Episode 4 : La course de Malcom

 

Alison Krauss & the Union Station - The Boy Who Woudn't Hoe Corn (New Favorite n° 2 - 4'40")

Quelques semaines s'étaient passées depuis mon arrivée à Whiteville. J'appréciait mes élèves et mes rares nouveaux amis. Caroline, la fille de Will Grant, m'aidait à gérer l'école de musique. Les tensions étaient apparemment retombées. Et je ne regrettais pas d'être venu ici apporter la culture afro-américaine dans cette contrée de l'Amérique profonde. Ma vigilance s'était relâchée et j'aurais du savoir que le feu couvait sous les cendres, et qu'il n'attendait qu'une étincelle pour se rallumer.
Les orages de cette fin d'été durent réveiller les passions et les haines. Le frère de Malcom, Lester, avait une petite ferme à l'écart de la ville... comme beaucoup de fermes, il est vrai. Quelques hectares de maïs, un potager, quelques bêtes. Rien de bien prospère, mais cela suffisait à nourrir sa famille : sa femme Jenny et ses trois enfants. Cela lui suffisait, il ne recherchait pas à avoir plus, il n'avait d'ailleurs rien recherché à part la tranquillité : qu'on lui foute la paix. Il ne s'occupait pas de politique. Mais malheureusement, la politique s'occupa de lui... et la pire qui soit !
En cette fin d'été Lester eût une altercation avec l'un de ses voisins : un différent de terrain, de pâturage, de barbelés, de fermage... une querelle de paysan. Malheureusement, l'autre parti était un blanc des plus réactionnaires. Malgré les avertissements de la communauté afro-américaine, qui lui conseilla de renoncer, il se butta. Le différent se transforma en véritable querelle. Lester se fit des ennemis.
Un soir, alors que l'atmosphère était électrique, que les nuages menaçant s'amoncelaient à l'horizon, et que nous étions rassemblés - Malcom, Huey, Bobby, David, Tommy et Geena pour répéter, nous vîmes Caroline affolée, arriver à la Clinique. Elle nous expliqua que de source sûr, les chevaliers du Ku Ku Klan allaient organiser pour ce soir une expédition punitive contre Lester. Une expédition comme au bon vieux temps, à l'époque des lynchages en règle, presque médiatique. Malcom partit comme une trombe sans un mot.

Miles Davis - Black Satin (The essential Miles Davis disque 2 n°7 - 5'15")

Nuit, ne rien voir... si peu : Eviter les trous dans ce maudit champ de blanc! Courir, encore courir... encore un peu, malgré mes poumons qui me brûlent ! Le sang frappe mes veines ; mon crâne va exploser ! Je n'entend plus rien des bruits de la nuit, hormis mon souffle court et les cognements dans mes tympans. Après le champ... le pont. Oh, mon dieu ! Arriver avant cette maudite foule !Avant les chevaliers du Ku Kux Klan. Prévenir Lester qu'ils arrivent... il doit partir... se cacher, lui et Jenny...les enfants. Non ! que vont-ils faire aux enfants !
Des phares dans la nuits... une voiture arrêtée sur le pont. Ce sont des flics... c'est la voiture du shérif ! Qu'est-ce qu'il fout là, alors qu'un crime va être commis ? Il est dans le coup comme toutes ces ordures de racistes. Après le pont... la colline... puis j'y serais ! Ils pourront partir... s'enfuir de ce maudit Alabama !
Courir... encore... tenir pour lui... pour eux, ma famille ! Une odeur... qu'est-ce ? oh non d'odeur du feu, de la fumée... l'odeur du lynchage ! lever les yeux... une lueur dans le ciel derrière la colline... comme si un coin du ciel brûlait, que les nuages lourds de menaces s'étaient embrasés. Courir encore, malgré les mauvais présages... la crête... la passer.. derrière c'est la ferme de Lester. Oh nooooon !

Billie Holiday - Strange Fruit (The stange fruits -compil perso - n°3 - 3'02")

Ils sont là...deux corps qui se balancent au gré du vent mauvais, pendu comme d'étranges fruits au chêne de Lester. La foule est là, ce faisant prendre en photo au pied de l'arbre. Les hommes en tunique blanche portant des croix de feu et des capuchons ne sont déjà plus là. Il n'y a que la foule des badauds qui ne comprend pas l'horreur de la situation. Mais qui sont-ils ? Pire de que des chiens ! Descendre lentement la pente qui me sépare d'eux. Mon souffle s'allonge, le temps paraît se ralentir et à chaque pas le sol semble se dérober. Il n'y plus d'espoir. Le monde est irréel et les fruits étranges se balancent au gré du vent. Ramasser un bâton dans la nuit et continuer d'avancer vers la foule. Entrer dans ce halo de lumière du feu qui ravage la ferme de mon frère. Les visages maintenant inconnus de porcs blancs s'écartent devant mon avancée lente. Ils sont comme des fantômes blafards et évanescent. Avancer et la foule s'écarte. Les rires, les cris se sont tus ; un silence de mort règne désormais ici perturbé uniquement par le crépitement du feu, le grondement du tonnerre à l'horizon et le lointain ululement d'une chouette qui se fout du drame qui vient de se produire. Avancer encore pour arriver au pied de l'arbre. Poser mon bâton contre le tronc. Grimper à l'arbre et détacher les corps inertes qui s'écroulent comme des pantins désarticulés. Redescendre alors qu'une sirène lointaine retenti ; elle s'approche. Déjà les porcs reprennent leurs véhicules et la sirène hurle dans la nuit, ses phares m'éblouissent. Je me tourne vers la maison en flamme, mes neveux ? Où sont mes neveux ? la sirène hurle, des portières sont ouvertes et claquer. Un homme hurle des ordres. Un visage connu, celui de Bo, le copain de Caroline, il est sarcastique. Et sans réfléchir... il doit payer... mon corps se tend et mon bras armé décrit une large courbe, mon bâton vient percuter son crâne. Il s'écroule à mes pieds. Soudain une douleur... quelqu'un ma frapper par derrière, mes jambes ne me portent plus, ma vision se brouille, je n'entend qu'un grondement intérieur... et puis plus rien.