Et si c'était, tout simplement,
l'un des cinéastes les plus intéressants, en France
? C'est en tout cas celui qui a porté sur ses épaules
les espoirs du cinéma d'auteur français durant les années
80. Et même si son style et son inspiration semble s'être
un peu tari en rentrant dans le troisième millénaire,
"les acteurs" étant tout de même pas un grand
film (même en adorant Bertrand on ne peut pas dire cela !) ,
il reste l'un de ceux qui a su pousser le bouchon un peu plus loin
dans le cinéma d'auteur français.
En même temps, on peut dire qu'il a été a bonne
école et, ça, assez jeune. Né à l'orée
de la guerre, en 1939, il est le fils d'un des acteurs les plus prestigieux
de l'après-guerre, Bernard Blier. Surtout connu comme dialoguiste,
Bertrand est aussi un orfèvre du plan. Dans son travail de
dialoguiste, on pourra noter tout de même qu'il a eu la chance
de voir dans sa plus tendre enfance, un ami de son père à
la maison, Michel Audiard, qui l'a sans doute pas mal influencé.
En effet, les deux auteurs ont deux trois choses en commun, comme
l'art de la phrase bien sentie (reportez vous pour cela au bouquin
de Blier dans la série des "pensées") et un
certain machisme plus ou moins assumé, qui transparaît
tout de même moins chez Blier, et qui lui colle à la
peau, surtout à cause de Calmos, son troisième film.
Si l'on voulait définir le cinéma de Blier, on devrait
dire qu'il partage avec les surréalistes le goût pour
la provocation, les paraboles et les métaphores. Si on devait
le rapprocher d'un cinéaste, on pourrait dire qu'il est proche
d'un certain cinéma buñuelien, principalement dans l'utilisation
"cassée" de la progression scénaristique et
le rapport aux apartés "hors de contexte" qu'il utilise
parfois.
Pourtant, ses deux premiers films ne le portait pas vraiment à
ce genres de choses. En 1963, il réalise un documentaire, "Hitler
connais pas", filmé dans le style de la photo Harcourt,
il met en scène une dizaine de jeunes adultes de l'après-guerre,
de classes sociales différentes, qui s'exprime sur leur vie
et leurs espoirs. Derrière l'intérêt du propos,
on devine déjà un certain cynisme et une vision du monde
extrêmement négative, ainsi qu'un sens de la dérision
qui ne se démentira pas dans le reste de sa filmographie.
La vraie carrière de Blier commence cependant en 1974, avec
le célèbre "Les valseuses", chronique douce-amère
sur les paumés de la crise. On ne pourra pas revenir sur ce
film sans dire tous le talent de Patrick Dewaere, un acteur que Blier
considérait comme fétiche, et qui disparut un peu trop
tôt pour pouvoir continuer leur route ensemble. Il tentera à
faire revivre la magie avec Depardieu, mais ça ne sera jamais
pareil. Et même si c'est Depardieu qui tournera le plus de film
avec Blier, on peut dire que c'est l'image de Deweare qu'il renvoie.
Les Valseuses étaient un film visionnaire, parce qu'il montrait,
avec la crudité d'un moraliste, l'image d'une société
qui allait se bouffer toute seule par archaïsme et par ennui.
Ce sera aussi la révélation d'un bon paquet d'acteurs,
et aussi celle d'un auteur et d'un dialoguiste de talent.
La Polémique d'un Blier misogyne, naîtra de "Calmos
!", tourné en 1976, et qui présente un vision très
provo et pour tout dire très limite d'un chaud lapin (Marielle),
livré à des femmes vengeresses. Assez drôle, (et
ce n'est pas qu'un point de vue masculin) il prenait à l'époque
le contre courant d'une époque. Avouons tout de même
que ce n'est pas ce qu'il a fait de mieux, loin de là.
En 1978, "Préparez vos mouchoirs" renoue avec le
couple Depardieu/ Dewaere et une histoire assez drôle et crue
d'un surdoué dans une colonie de vacances. Carole Laure est
aussi à créditer dans ce film.
Jusqu'à l'orée des années 80, on pouvait ranger
Blier dans le registre de la comédie dramatique de murs,
assez populaire, et qui passe d'ailleurs assez régulièrement
à la télévision. Le reste de sa filmographie
n'est pas vraiment traité au même titre. Car la vraie
carrière d'auteur commence vraiment en 1979, avec "Buffet
froid". Celui qui cite dans ses références Céline
et Boris Vian, embrasse cette vision assez noire de ses congénères
avec une écriture plus pataphysique.
