Duke Ellington


Afin de continuer mon Jihad contre les intégristes du Jazz élitiste et inaudible "qui fait Pouët" - Franpi et Geneviève - qui se sont honteusement alliés la semaine dernière au sein d'un bloc pourri afin de détruire ma chronique, j'ai décidé de vous présenter aujourd'hui Edward "The Duke" Ellington. Je suis seul, et je suis musicalement démuni, à mener ce combat, mais je n'ai pas peur.

Il n'apprit son art ni dans un conservatoire ni grâce à de riches mécènes, mais tout simplement à la tête d'un orchestre de Harlem. Il suffit d'écouter sa merveilleuse musique pour comprendre qu'il fut et demeura incontestablement l'un des plus remarquables compositeurs de l'Amérique du XXème siècle. Ellington fut, en effet, l'un des plus expressifs explorateurs de la planette sonore de l'orchestre de jazz, des mélodies et des rythmes propres à cette musique. Il sut de même abolir la frontière entre beaux-arts et art populaire. Bien qu'il ait écrit ou coécrit des milliers de pièces en un demi-siècle prolifique, le Duke ne composait pas devant un piano, mais griffonait fébrilement ses grandes oeuvres dans des aéroports ou sur la banquette arrière des voitures. Certaines pièces d'Ellington comptent parmi les plus fameux standards du siècle, mais cela ne suffit pas à expliquer son génie. Il reste difficile de faire la part des choses entre son apport strictement personnel et la contribution des ses collaborateurs tels que Billy Strayhorn, Johnny Hodges et Juan Tizol. Elington a transformé la manière de composer : la vitalité et la couleur de son oeuvre montrent qu'il était un musicien d'instinct, réfléchissant vite et multipliant les solutions; il aimait improviser, tester ses idées devant ses collaborateurs, les remaniers et assimiler les suggestions jusqu'à ce qu'on ne sût plus qui avait inventé quoi. Mais sans Ellington, l'alchimiste, rien ne se serait produit.

Les pionniers de la musique de new-orleans étaient souventissus du milieux ouvriers, mais ceux d'entre euxqui développèrent le jazz orchestral venaient principalement de la petite bourgeoisie noire naissante. L'enfance du Duke fut fondée sur de sprincipes victoriens; son père était un cocher ambitieux devenu valet, sa mère, Daisy Kennedyétait une vraie lady victorienne. Elle adorait son fils, et c'est probablement d'elle que lui viennent son élocution sophistiquée, son souci de l'élégance vestimentaire ainsi que la conscience de sa propre valeur dont il a toujours fait montre et qui lui valurent son célèbre surnom. Mais le garçon ne fut pas de suite à la hauteur des espoirs que l'on fondait sur lui. Ellington se maria jeune,et eu un fils en 1919. Bon artiste commercial, il commença comme peintre-lettreur, mais préférait l'ambiance des peintres et des clubs et des dancings. Bien que limitait au piano, il était capable de tenir sa partie dans les ragtimes et les airs de danse, et forma ainsi un groupe qui allait prendre le nom de Washingtonians. Quand il apprit que certain musiciens de danse faisaient fortune à New-York, les Washingtonians déménagèrent et connurent rapidement le succès en profitant de la vague montante de la renaissance de Harlem. Mais l'orchestre resta sans originalité et rythmiquement conservateur, jusqu'à l'arrivée de deux jazzmen "hot": le trompettiste Jammes " Bubber" Miley, et l'impulsif saxophoniste Sidney Bechet. Ils transformèrent l'orchestre avec le tromboniste "Tricky Sam" Norton. Un engagement permanent de cinq ans au Cotton Club développa le sens conceptuel d'Ellington et sa compréhension de la couleur sonore, aidé en cela par les compositeurs semi-classiques Will Voldrey et Will Marion Cook. Durant les années au Cotton Club, de premiers standards tels que The Mooch, Rockin in Rhythm et Mood Indigo changèrent le jazz. Mais l'Ellington Orchestraprouva à maintes reprises qu'il était aussi capable de relever le défi commercial du swing dans les années 30 et excella particulièrement dans la ballade "d'atmosphère", grâce nortamment à un soliste d'exception, le plus sensible et le plus subtilement émotionnel de tous les saxophonistes, j'ai nommé : Johnny Hodges.

Dans les années 40, un âge d'or musical pour l'orchestre, Ellington réinventa radicalement le jazz. En témoignent les superbes morceaux que sont Cocerto For Cootie, Warm Valley, Harlem Air Shaft et Take Tha A Train. Il appliqua des schémas rythmiques et des changements de clefs proches de la musique classique à un matériau qui ne pouvait venir que du jazz. En outre, sa section rythmique était renforcée par un bassiste révolutionnaire : Jimmy Blanton.

Au début des années 50, l'orchestre connut une brève traversée du désert, notamment en raison du départ de Johnny Hodges. Il connu cependant un tumultueux comeback au Newport Jazz Festival de 1956, où le ténoriste Paul Gonsalves donna 27 chorus successifs d'un fameux Diminuedo And Crescendo In Blue. Renouant avec le succès, Ellington se remit à l'acriture et enregistra de nouveau. Le microsillon autorisait désormais de plus longues compositions. Such Sweet Thunder, dédié à Shakespeare, mêla de la musique classique au Jazz. Il entreprit un fameux album en duo avec John Coltrane. Duo de luxe... Qui n'aurait pas songé, à l'époque, à une collaboration entre Duke Ellington et John Coltrane? De toutes façons, Bob Thiele, producteur de génie du jazz, a eût l'idée de les présenter: et le résultat est plus que probant! En 1962, Coltrane est un des fers de lance du mouvement avant-gardiste dans le jazz, laissant une place au spontané mais aussi à la dissonance, lâchant les notes par myriades de sons sortant de son sax tenor ou de sa clarinette. Duke Ellington donne le change avec des thèmes de piano plus swing que les mélopées issues des phrasés de Coltrane, qui pousse le thème plus loin, plus profond, pour en sortir une dizaine d'autres pelle-mêle, comme sur ses compositions comme "Big Nick", trop courte pour qu'on puisse apprécier la finalité de ses envolées magistrales. Alors, Duke lance un "Stevie" étonnant de liberté, presque plus jam que studio. Les contrebasses de Jimmy Garrison pour Coltrane et de Aaron Bell pour Duke s'enchainent à merveille, accompagnant les batteries de Sam Woodyard pour Duke et de Elvin Jones pour Coltrane. La rencontre se fait lascive sur "My little brown book", plus intime sur "In a sentimental mood", et plus vrai sur la totalité. Alternance de Swing et cool jazz, quelle bonne idée de les avoir fait se rencontrer.

Enfin, vers la fin de sa vie, il s'essaya à la musique religieuse. Ellington resta actif jusqu' à plus de 70 ans, reçut d'innombrables récompenses, se produisit à la Maison Blanche et fit connaître au monde entier la culture américaine dans ce qu'elle avait de plus audacieux et de plus créatif