans conséquence
sur ta vie... je veux dire ce que tu as fait aujourd'hui au temple".
"je sais, et c'est pour cela que je ne t'en ai pas parlé.
Tu aurais essayé au nom de ta sempiternelle raison et de ton
paternalisme de m'en dissuader".
"c'est bien si tu en es consciente... mais j'espère seulement
que tu sauras en supporter les conséquences et les déchirements.
Je t'aiderais du mieux que je le pourrais".
"Je sais..."
Duke
Ellington et John Coltrane : In a sentimental mood (Duke Ellington
& John Coltrane 1962 ) [compil Duke Ellington plage 1] 4'12"
Je m'éloignais alors qu'elle
rentrait dans la maison. Pour ma part j'allais à la Clinique.
Je pris mon sax et je passais quelques minutes à le regarder
avant de le mettre en bouche pour le faire pleurer aussi longtemps
que je pourrais. Il m'arrivait souvent de jouer afin de trouver des
réponses : la musique porte conseil autant que le nuit. Je
doutais de moi une nouvelle fois. Depuis que j'étais arrivé
les tensions raciales s'étaient réveillées amenant
la mort d'une personne. Etais-je responsable ? Devais-je continuer
sur cette voie pavé contre ma volonté de violence ,
alors que j'avais toujours rêvé qu'un jour prochain,
dans les plaines d'Alabama, les fils et les filles des esclaves et
les fils et les filles des esclavagistes puissent tous se réunir
ensemble autour de la table de la fraternité ? J'avais appris
bien sûr à l'école des black panthers, en un autre
lieu, en un autre temps, me semblait-il maintenant, que parfois la
violence était nécessaire. Bien sûr... mais maintenant
j'y étais confronté et je n'aimais pas cela. Je n'aimais
pas voir couler les larmes amères sur les joues noirs d'une
mère ayant perdu ses enfants. Et comment gérer mes sentiments
pour une adolescente de la communauté blanche, sur laquelle,
je le sentais, j'avais un ascendant. Je souhaitais tellement me laisser
aller à l'aimer. De toute manière, toutes mes protections
tombaient les unes après les autres.
J'en était là dans
mes réflexions, lorsque la porte de la porte de l'entrée
s'ouvrit sur un homme que je voyais découpé en noir
dans la luminosité de la rue. Il fit un pas à l'intérieur
et je pu le découvrir : blanc de taille moyenne, brun au yeux
clairs, jean's, un t-shirt blanc sous une veste en jean, chaussures
de marches usés. Il cligna des yeux, il ne semblait pas bien
voir ce qu'il y avait dans la pièce, ses yeux ne s'étant
pas accommodés à l'obscurité ambiante. Avec un
accent à coupé au couteau, que je reconnu immédiatement
pour être français - j'avais côtoyé plusieurs
français à Chicago.
Miles
Davis : Summertime (Porgy and Bess de Gerschwin 1958) [Essential Miles
Davis disque n°1 plage 10) 3'17"
il dit au hasard :
"bonjour, désolé si je vous est dérangé
pendant votre répétition, je vous est entendu depuis
la rue, alors comme je ne rencontrais pas âme qui vive je me
suis dit...."
je ne le laissais pas finir
"Vous ne me dérangez pas. Vous êtes étranger,
n'est-ce pas ? Français ? Vous vous êtes perdu ? Vous
êtes à blackmud ici et..."
"Je suis effectivement français, mais je ne suis pas perdu.
Pour être perdu, il faut avoir un but. Moi, je n'en ai pas.
Je visite".
"C'est rare qu'un blanc vienne par ici" avançais-je
alors, "surtout en ce moment, c'est même dangereux pour
vous. C'est pour cela que je dis cela".
"Dangereux ? voyez-vous ça ? Pourquoi ?"
"En ce moment, voyez-vous, les blancs, surtout ceux que l'on
ne connaît pas, sont pas spécialement les bienvenus depuis
que l'un d'entre vous à tuer deux d'entre nous. Le jour des
funérailles, votre présence pourrait être prise
pour une provocation, et vous pourriez recevoir un mauvais coup avant
même de pouvoir vous expliquer".