Dans ce premier film ou tourne
d'ailleurs son père, l'humour noire et grinçant se partage
à la poésie mortifère d'un désespéré.
Le tout compose un vrai chef-d'uvre, ou les traits d'esprits
se disputent aux scènes d'une technicité et d'une beauté
formelle assez excitante. Blier aura des pics d'inspiration, qui viendront
comme ça nous exploser à la gueule. L'un des plus beau
restera sans aucun doute "Notre Histoire", tourné
en 1984, l'un des plus beaux rôles de Delon, associé
à Nathalie Baye, et complètement à contre emploi.
Là encore on retrouve un sérieux talent pour l'écriture,
et des paraboles, des fausses pistes et des visions assez pessimistes
de l'humanité. Entre 1979 et 1984, il tournera deux films :
l'un mineur (La femme de mon pote, ou Coluche aura l'un de ses premier
rôle pas drôle) et l'autre qui sera l'un des derniers
de Dewaere, "Beau Père", un film très noir,
dont il faut voir absolument la scène introductive du monologue
de Dewaere, qui résume assez cruellement toute sa courte vie.
En 1986, Blier remporte le prix du meilleur scénario à
Cannes avec Tenue de soirée, et l'histoire assez dure d'une
relation homosexuelle. Même s'il ne s'agit pas là de
son meilleur opus, c'est une juste récompense au regard de
ce qu'il a accompli. Il est cependant assez étonnant de voir
que ce n'est pas avec les films qui marquent le mieux sa patte qu'il
a eu le plus de succès, si l'on exclue son film de 1989, "Trop
belle pour toi", son film certainement le plus proche de l'univers
de Buñuel. Pourtant film très ardu, assez complexe avec
cette histoire très déconstruite, il aura beaucoup de
succès, également à cause de sa musique, omniprésente
dans ses films depuis 1981 et Beau père, une musique le plus
souvent composé par son compagnon de toujours, le très
aérien Philippe Sarde.
Jusque là, les films de Blier n'offrent aucune forme d'espoir,
sont très noirs et n'offrent aucune ouverture vers l'amour
où même le désir. Tout y est bestial. Une vision
des choses qui va radicalement changer avec les années 90,
et une trilogie assez impressionnante et qui vaut plus d'un filmographie.
Après avoir rencontrer l'actrice Anouck Grinberg, qui deviendra
sa femme, il va tourner trois film avec elle qui va résolument
changer sa vision du monde.
Premier de celui-ci, "Merci la vie" est un concentré
d'émotion, ou les caméras sont braqués sur la
fragilité cristalline de celle qui deviendra son égérie.
Traitant plus ou moins du sujet du Sida, la forme de ce film est déroutante,
les flash-back interviennent sans prévenir, certaines scènes
sont presque burlesques comme pour dissiper le malaise de la passion
et le désespoir. "Merci la vie" est un film dont
on ne ressort pas entier. Et ce n'est qu'un début.
L'uvre absolue de Blier nous arrive dans la gueule en 1993.
Traitant de la vie en banlieue, du malaise du déracinement
et de l'amour si difficile à vivre quand on est jeune et pauvre,
c'est sans doute le plus beau film sur les banlieues qui n'est jamais
été réalisé. Complètement tourné
autour de la vie d'une petite fille jouée par Anouck Grinberg,
le film est toujours très déconstruit, fait le mélange
entre les morts et les vivants, et est sans doute l'uvre la
plus proche de l'univers de Vian depuis "Buffet froid".
Le film est dur, politique, mais c'est l'émotion qui en surgit
comme par vague, cette émotion devant la vie de tous les jours
transformée aussi directement en poésie brute. Emotion
partagé devant la partition des acteurs également, et
devant ce symbole du déracinement que représente Mastroianni.
Le dernier volet de la trilogie est tourné en 1995. "Mon
homme", l'histoire d'un prostituée par amour est un hymne
éclatant à son amour pour Anouck Grinberg.
Mais le cynisme reprend le dessus, et après sa séparation
d'avec son égérie, Blier reviendra avec sa vision cynique
du monde, et il écrira "les côtelettes " pour
le théâtre, ou le huis-clos, le temps d'un repas, entre
"un vieux con de gauche et un vieux con de droite." Une
histoire qu'il est à la date d'aujourd'hui, en train d'adapter
pour le cinéma. Histoire peut être de se réconcilier
avec l'outil, après l'échec mérité du
très médiocre "Les Acteurs".
Reste que son uvre est marquante, et a influencé bon
nombre de réalisateur, comme Dupontel, Blanc ou Gaspard Noé.
On a fait pire comme descendance.