Kevin Smith

Kevin Smith est originaire du New Jersey, ou il vit le jour dans la petite ville de Redbank, en 1971. Son enfance, comme tout bon petit américain qui se respecte, il la passera dans les Comics, les bandes dessinées de super-héros qui influenceront son oeuvre, mais aussi dans les films et les bouquins de SF, le rock and roll, la bière, et en général, tous les ferments de la contre-culture américaine.

Très vite persuadé de sa vocation, il part étudier le cinéma à l'université de Vancouver. Mais très vite, il s'aperçoit que son talent de réalisateur ne peut pas s'exprimer au milieu d'une université... Trop différent de ses condisciples, il quitte l'école assez rapidement en 1993, pour retourner vendre des cassettes vidéo et faire du dépannage, sans avoir oublié cependant de rencontrer la bonne personne, en l'occurrence Scott Mosier, qui sera son fidèle producteur au sein de View Askew.

La vente de cassettes vidéos étant visiblement la route pavée aux Etats-Unis pour devenir un réalisateur de talent (Tarantino y est passé aussi), Kevin profite de ce passage pour écrire le scénario d'un film, véritable parabole drolatique sur la religion, Dogma, qui est malheureusement trop cher pour une petite production, et que Smith gardera sous le coude pour une prochaine fois. En bon indépendant, il applique la règle du petit budget, et écrit un autre scénario, plus modeste celui-ci, mais surtout inspiré de faits réels, comme on dit, puisqu'il s'agit de sa vie de dépanneur. Ce sera Clerks, un film a tout petit budget, tourné en noir et blanc, sur le lieu même de son boulot, après la fermeture. Résultat, le film ne coûte que 27.000 dollars.

La vie n'étant parfois qu'une collection de coups de bol, le film de Smith se retrouve en compétition dans un petit festival de films amateurs… Dans le public, un directeur de Miramax, la célèbre production prétendue indépendante le remarque et achète le film. Passant alors du statut d'amateur éclairé à celui de réalisateur indépendant : Preuve, Clerks dépasse le seuil de la petite notoriété pour aller gagner des prix à Sundance et à Cannes millésime 1994. La critique est dithyrambique et le film atteint la somme de 3,1 millions de dollars au box-office américain, soit 115 fois plus que ce qu cela lui a coûté.

"Clerks" devient très vite un film culte. Pourquoi ? plusieurs raisons à cela. Le talent intrinsèque du scénario et de la réalisation, d'abord, le tout filmé sans artifice, mais avec beaucoup de maîtrise. Mais surtout, les personnages sont très attachants, les hommages à certaines scènes de la sous-culture américaine sont toujours bien placée sans être trop lourde, la fausse crudité des dialogues est très drôle… Dans tous ses films, Kevin Smith laisse un de ses personnages lancer de grands anathèmes philosophiques sur "Star Wars", par exemple. Comme dans tous les films de la sous culture, on rit en communauté des private jokes, on s'amuse des codes ou des attitudes. Clerks est pour beaucoup le symbole d'une génération, de ses galères et de ses glandeurs, admirablement illustrées par Jay and Silent Bob, joué par Jason Mewes et Kevin Smith lui même, le premier en dealer survolté et érotomane, le second en un ours silencieux et démerdard.

Fort de son succès, ayant transformé un film de potes en film culte, Kevin Smith est engagé par un gros producteur pour faire une sorte de "suite" à "Clerks", qu'il appellera "Mallrats" (les glandeurs en français) mais cette fois-ci avec beaucoup de moyens, 6 millions de dollars. Smith accepte, engage Shannen Doherty, et Ben Affleck pour tourner une sorte de Vaudeville grunge, insistant plus que dans Clerks sur les deux personnages campés par Mewes et lui, Jay et Silent Bob. Malheureusement, le studio pour lequel il travaille le censure, et celui qui n'avait connu que l'indépendance se voit obligé de refondre totalement son scénario, et de couper les quinze premières minutes du film. On s'étonne d'ailleurs de ne pas trouver le director's cut sur le DVD de "Mallrats"… Et gageons qu'il sera présent dans une prochaine édition.