"Ah ! c'est donc cela", dit-il, puis plus bas, comme s'il
parlait d'avantage à lui-même : "il faudra bien
qu'un jour vous arrêtiez vos enfantillages", puis de nouveau
s'adressant à moi : " J'ai lu sur votre devanture "Clinique
de la musique noire", cela m'a intrigué. Vous réparez
les instruments de musique ?"
"Non, j'apprend aux gosses d'ici leur patrimoine musicale".
"Voilà bien une noble tache, s'il en est".
"Que venez-vous faire aux States ?", lui demandais-je alors,
"surtout en Alabama ?"
"Je viens apprendre", me répondit-il comme si c'était
une évidence.
"Apprendre ?" soufflais-je,
étonné. "C'est étonnant, le peu que je connaisse
des Français, ne m'avait pas inciter à penser qu'ils
puissent imaginer venir apprendre quoi que ce soit des américains"
"Je sais, les Français avec leur suprême sentiment
de supériorité. Je ne sais pas pourquoi, moi je me sens
irrésistiblement attiré par cette terre qui par ailleurs
et par certains aspects me révulsent. Mais j'avais envi de
m'imprégner de votre culture" et une nouvelle fois plus
bas "il faut toujours connaître ses ennemis"
"Ennemis ?"
"Quoi ennemis ?"
"Vous avez dis : il faut toujours connaître ses ennemis"
"J'ai dit cela ? c'est possible. Je voulais dire que j'ai un
autre idéal pour l'humanité que celui que les américains...
je veux dire les dirigeants imposent au monde"
"Ah ! Vous êtes communiste ?"
"Oui, mais pas celui que l'URSS connaît actuellement !"
avoua-t-il pour ce défendre. Il me semblait alors qu'il avait
déjà dit maintes fois cette phrase et qu'elle était
maintenant rodée.
"C'est le seul que je connaisse, désolé, mais cela
ne m'incite pas à vous rejoindre. J'y ai cru plus jeune, lorsque
j'étais aux black panthers, mais..."
"Au quoi ?" demanda-t-il. "je pensais connaître
toutes les organisations du combat afro-américain et toutes
les organisations communistes américaines pourtant".
"Les black panthers, c'est une organisation fondé durant
les années... par... c'est étrange je m'en souviens
plus." Je changeais de sujets, un peu perturbé par cet
oubli. "Et que venez vous apprendre de nous... ou sur nous ?"
"Tout ce que je peux. J'essaye d'être un éponge
et de tout absorbé. Mais je dois avouer que j'aime particulièrement
votre littérature, votre cinéma et votre musique"
"C'est étrange vous parlez de nous comme si il y avait
une unité ?"
"Oui, c'est vrai, je devrais dire vos littératures, vos
cinémas et vos musiques. Et puis", renchérit-il
en souriant, "vous savez, votre culture n'est malheureusement
pas vraiment apprécié dans mon milieu, alors il faut
bien que quelqu'un la connaisse pour s'en rappeler après la
révolution. Alors je me suis assigné cette tache".
"Trop aimable".
Il changea soudain de sujet.
"Savez-vous où je pourrais dormir ?"
Après quelques secondes de réflexion je repris la parole.
"A vrai dire je sais pas. J'aimerais pas vous conseiller d'aller
dormir dans les quartiers blancs. L'accueil n'y est pas des plus chaleureux
envers les étrangers, même blanc de peau; les gens par
ici sont suspicieux et ils ont nommé le plus vigilant d'entre
eux au poste de shérif. Mais actuellement venir dans le quartier
noir pour vous n'est pas une bonne solution. Au mieux vous trouverez
les portes closes..." Je dis soudain que ce type là me
plaisait bien alors je lui proposais "mais attendez, si vous
ne désirez pas le grand luxe, au second étages de la
Clinique se trouve une pièce inoccupé avec l'eau courante.
Vous pouvez vous y installer si vous le souhaitez. Nous feront plus
ample connaissance ainsi. Et je vous présenterez à mes
amis et élèves... ainsi peut-être pourrez-vous
vous intégrer parmi nous. Nous recelons bien des surprises
! En attendant de vous installer, voulez-vous un café ?"
"Oui, uniquement si c'est moi qui le prépare..."