Comme toujours quand le film n'appartient plus vraiment au réalisateur, c'est un échec. Il ne rencontre pas le public américain, ne dépasse pas la barre des 2,5 million de dollars et ne connaît le succès qu'en vidéo. Pourtant, le film est très plaisant, on retrouve des personnages bien campés et des dialogues vraiment excellent, en digne héritier de "Clerks"... Bizarrement, le film garde un mauvais esprit délicieux malgré la censure. Si Kevin Smith est fier de ce film, c'est avant tout parce qu'il lui aura permis de comprendre que son salut passe par l'indépendance, mais aussi parce qu'il rencontre ses deux acteurs fétiches (si on fait abstraction de Jason Mewes), Ben Affleck et Jason Lee.

"Chasing Amy", son troisième film tourné en 1997 marque un tournant plus sérieux dans la carrière de Kevin Smith. D'abord, il retourne à l'indépendance, n'est produit que par View Askew. Même s'il garde un mauvais esprit grinçant et des dialogues d'orfèvre, le film est plus grave que les précédents. Cette histoire d'illustrateur de BD qui tente de séduire sa collègue lesbienne est à la fois une joli histoire d'amour et une prise de position militante pour la différence sexuelle. "Chasing Amy" renoue également avec le circuit de "Clerks". Il multiplie les festivals et rencontre son public.

1998 marque un -petite- pause dans la carrière cinématographique de Kevin Smith : fort du succès de ses films, et la posture culte de son duo Jay et Silent Bob, il se lance dans la scénarisation de Comics ayant pour héros les deux compères, bouclant ainsi une boucle dans son univers, celui de la sous-culture américaine. Il occupe également son temps dans la production cinématographique pour le compte de View Askew. En sortiront des films comme "Will Hunting" ou "A better Place", pas terrible par ailleurs, mais qui réussirons à obtenir, là aussi, des distinctions. "Will Hunting" obtiendra même un oscar, celui du meilleur scénario.

Lorsqu'il entreprend "Dogma", à la fin de l'année 1998, soit 5 ans après son écriture réelle, Smith a mûri, avec "Chasing Amy", il a appris à traiter également des sujets moins superficiels. Il a intégré sa culture "underground" à une réflexion plus globale. Tout dans ce film est cumulé pour filer des boutons à la Ligue Catholique, au grand regret du réalisateur qui se veut très croyant, mais qui déteste, dit-il, les serviteurs de Dieu.

Le film dispose d'un affiche alléchante. Au nom habituels de Mewes, Affleck ou Jason Lee, s'ajoute Matt Damon, Alan Rickman, Chris Rock, Alanis Morissette, Linda Fiorentino… Et Salma Hayek dans un rôle magnifique de muse. Dans ce film, deux anges déchus veulent rejoindre le paradis, et vont exploiter un paradoxe religieux et philosophique pour arriver à leur fin, pour mettre Dieu à tort, et réduire l'univers à Néant. En effet, le monde s'étant bâti sur l'hypothèse que Dieu est Raison, il ne peut exister en dehors de cette vérité.

Plus qu'un film drôle, où les dialogues sont toujours aussi fins, le film est une fable philosophique sur la religion. Et sous couvert de pochade (le 13ème apôtre noir, Dieu est… "différent", Jay et Silent Bob sont les nouveaux rois mages…) le film est un vrai film d'auteur, à la portée plus importante qu'il n'y paraît. Preuve, Miramax, l'indépendante appartenant à Disney, qui produisait à l'origine s'est départit du projet pour le revendre à Lion's Gate. L'accueil dans les festivals est, mais c'est une habitude, très bon. Le film est un succès et devient, à l'instar de Clerks, un véritable film culte.

Depuis 1999, sortie de Dogma, on était sans nouvelle de Smith autrement que par son site Internet www.viewaskew.com. Mais à la fin de l'année 2001 était annoncé pour cette année ce qui était présenté comme la dernière aventure de Jay et de Silent Bob. Son titre : "Jay and Silent Bob Strike Back". Tout un programme, et une réussite sur le continent américain, où il a déjà été présenté. Nous l'attendons avec impatience.